(sans spoilers)
C'est au bout d'une lugubre épopée de 800 pages que Blast me permet d'avoir un avis. Il n'est pas meilleur que ma première impression mais a beaucoup changé depuis le premier tome, même si ça ne se voit pas dans ma note.
J'ai d'abord eu beaucoup de mal à tenter Blast parce qu'en le feuilletant rien ne m'accrochait et parce qu'il fut difficile de trouver une critique positive allant plus loin que le "C'est trop beau ! <3". C'est cette interview qui m'a fait franchir le pas : https://www.youtube.com/watch?v=lZz07ZR3bwQ.
Blast conte l'odyssée d'un homme qui a tout quitté pour se plonger dans la nature sauvage, la solitude et l'animalité, en quête du fameux "Blast", une sorte de transe mystique l'éloignant de tous ses soucis, toutes ses peines, y compris son corps obèse : son premier fardeau. Le récit démarre lorsque l'homme en garde à vue pour suspicion de meurtre est invité à raconter toute son histoire aux enquêteurs.
Je ne révèlerai rien de plus sur l'histoire. Ce qui suit évoque les qualités de la saga Blast et ce qui m'a personnellement déçu.
Comme dit plus haut, Blast est souvent rattaché aux superlatifs concernant son aspect visuel et c'est vrai, Blast a du style. À ceci près qu'il faut y adhérer. Je l'ai trouvé brute, honnête, sombre, comme son récit et si on peut rester de marbre face aux lignes fragiles et rebelles des dessins, c'est une toute autre histoire lorsque l'auteur aborde la nature et les inventives scènes de "Blast". C'est dans ces moments là que les tomes m'ont transportés et que tout le génie visuel de l'oeuvre se révèle.
Je ne vais pas entrer dans les détails car la découverte personnelle est plus enthousiasmante, mais l'auteur fait preuve d'un grand talent pour rythmer son récit contemplatif via l'agencement des cases et les changements de styles, de couleurs. C'est si plaisant que j'aurais aimé que cette liberté de ton jaillisse d'avantage, à l'instar de Dave McKean. Malgré tout ça reste irréprochable car en corrélation avec le récit, d'autant plus que l'aspect visuel s'enrichit tome après tome.
Ce qui m'a le plus fasciné, c'est ces scènes de contemplation où le livre arrive comme par magie à éveiller les sens, avec seulement des dessins. Si bien qu'on a parfois l'impression de sentir le vent, le silence de la nature, la nuit, comme si on partageait l'esprit du protagoniste à un instant T.
Blast est une histoire, ou devrais-je dire un récit, sombre et lyrique. Qu'on adhère ou pas à la personnalité du protagoniste, on peut dire qu'il nous entraine au fond de nos instincts. Il descend dans une existence ténébreuse, celle qui nous fait peur mais aussi celle qui nous a fait envie à un moment ou un autre, lorsqu'on s'est senti faible et lassé par le poids des responsabilités, par la société. Ça va loin et on peut presque regarder ça d'un air songeur en se disant "voilà ce qui se serait passé si j'avais franchi le pas de liberté totale".
Mais Blast c'est aussi un personnage, une histoire, avec un début, une fin et une intrigue policière. Et c'est là que je commence à déchanter.
J'ai subi un énorme sentiment de frustration et d'inachevé en finissant le Tome 1. Comme l'a dit Nanash dans sa critique, l'histoire n'avance pas dans ce tome voire ne s'exprime simplement pas.
Pour moi Blast Tome 1 est une introduction abstraite de 200pages...Ça fait cher l'intro. Ce qui est considéré par les plus enthousiastes comme de la pure poésie, résonne pour moi comme des futilités vaguement pompeuses.
C'est à dire que nous découvrons le protagoniste et toute sa pensée avant d'évoquer des éléments concrets de l'intrigue, et ce pendant les deux premiers tomes... Si vous tombez sous le charme du protagoniste vous allez planer, sinon vous risquez de soupirer plusieurs fois.
Avant de tolérer sa personnalité, j'ai progressivement trouvé le personnage affligeant de prétention et banalité. J'y voyais le stéréotype éhonté du psychopathe anarchiste philosophe. Faites travailler votre imagination et vous saisirez à peu près la condescendance lyrique de ses monologues.
Le problème c'est que je n'ai pas interprété ses discours pour ce qu'ils étaient ou auraient du être : SA personnalité.
J'y ai vu l'auteur, glisser ci et là ses pensées "profondes" sur la vie et la société. Je ne dit pas que les propos sont vides et malhonnêtes, j'ai juste trouvé ça immensément prétentieux et banal, au point d'avoir envie de lui filer des baffes comme les flics de l'interrogatoire.
Mais je n'aurais pas pu continuer à lire les tomes si le récit s'enfonçait dans cette philosophie d'ado rebel portant des t-shirts "anarchie". Et heureusement la nuance qui tardait à arriver, se montre avant de me lasser : notre personnage n'est plus un prophète bidon, il devient un homme, avec ses épreuves...
Dans l'ensemble, ce que je reproche à Blast, c'est de s'éterniser dans la contemplation et cette espèce d'introspection philosophique vaguement intelligente, au détriment d'un récit solidement rythmé, narré et réellement surprenant.
Chacun de ses tomes ne constitue pas d'étape clé, de chapitre clé dans la progression de l'intrigue. Ils n'ont aucune autonomie et n'offre aucune entière satisfaction lus individuellement. Autant dire que je n'ai pas ressenti le moindre suspense en fin de tome, à part peut être le tome 3. Pour un thriller ça craint.
En fait Blast n'est pas une série avec différentes couches d'intrigues, c'est juste un récit de 800 pages froidement découpé toutes les 200 pages, et à mon goût ce fait divers ne vaut pas sa longue et coûteuse lecture.
Bien sûr qu'en raccourcissant Blast, il aurait perdu beaucoup de ses atouts graphiques et de la justesse de ses rapports humains. Quoique j'en pense, c'est indéniablement une bande dessinée généreuse et honnête jusqu'à l'os.
J'aurais avalé la pilule si cette aventure aussi dense que prétentieuse débouchait sur un dénouement fort, à défaut d'être épique. Ce qui n'est clairement pas le cas.
Autrement dit, on est loin de la fin de From Hell...