Beaucoup découvrirent en France GTO par l’entremise de son adaptation en anime, diffusée voilà vingt ans sur Canal+ (alors pourvoyeur de sacrées importations). Et comme certainement d’autres, je prolongeais l’expérience avec le manga de Tōru Fujisawa, complet de son état car couvert à moitié par son portage TV : une décision judicieuse tant cette pierre angulaire de l’œuvre du mangaka s’avérait jubilatoire et fichtrement culte.
S’inscrivant pleinement dans le registre du gakuen, ce shōnen emblématique conciliait humour constant et développements matures tout en, pour nous autres lecteurs de l’hexagone, dévoilant plus intimement ce qu’était le Japon de la fin du millénaire : de la sorte, GTO avait tout pour s’émanciper (en tout ou partie) de Shonan jun'ai gumi, construisant sa propre légende autour d’une satire plus ou moins habile du système éducatif japonais… et au-delà, ce dernier s’apparentant à la partie émergée d’une société infiniment perfectible.
Un constat d’autant plus clair lors de sa relecture, les pitreries et situations abracadabrantesques rythmant son récit ayant tendance à s’accaparer l’attention du jeune lecteur. Celles-ci tiennent ainsi autant de ses forces que de ses faiblesses, sa propension au comique confinant souvent au mémorable… tout en pouvant a contrario égratigner le sérieux de thématiques fortes. GTO est, in fine, surtout représentatif à l’extrême de son personnage phare, le cancre devant l’éternel Eikichi Onizuka étant capable de fulgurances aux antipodes de ses traits de caractères principaux : rebelle et enclin à la castagne, lubrique et comique (conscient ou à ses dépens).
Il est toutefois à tel point attachant que, quand bien même le manga irait loin dans ses délires éduco-bagarreurs, la sauce prend miraculeusement. Si ses défauts transpirent davantage aujourd’hui que par le passé, sa relecture demeure hautement plaisante, d’abord au moyen de ses élans drolatiques, ensuite au gré de ramifications plus sérieuses : le dévoiement de corps professorale, le déni (hypocrite) de parents à la ramasse et, finalement, l’égarement inexorable d’une jeunesse en perdition illustrent à ce titre une faillite multimodale.
Hiroshi Uchiyamada, de par sa fonction professionnelle, son rôle de chef de famille (bien que contesté) et le gap générationnel le séparant d’Onizuka et sa fille s’impose alors, à raison de plus qu’il est l’un des tous meilleurs personnages du manga : car à la fois pathétique, amusant et, contre vents et marées, à même d’évoluer positivement (mais pas trop non plus) une fois mis face à ses propres responsabilités. À l’instar d’autres éléments (Teshigawara, Sakuraï…), GTO propose ainsi une satire féroce astucieusement axée autour d’une école, point pivot et symptomatique de l’état du peuple japonais.
Dans un tout autre registre, mention spéciale concernant l’arc Anko-Yoshikawa, dont le voyage scolaire à Okinawa fera office de point d’orgue monumental : les années passent, mais rien ne change concernant mon appréciation du doigté de Fujisawa en la matière… cela est toujours aussi touchant ! L’on pensera aussi aux interludes à la première personne dédiée à Saejima, véritable antithèse d’Onizuka en termes d’intentions et actions, donnant ainsi lieu à des oppositions savoureuses. Le concours de bras de fer, apogée d’une force herculéenne proprement irréelle, vaut également le détour dans sa composante spectaculaire.
Néanmoins, il convient aussi de souligner de vilaines ombres au tableau : comme s’il l’augurait, le fait que l’anime soit incomplet n’est finalement pas un tort tant la seconde partie peut s’égarer. De nombreux arcs, peut-être pas aidés par une traduction perfectible, sont tirés par les cheveux : le kidnapping de Fuyutsuki par Teshigawara et les manigances de Daimon et ses anges notamment, mais aussi de nombreuses sous-intrigues (Mayu) plutôt fumeuses.
Bref, GTO n’est rien de moins que foutraque tant il est capable de grands écarts : bien que l’humour demeure sa facette principale, son maniement de la tranche de vie aux forts accents satiriques lui permet de transcender son immaturité latente. Une posture louable et efficace mais souvent très maladroite, à l’image de son principal sujet.