Ce tome fait suite à Monstress T04: L'Élue (épisodes 19 à 24) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour avoir un espoir de comprendre l'intrigue. Celui-ci regroupe les épisodes 25 à 30, initialement parus en 2020, écrits par Marjorie Liu, dessinés, encrés et mis en couleurs par Sana Takeda. Seul le lettrage a été confié à une tierce personne : Rus Wooton.
Il y a six ans de cela, lors de la bataille de Constantine, le commandement humain ordonne aux enfants arcaniques d'aller récupérer les armes et les objets de valeur sur le champ de bataille. Au temps présent, à Pontus, le commandant Seizi Imura gère la supervision de l'évacuation des civils, certains n'étant pas satisfaits de l'alliance avec les Thyrians. Kippa informe Maika Halwolf des dernières nouvelles : les journaux de la Fédération qualifient les bombardements d'Aurum de nouveau Constantine. Seizi les rejoint et leur transmet l'au-revoir de Kenzi qui est partir rejoindre leur clan pour essayer de convaincre leur ancien de s'engager dans la guerre à venir. Il explique à Kippa qu'une pirate futée sait qu'elle ne peut pas survivre sans des amis loyaux, et des alliés puissants. Il remarque que le nouveau bras de Maika fonctionne à la perfection. Il se rend compte qu'elle ne lui répond pas : Kippa confirme qu'elle ne parle plus à personne. Seizi demande à Kippa d'aller voir Vihn. Puis il s'adresse à Maika pour l'informer que l'évacuation de Pontus devrait pouvoir se faire en deux semaines, sauf complication inattendue. Il ajoute qu'il sait qu'elle a rencontré son père, Vihn le lui a expliqué. Elle parle pour lui reprocher de ne lui avoir rien dit : il répond qu'il avait fait une promesse à Morika, la mère de Maika. Elle continue : son père sait tout d'elle et souhaite l'instrumentaliser, tout comme sa mère, tout comme les deux cours, celle de l'Aube et celle du Crépuscule, tout comme la Mère Supérieure des Cumaea.
Leur discussion est interrompue par deux humains venant les avertir que trois navires de la Fédération approchent de Pontus. Brito, l'amirale de la flotte, est reçue par Seizi, accompagné de Maika et de la représentante de l'ordre de Cumaea. Elle-même est accompagnée par Va'Lan, un représentant de la cour de la Vague, les tenants du pouvoir des êtres habitants sous l'eau. Seizi explique que le bombardement d'Aurum est le fait d'un groupe séparatiste, sanctionné par aucun gouvernement. Brito poursuit en disant que la guerre est quand même imminente et que la colonelle Anuwat s'apprête à mobiliser des éléments de l'armée de la Fédération pour attaquer la ville frontière de Ravenna. Elle a l'intention de franchir le mur barrière ce soir et de faire traverser les Dusklands à 5.000 soldats. Les vaisseaux aériens et 3.000 soldats de plus suivront. En quatre jours, elle et son armée seront devant Ravenna. Devant l'étonnement de Seizi d'obtenir des renseignements aussi précis, elle rappelle que la marine et l'armée ont souvent été opposées, et en réponse à une question, elle confirme que les familles des soldats de la marine ont été mises en sécurité dans des navires. Après son départ, Seizi indique qu'ils doivent informer la cour du Crépuscule immédiatement.
À chaque nouveau tome, le lecteur se souvient du cycle : il lui faut d'abord se souvenir de qui est qui, et de qui appartient à quelle faction. Il se rappelle que dans cette série au goût prononcé, il y les humains, les chats, les arcaniques, les vieux dieux et qu'il ne faut pas confondre ces derniers avec les anciens. Il doit également se rappeler des forces en présence : la cour de l'Aube et la cour du Crépuscule (deux nations arcaniques), avec le rappel de l'existence de la cour de la Vague (elle aussi arcanique), la Fédération (les humains), sans oublier l'organisation religieuse des Cumaea composée uniquement de femmes, sans oublier la faction de Lord Doctor (le père de Maika), ou des personnages essentiels comme l'Épée de l'Est (Warlord) et la Baronne du dernier Crépuscule (Tuya). Une fois cette remémoration effectuée, il a fait l'effort nécessaire pour s'immerger dans ce monde fourni et à nul autre pareil, et il peut commencer à se raccrocher à l'intrigue. Il a encore en mémoire l'affrontement dantesque du dernier tome. Comme à son habitude, l'artiste applique sur chaque planche des couches sophistiquées de couleurs pour installer une atmosphère expressionniste, pouvant aussi bien évoquer la noirceur de la mort omniprésente sur le champ de bataille de Constantine, le calme apporté par la belle couleur de la mer devant Pontus, l'énergie magique qui sature l'air autour de Tuya & Warlord, les ténèbres menaçantes qui s'épaississent alors que Maika fait des exemples parmi la populace de Ravenna, etc. Le lecteur se rend bien compte que ses ambiances lumineuses saturent chaque page permettant de masquer l'absence d'arrière-plan. Dans le même temps, il constate aussi que les pages restent dans des tons sombres pendant la deuxième moitié de ce tome, sans respiration lumineuse, attestant de l'état de guerre qui s'installe. L'usage de camaïeux sophistiqué n'a rien de démonstratif : c'est un élément puissant de la narration.
Même si elle fait un usage libéral des couleurs pour nourrir les cases, Sana Takeda surprend régulièrement le lecteur avec des environnements à couper le souffle : le superbe navire à voile au pied duquel les réfugiés font la queue pour embarquer, la magnifique vue en hauteur de la baie de Pontus, les arches du pont surplombant un quartier de Constantine, le cabinet des curiosités de Vihn, la vue générale de Ravenna, le bureau du professeur Tam-Tam, les bâtiments entourant la grand-place de Ravenna, etc. Ses personnages se reconnaissent aisément, évidemment les principaux comme Maika Halfwolf, Kippa, Vihn et ses bois splendides, Corvin et son visage d'ange, sans oublier Zinn, mais aussi les secondaires. Le lecteur se souvient immédiatement de l'amirale Brito, en particulier grâce à sa coupe de cheveux. De temps à autre, il peut encore déceler l'influence des mangas et de Clamp dans la représentation des personnages, mais au fil des épisodes l'artiste a abouti à une hybridation intégrée qui reflète sa personnalité, plutôt qu'un amalgame grossier d'influences accolées et jurant l'une par rapport à l'autre. Kippa est toujours aussi mignonne avec ses grands yeux et son allure d'enfant, pour autant elle ne peut pas être réduite à un simple dispositif visuel de type kawaï. En la regardant, le lecteur peut voir sa force de caractère et d'autres facettes de sa personnalité. Dans l'épisode 27 apparaissent quatre nouveaux personnages Odile, Aurelia, Mektilda, et la dernière, des nonnes guerrières. La dessinatrice leur donne un visage de porcelaine, une silhouette élancée et de superbes costumes différenciés très détaillés, majoritairement en cuir. Le lecteur a du mal à croire le degré de détails et le temps qu'il a fallu pour les rendre aussi mémorables.
Le lecteur est donc complètement emporté par la narration visuelle et transporté dans ce monde mêlant magie, races extraordinaires et science à moitié oubliée. Les pages s'avèrent tellement riches et personnelles qu'il peut ne pas faire attention à un détail (Maika Halwolf et la capitaine Min chevauchent bien des licornes) ou ne pas voir l'hommage à la destruction de Tokyo dans Akira de Katsuhiro Otomo, dans l'explosion qui se produit à Constantine en début d'épisode 29. Il prend rapidement conscience qu'il se passe également beaucoup de choses. La majeure partie du tome se concentre sur la bataille de Ravenna. Cela n'empêche pas qu'il soit question de beaucoup d'autres événements : l'évacuation de Pontus, l'effet du bombardement d'Aurum, les tensions entre la cour de l'Aurore et la cour du Crépuscule, les expérimentations sur des fétus avec du lilium, les mutilations perpétrées par les humains sur les chats, d'autres choses encore, et bien sûr ce qui s'est réellement passé lors de la bataille de Constantine, ce qui a causé la mort de dizaines de milliers d'individus. Le lecteur prend grand plaisir à voir ainsi les différentes pièces du puzzle s'assembler, faisant progresser l'intrigue générale, la rendant plus facilement intelligible.
Comme dans les tomes précédents, la scénariste raconte une histoire qui s'achemine inexorablement vers une guerre de grande ampleur, entre de nombreuses factions. Elle continue également de développer les deux principaux thèmes de sa série : les différentes formes de coopération entre les personnages féminins, et la manière dont les conflits déshumanisent les individus. L'entraide liant les personnages qui sont majoritairement féminins ne fonctionne pas de manière systématique, et certaines en manipulent ou en trahissent d'autres : il n'y a pas de forme d'angélisme dans ce thème. Au fur et à mesure que le conflit prend de l'ampleur, Maika, Kippa et les autres reçoivent des coups, doivent se défendre. Mais avec ce tome, elles doivent aussi prendre l'offensive, c’est-à-dire commettre des actions terribles pour le bien du plus grand nombre. Par exemple, l'armée de la Fédération sous les ordres de la colonelle Anuwat s'apprête à envahir la cité de Ravenna et à y massacrer tout le monde. Maika Halfwolf doit convaincre au plus vite la population de prendre les armes. Pour ça, elle ne peut qu'assumer le rôle de décideur et de faire un exemple en tuant de manière monstrueuse les deux ou trois premiers qui renâclent. D'une autre manière, la si gentille Kippa doit aussi commettre un acte irréparable. L'autrice montre bien la répugnance des personnages à accomplir ces atrocités, la culpabilité qui l'accompagne, et l'absence de solution noble et satisfaisante, sans avoir à se salir les mains.
Cette série demande toujours du temps de cerveau disponible au lecteur pour pouvoir resituer tous les personnages, les forces en présence et leurs objectifs. Une fois qu'il a fait cet effort, il commence par se délecter de la narration visuelle qui apporte un plaisir immédiat et présent à chaque page. Petit à petit, il retrouve son investissement affectif pour chaque personnage. Il ressent une forte empathie en les voyant souffrir et devoir accomplir des actes allant à l'encontre de leurs valeurs. Il voit les chefs politiques et les généraux prendre des décisions impliquant la mort de milliers de personnes, y compris parmi leurs soldats, sans une once d'hésitation, y compris quand il s'agit de ne pas tenir ses engagements vis-à-vis d'un allié, avec pour conséquence encore plus de morts.