Avec la prolifération des sites de collection et de notation, le 10/10 – la "note ultime", le "Saint Graal" – est désormais tellement employé qu'il en perd tout son sens... Je connais même des endroits qui proposent la note de 11/10 pour les œuvres vraiment exceptionnelles, ce qui est – avouons-le – absolument ridicule.
Pour ma part, je considère que cette attribution doit rester extrêmement rare, et se limiter à la crème de la crème. Prenons les manga : cela fait plus d'une dizaine d'années que j'en lis, et je n'ai pas chômé puisque j'ai depuis longtemps dépassé les 2000 tomes parcourus pour quelques 150 séries environ. Pour autant, je considère avoir donné une telle appréciation à moins d'un manga par an en moyenne. Et aujourd'hui, je viens de terminer le 9ème titre que je place ainsi au panthéon de ce média.
A mon sens, cette seule appréciation – toute personnelle, j'en conviens – dénote à elle-seule tout le bien que je peux penser de Gunnm. Mais il s'agit d'une œuvre qui le mérite amplement.
Gunnm est un manga qui repose moins sur un scénario que sur un environnement et des personnages, même s'il serait plus juste de dire que tout est lié, et que le mangaka utilise judicieusement les arcs du début – qui semblent manquer d'une direction claire – dans la trame qui se met progressivement en place.
Le monde de Gunnm constitue probablement le point fort de la série, ainsi que son utilisation par l'auteur. La société de la Décharge s'est organisée sous Zalem, ville mythique reliée à la Terre par des câbles qu'il est impossible d'atteindre depuis la surface, et qui impose sa loi sur les habitants. Ici, le corps humain est une marchandise, et le quotidien fait de violence. Un univers qui permet d'aborder de nombreuses histoires : manipulation physique d'êtres humains pour les transformer en monstres, chasseurs de prime financés par Zalem pour éliminer tous les contrevenants, sports extrêmes, rébellion contre le système, eugénisme, complots, et autres mystères seront au programme. Cet environnement offre énormément de possibilités, et si certaines de ses exploitations semblent futiles, non seulement cela permet de voir évoluer le personnage de Gally – femme combattante magnifique et captivante – mais surtout l'écriture demeure à un tel niveau de qualité que le plaisir de lecture reste toujours intact.
Cette diversité, qui prend toujours comme toile de fond ce monde sanglant et immoral, permet aussi de varier les émotions proposées. Gunnm est un manga qui peut ne pas manquer d'un certain humour, tout en déployant des séquences dramatiques ou morbides voire même glauques. Gally étant conçue pour le combat, l'action ne manquera pas ; et dans un univers aussi impitoyable, cela signifie qu'elle s'accompagne toujours de morts parfois bien dégueulasses et que même des personnages principaux peuvent y passer, augmentant au passage la charge émotionnelle de l'œuvre.
Gunnm se distingue par son alchimie, cet équilibre où chaque point semble pensé pour contribuer à la création d'un titre culte. Outre son environnement cyberpunk original, ce manga s'impose par sa richesse en terme de contenu, et la qualité avec laquelle ce contenu se trouve traité par un mangaka en état de grâce. Gunnm captive et prend aux tripes, avec des arcs parfois uniquement orientés vers l'action brute chargée en adrénaline, et d'autres beaucoup plus sombres et inquiétants, faits de mystères et de secrets inavouables. Et l'ensemble se concrétise toujours par des histoires passionnantes et mémorables.
Pour résumer, j'ai compris en le lisant pourquoi ce manga jouissait du statut d'œuvre culte, statut qu'il n'a certainement pas usurpé. Alors si vous ne l'avez pas lu, foncez réparer cette erreur ! Vous ne le regretterez pas.