Une claque. Esthétiquement, scénaristiquement, narrativement, Gunnm est une superbe claque, qui prouve une fois encore toute la richesse du manga.
Je ne suis pas vraiment fan de post-apo, encore moins de SF et d’histoires incluant des robots, mais il est difficile de ne pas plonger dans cet univers désolé et si bipolaire, celui de Gally la charmante cyborg. Parce que Yukito Kishiro maitrise totalement sa création, parce qu’il la dévoile avec parcimonie, étendant tome après tome sa superficie et ses possibilités, sans larguer le lecteur dans du charabia scientifique ou du développement confus. Gunnm a d’ailleurs une structure très particulière pour une série continue, puisque chaque tome comprend quasiment un « arc scénaristique » complet et que Gally ne manque pas de montrer des aspects très diversifiés de son univers, entre la décharge où vivent les gens « d’en bas », les courses de Motorball qui abrutissent la population tout en lui faisant oublier sa condition infâme, les usines et fermes alentours qui produisent quantité de choses pour « les gens d’en haut » de Zalem, et cette fameuse ville volante mystérieuse et si inaccessible. Gunnm pose un univers fort, sale et plein de contraste. Artificiel et pourtant si humain.
Comment ne pas penser à la lutte des classes à travers cette métaphore aussi subtile que symbolique comment ne pas reconsidérer les critères-mêmes de l’humanité à la lecture de ces confrontations marquantes entre Gally et tous ces gens « reprogrammés ». Comment ne pas ressentir de la compassion pour ces antagonistes si maléfiques d’apparence, mais aux buts si compréhensibles. Ce sont là les principales qualités de Gunnm : on comprend les motivations de tous les personnages, qu’ils soient bons ou mauvais, et au final peu d’entre eux sembleront purement manichéens. Parce que le monde est trop complexe pour ça, et que dans la décharge, il n’y a plus de place pour les héros niais, ni pour les grands méchants diaboliques, qui se font vite éliminer par les chasseurs de prime ou les agents de Zalem. Et l’autre force du manga, c’est justement la richesse de ses réflexions, parfois un peu trop forcées il est vrai, qui remettent en question le lecteur, que ce soit sur des questions très personnelles, ou sur l’essence de l’humanité ou de l’ordre mondial. Et ce, sans forcément prendre position, en ne faisant que soulever le problème, sans le résoudre.
Et c’est quelque chose de très fort, Gally est l’évidente héroïne de l’histoire, elle est forte et déterminée, mais elle n’est pas forcément mue par l’idée du bien, elle est très influençable et elle échouera souvent dans ses missions, elle perdra des proches, totalement impuissante. Parce que Gunnm n’est pas un shonen "nekketsu", et que la mort (violente) fait partie du quotidien de tous ces gens. Inutile donc d’espérer de l’héroïsme ou des bons sentiments.
Et si la conclusion de l’histoire est un peu bâclée, hâtive et jure presque avec le reste de l’intrigue, on referme le dernier tome plein d’amertume, parce que le voyage est fini, qu’on a vu la beauté, comme la laideur du monde et qu’on s’est attaché à cet univers suintant la crasse et les moteurs brisés, à ces visages difformes (qui m’auront presque fait décrocher dès le premier tome) supportés par des corps métalliques d’autant plus laids et à Gally. Sa grâce, sa force, sa détermination et sa rage qui luit au fond des yeux.
Un chef d’œuvre.