Gyo : Intégrale
7.4
Gyo : Intégrale

Manga de Junji Itō (2021)

Tout à fait vierge des récits d'horreur japonais du maitre Junji Ito, les rééditions de ses oeuvres aux éditions Delcourt/Tonkam constituaient l'occasion parfaite de découvrir l'univers du Mangaka. Gyo a été ma porte d'entrée au sein de l'univers cauchemardesque du monsieur.


Le nom Junji Ito a toujours été synonyme de "savoir-faire" en matière d'horreur japonaise. Bien que très rarement attiré par les histoires horrifiques en général, je me devais de découvrir ce qu'il en retournait. Le genre de l'horreur n'est malheureusement pas très bien représenté, en particulier au cinéma où celui-ci semble très souvent ne plus savoir quoi raconter. De fait, la majorité des productions ne vise plus qu'un seul objectif; vous faire sursauter avec des screamers. Évidemment, le genre ne se cantonne pas uniquement à cela et certaines pépites sortent du lot. Je ne peux que vous conseiller "Midsommar" ou "Hérédité" du réalisateur Ari Aster puisant le sentiment de malaise au plus profond de notre être. Car c'est lorsque l'horreur trifouille dans notre subconscient en traitant de sujets intenses que l'âme humaine se sent bousculée. Je pense que Gyo en est un exemple parfait.


Dans les grandes lignes, l'histoire de Gyo est assez simple de prime abord. Nous suivons les vacances de deux jeunes Japonais sur une île tout à coup victime d'une attaque de poissons capables de marcher sur la terre ferme grâce à un étrange mécanisme greffé sous eux. De plus, la poiscaille dégage une odeur extrêmement nauséabonde proche de la putréfaction. Le Japon et le reste du monde sont alors en proie à une attaque inimaginable où la mer semble avoir décidé de prendre le dessus sur l'espèce humaine, mais ...


Dès le début, Gyo joue avec les codes de l'horreur. Un peu à la manière d'un nanar, le ton revêt un caractère loufoque où il m'a été impossible de prendre le sujet sérieusement. Alors qu'un des personnages tourne les événements à la dérision, l'autre est une caricature. Pourtant, le côté très terre-à-terre de l'un compense l'aspect agaçant de l'autre, ceci confère à ces derniers une position beaucoup plus humaine que de prime abord. En humanisant les personnages dans leur intimité, on tire l'essence même de la personnalité d'un être vivant.


En dépit de cette humanisation caricaturale des personnages, les événements montrent une absurdité telle que se projeter dans le récit devient compliquer. Vous imaginez vous faire attaquer par des poissons dans votre salon ? Différentes situations viennent relever le tout, comme les attaques de requin. Le trait de Junji Ito offre un réalisme loin de ce qu'on pourrait imaginer en entendant le terme loufoque dans un manga. Les expressions du visage m'ont également marqué par quelques déformations visuelles apparemment très propres à notre dessinateur du jour.


La deuxième partie de l'oeuvre emmène le lecteur à la frontière de la psyché. La tournure des incidences crée une lecture bien plus ancrée dans l'atrocité humaine. L'ensemble de l'humanité dévêtue de son système social, les pires côtés des êtres ressortent, à l'image de ce cirque de la puanteur où l'homme se laisse aller à ses pires pulsions. Remplacé l'attaque de zombies par une attaque de poissons et vous retrouverez bon nombre de thèmes similaires. En jouant sur des enjeux enracinés dans notre imaginaire collectif historique, le récit devient d'emblée plus prenant et offre une vision malsaine de l'humanité. Les sphères loufoques et absurdes subsistent, mais l'insalubrité de la folie confère une aura immorale à l'infamie se déroulant sous nos yeux.


Tout en donnant les clefs de lecture à son oeuvre, Junji Ito s'amuse à jouer avec le lecteur. Une explication claire des événements est fournie assez rapidement, mais elle ne reste qu'une possibilité parmi tant d'autres. Que ça soit au travers de la guerre ou d'une entité cosmique intangible (Coucou Lovecraft), l'auteur donne des pistes. Libre cours au lecteur de choisir sa voie. Ces possibilités d'interprétation suggérée ravivent l'ignominie des attaques aux gaz de la guerre dans l'esprit collectif.


Outre cette deuxième partie très réussie, j'ai tenté de comprendre pourquoi l'univers de Gyo a tardé à m'embarquer. Cette vision ne concerne que moi et est peut-être bien loin de la vérité. L'idée de se faire attaquer par la flore sous-marine n'est pas nouvelle. Car oui, l'inconnue des fonds marins est une peur plutôt commune. Pourtant, s'amuser d'une attaque des profondeurs sous-marines sur la terre ferme semble être une idée peu souvent traitée. Selon moi, la culture et la localisation japonaises font que cette thématique incarne une dimension plus proche d'une appréhension nippone. La situation géographique de l'archipel conditionne en quelques sortes son schéma nutritif où la nourriture issue de la mer est très présente. Attention, je ne caricature pas le Japon, pourtant cela reste indéniable que les mets marins y sont incontournables. De ce fait, j'imagine que de se faire attaquer par les êtres servies comme nourriture à de quoi faire paniquer certains Japonais. J'étais bien loin à ce niveau de lecture de comprendre que Gyo s'inscrivait dans un tout plus dramatique.


Finalement, Gyo de Junji Ito ne constituait pas forcément une bonne première approche pour découvrir le maitre de l'horreur. Culturellement loin de mes positions, il a été difficile de m'impliquer au coeur de l'histoire. La seconde partie insère des questionnements plus abordables à un large public . De l'intangible à la cruauté humaine, il y en a pour plusieurs niveaux de lecture. Plus proche des univers de Lovecraft de mon côté, j'ai perçu certains clins d'oeil à cet auteur. Au-delà de l'interprétation, le niveau de dessin donne vie à chaque case, par exemple en personnifiant à diverses occasions l'impalpable. Un peu étonné de voir peu de ses oeuvres publiées par chez nous, j'ai du mal à comprendre le choix éditorial de publier Gyo à la place d'autres créations de l'auteur. Spirale qui fera l'objet d'un autre "J'ai lu" a été une bien meilleure découverte.


Si Gyo n'est pas l'oeuvre de référence que je conseillerai pour découvrir Junji Ito, je le recommande tout de même grandement pour sa seconde partie plus travaillée qu'on ne pourrait le penser.


Critique dispo sur mon blog : https://www.nextplayer.fr/jai-lu-gyo-de-junji-ito-avis-representation/

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le 7 juin 2021

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