Happiness
7.3
Happiness

Manga de Shūzō Oshimi (2015)

Connu en France pour les Fleurs du Mal et Dans l'intimité de Marie, Shûzô Ôshimi a quelques autres mangas à son actif, dont Happiness. Pour l'heure le manga n'est pas disponible en français (mais doit arriver prochainement merci @t0mx05 pour l'info !) aussi l'avis ci-dessous repose sur la version américaine (3 tomes disponibles pour le moment).


Entretien avec une vampire


Le point de départ de Happiness est assez similaire à celui que l'on peut trouver dans les Fleurs du Mal ou Dans l'intimité de Marie : un garçon mène une vie peu épanouie et fait la rencontre d'une fille qui va changer son existence. Bien sûr si la ligne directrice est proche, le déroulement de l'intrigue n'est pas le même. Le personnage principal, Makoto Okazaki, est un lycéen menant une vie qui ne fait pas rêver : victime de violences scolaires, avec un ami qui n'en est pas vraiment un, une famille où on ne parle pas vraiment des problèmes, Makoto est plutôt isolé, porte des lunettes et a un physique sur lequel aucune fille ne se retourne. Et le soir dans sa chambre il lui arrive d'utiliser sa main pour se soulager.


Et c'est justement un soir que tout va changer. Alors qu'il est sorti, une jeune femme, Nora, lui saute dessus et le mord dans le cou. Il a alors le choix : mourir ou vivre comme elle. Éros ou Thanatos ? Il choisit de vivre et donc de devenir un vampire soit une figure bien connue dans la littérature, la poésie (coucou Baudelaire), le cinéma, l'animation (comment ne pas évoquer le sublime Vampire Hunter D: Bloodlust ?), les jeux vidéo... Pour autant cette présence des suceurs de sang n'est pas là pour faire joli.


En effet, l'adolescence est une période où le corps change, se transforme. Les adolescents sont à leur manière des créatures étranges. Quoi de mieux que d'utiliser les vampires dans cette perspective ? Et Ôshimi va se réapproprier le mythe.


Bloodlust


Par rapport au Dracula de Bram Stoker, les vampires de Ôshimi ne se transforment pas, ne dorment pas dans un cercueil et ils ne brillent pas au soleil comme les vampires de Twilight (ouf). En revanche ils n'aiment pas la lumière et sont dotés de capacités physiques au-dessus de la moyenne. Surtout, la nourriture des humains est fade : les vampires veulent du sang pour étancher la soif (d'existence, de jouissance, d'inexistence) qui les tenaillent.


Au-delà de leurs caractéristiques propres, les vampires sont une métaphore à plusieurs niveaux. D'abord une métaphore des désirs que les personnes ne peuvent pas toujours assouvir. On pensera notamment aux désirs sexuels que la soif de sang symbolise.


Ensuite vient une métaphore de l'anormalité. Les vampires ne sont pas/plus des humains. Á ce titre ils sont recherchés (pas officiellement), doivent se cacher, fuir ce qu'ils étaient. Les vampires sont pieds nus, vêtus de pyjamas, de tenues de l'hôpital. Une tenue qui tranche par rapport à celle des non-vampires et qui les isolent un peu plus dans un rôle de "marginaux". On en déduira rapidement que la coexistence entre humains et vampires n'est pas chose aisée.


Déformation.s


L'aspect qui m'a le plus fasciné dans Happiness concerne le graphisme. Si le rendu de certains personnages permet de repérer assez vite que l'on a affaire à Shûzô Ôshimi j'ai été marqué par la manière dont l'auteur rend les différences de perception entre vampires et non-vampires. Il y a une déformation qui concerne tout d'abord la manière dont le vampire apparaît quand il est tenaillé par sa soif. Son corps rompt avec les représentations des autres personnages, comme une variation autour du cubisme.


La déformation touche ensuite la manière dont le vampire perçoit les autres lorsqu'une crise se manifeste. Enfin, et surtout, la déformation concerne le ciel. La lumière est menaçante pour les vampires, elle est douloureuse. Par contraste, l'obscurité est un plaisir. La nuit devient alors une piste aux étoiles rendu (après un travail de réflexion dont on peut voir quelques traces à la fin du tome trois) par une nuit étoilée et des spirales aux accents très van goghiens.


Ces vampires qui souffrent font écho à un récit plutôt sombre, inquiétant. Happiness possède une noirceur potentielle relativement forte, comme si le titre était ironique. Outre la situation des vampires on s'aperçoit que, parmi les quatre personnages principaux (Makoto, Yuuki, Gosho et Shiraishi), aucun ne semble avoir une famille "formidable". Chacune a des travers, plus ou moins importants. Même sans être vampires nos quatre lycéens souffrent d'un déficit de reconnaissance. D'où diverses stratégies pour trouver ailleurs ce que l'on ne peut pas trouver auprès des siens. La vie rêvée n'est donc pour personne, ce qui rapproche, sous cet angle, vampires et non-vampires et contribue à donner un côté imprévisible au manga.


"N'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir." (Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo)


Si l'usage du vampire comme métaphore n'est pas neuve Ôshimi parvient à sublimer cette utilisation. Les vampires ne sont pas que des êtres qui apportent la mort, ils peuvent aussi réveiller une certaine vie chez eux ou chez les personnes qu'ils mordent. Plusieurs catégories de vampires sont présentes, plus ou moins dominées par leurs désirs, pulsions, émotions, comme les humains le sont. S'ouvre alors à nous une intrigue plutôt sombre où les questions de l'identité, des liens, la gestion de l'après et bien d'autres se posent pour donner toute sa saveur au manga. Souhaitons qu'il paraisse un jour en France.


Pour les vampires et les autres, une version sensiblement plus développée et illustrée est présente ici.

Créée

le 17 avr. 2017

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Anvil

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