La fin du monde, un bagarre homérique contre l’Entité Noire et … un strip-tease.
Haut-Septentrion fait suite à Révolutions (DC106) – précédent Donjon Crépuscule qui était plutôt moyen – et étonne sur plusieurs points. Le premier est de constater que l’intrigue a avancé de plusieurs niveaux (l’album se passe au niveau 110, alors que Révolutions se déroulait au niveau 106), ce qui signifie qu’un trou scénaristique de quatre niveaux a été creusé entre les deux albums, et que l’intrigue de Haut-Septentrion ne se déroule pas directement après celle de Révolutions. D’où une première frustration d’avoir loupé plusieurs épisodes et une question angoissante : saurons-nous un jour ce qu’il s’est passé entre ces deux albums ? L’inquiétude est cependant dissipée très vite car on comprend assez facilement comment les personnages et les événements ont évolué entre les deux tomes, et de plus on est content de voir que Trondheim et Sfar sont revenus à la grande intrigue principale de Donjon Crépuscule avec son ambiance de « grande bataille de fin du monde », après s’en être bizarrement éloignés dans Révolutions.
Le second point étonnant est de lire une aventure « à trous », avec certaines ellipses dans le scénario qui sont assez difficiles à digérer et qui rendent la lecture un peu compliquée. On comprend alors très vite que ces trous seront comblés par la lecture de La fin du Donjon (DC111), album paru simultanément et qui décrit les mêmes événements que dans Haut-Septentrion, mais vus par d’autres personnages. On sourit alors en se disant : « OK, les auteurs nous ont déjà fait le coup avec la « trilogie Armaggedon » » (qui relatait dans trois albums (DC103, DM3 et DM4) les mêmes événements se déroulant au niveau 103, vus par trois personnages différents). Sauf que là où Sfar et Trondheim font très fort, c’est qu’ils vont encore plus loin dans le procédé. En effet, pour pouvoir bien saisir toutes les subtilités du scénario, il ne faut pas lire Haut-Septentrion et La fin du Donjon l’un après l’autre (quel que soit le sens de lecture), mais les lire tous les deux SIMULTANEMENT ! La lecture simultanée de deux albums est à ma connaissance un exercice unique dans l’histoire de la bande dessinée, et montre ici à quel point Sfar et Trondheim savent sortir des sentiers battus et ont cherché à conclure la série par une dernière pirouette scénaristique, à la fois drôle, stimulante et originale, pour pouvoir terminer en beauté.
Haut-Septentrion relate donc la grande bataille finale entre les héros et l’Entité Noire, vue par le prisme de Marvin Rouge. On a donc droit à un tome plus « crépusculaire » que jamais, dans une ambiance de fin du monde totalement apocalyptique, entre grandes batailles dantesques, aventures épiques, avec du drame, de la tension, du désespoir … le tout saupoudré d’humour bien drôle (aaah ce tandem inversé Marvin Rouge / Zakûtu !). Ajoutez-y une bataille finale homérique et une fin ouverte qui conclue ce cycle « Entité Noire » de Donjon Crépuscule (et non pas la série !) de façon très élégante, et vous obtenez un album pleinement satisfaisant, avec en bonus, une ultime révélation qui régalera les fans : l’utilité de la Clé du Destin enfin dévoilée !
Enfin, dernier point étonnant, il est surprenant de constater qu’après Sfar, Kerascoët et Obion, Donjon Crépuscule change encore de dessinateur en accueillant le talentueux Alfred (on se rapproche de plus en plus du concept de Donjon Monsters là …). Personnellement je trouve ce changement bienvenu, tant le dessin d’Obion m’était indifférent et tant je suis beaucoup plus sensible à celui d’Alfred. Le trait de ce dernier présente une certaine souplesse (certains personnages semblent avoir une constitution de chewing-gum), voire une certaine élasticité (donnant aux scènes d’action un dynamisme appréciable). Sans être le plus spectaculaire de la série, le dessin cadre bien avec la charte graphique minimaliste propre à la série, tout en gardant une vraie identité. Au final, le dessin d’Alfred brille par sa fantaisie et renforce la joyeuse loufoquerie de certaines situations.