Un démon ingérable, sous la plume d'un Garth Ennis débutant

Il s'agit du premier de 2 tomes rééditant les histoires du démon Etrigan écrites par Garth Ennis. Il contient les épisodes 40, 42 à 49, et annuel 2, initialement parus en 1993/1994, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par John McCrea, à l'exception du numéro annuel 2 encré par Luke McDonnell et Matt Brooker, de l'épisode 46 dessiné par Denis Rodier et encré par Wayne Faucher, et de l'épisode 49 dessiné et encré par Nigel Dobbyn. La réédition des épisodes du Demon par Ennis se termine dans The longest day (épisodes 0, 50 à 58).


Pour le tour de chauffe (l'épisode 40), un gang de bikers envahit une église pour invoquer un démon des enfers. Ils réussissent, mais Etrigan le démon va venir à leur rencontre. Vient ensuite le numéro annuel 2 au cours duquel un extraterrestre peu commode est à l'origine de la transformation de Tommy Monaghan en Hitman, au beau milieu d'une guerre entre 2 gangs, avec la participation d'Etrigan. Épisodes 42 à 45 – Asteroth (un autre démon des enfers) est à Gotham et a pour ambition de réaliser un pentagramme à base de sang de sacrifiés pour invoquer le démon Gothodaemon. Etrigan va lui mettre des bâtons dans les roues avec l'aide de Tommy Monaghan.


Épisodes 46 à 48 - Etrigan a été missionné par 2 anges (Duma & Remiel) pour assassiner les démons présents sur Terre. Sa mission l'emmène au Texas, où 2 nazis souhaitent faire revenir la splendeur passée du Reich, grâce à des SS zombies. Etrigan bénéficie de l'aide du Tank Hanté (Haunted Tank) et de son équipage le caporal Arch Asher, le soldat Rick Rawlins, le caporal Slim Stryker et le lieutenant Jeb Stuart, sans oublier le fantôme du général James Ewell Brown (J.E.B.) Stuart. Épisode 49 - Le détective privé Joseph Gunn a surpris la Chose qui ne peut pas mourir (Thing-That-Cannot-Die) en train d'acheter des bouteilles d'alcool, alors qu'il venait pour acheter ses clopes. Il a décidé de la suivre et tirer avantage de Jason Blood.


Le lecteur qui ne connaît pas Etrigan risque d'être très surpris par sa situation dans ces épisodes. Il s'agit d'un personnage créé par Jack Kirby en 1972 : The Demon de Jack Kirby. Etrigan est un démon issu des enfers, le fils de Belial, attaché au mortel Jason Blood par Merlin à l'époque de Camelot. Il a bénéficié de quelques apparitions dans l'univers partagé DC par la suite (dont la série Swamp Thing quand elle été écrite par Alan Moore, puis d'une minisérie écrite par Matt Wagner en 1992 : From the darkness). En 1990, les responsables éditoriaux estiment que le temps est venu pour ce personnage de disposer de sa propre série mensuelle dont ils confient l'écriture à Alan Grant. Ce dernier évacue Randu Singh, l'un des 3 personnages secondaires de la série. Il tient à l'écart Glenda Mark. Il fait subir les derniers outrages à Harry Matthews qui se retrouve réduit à l'état de coussin fumant le cigare, après un passage aux enfers, mais avec Katarina de la Kush (une femme réduite elle aussi à l'état de coussin) à ses côtés.


C'est dans cet état qu'Alan Grant laisse la série, et que les responsables éditoriaux la confie à un jeune débutant : Garth Ennis. Il écrit un premier épisode (numéro 40) pour tester ses capacités à faire exister un personnage si singulier, et à le faire parler en rimes. Après un épisode bouche-trou écrit par un autre scénariste, il doit participer à l'événement du moment, c’est-à-dire créer un nouveau personnage à l'occasion d'un numéro annuel (tous les annuels participant à l'opération Bloodlines cette année-là). Le personnage de Tommy Monaghan revient à plusieurs reprises dans la série, et bénéficiera de sa propre série en 1996, également écrite par Garth Ennis, à commencer par A rage in Arkham. Dans cette première histoire, Garth Ennis écrit une guerre des gangs avec des gangsters parodiques dont le chef est un autre démon des enfers. Ce dernier se fait passer pour un philanthrope ce qui lui permet de bénéficier de l'aide d'un groupe d'individus se faisant appeler les enfants de chœur.


Avec la deuxième grande histoire, le lecteur connaissant les thèmes récurrents d'Ennis repère tout de suite celui de la guerre et des soldats, traités de manière parodique, avec des zombies, et des nazis caricaturés (approche qu'il développera avec beaucoup plus de mordant dans Adventures in the Rifle Brigade, mais sans les zombies). Il termine avec une parodie de détective privé dur à cuire, avec cette espèce de doudou vaguement anthropomorphe trop gentil, et l'arrivée du démon Baytor (qui sera rapatrié par la suite dans la série Hitman). L'inventivité parodique de Garth Ennis est déjà bien présente, avec une forme de moquerie par le biais des observations vachardes et sarcastiques d'Etrigan (tout en rimes, pas toujours très riches). Les scénarios sont farfelus, avec un forme d'humour noir marquée.


Le rythme de la narration n'est pas toujours très fluide avec des phylactères parfois un peu copieux, ou des développements un peu étirés. Garth Ennis utilise déjà sa vision très basique des enfers, à base de démons sentant le soufre et voués à faire souffrir les êtres humains, tout en se tirant dans les pattes. Il utilise une imagerie chrétienne très basique d'un enfer où rôtissent les âmes des pêcheurs, gérés par des démons qui soit se trouve en haut de la chaîne alimentaire et en profitent, soit sont de simples sous-fifres et souffrent avec les autres. Dans le genre, le rescapé allemand de la seconde guerre mondiale offre une parodie beaucoup plus caustique.


Le scénariste intègre également quelques éléments de l'univers partagé DC. Le récit se déroule donc à Gotham, mais cela n'a pas beaucoup d'incidence dans les présents épisodes (= pas d'apparition de Batman, ou d'autres porteurs de la chauve-souris). Il n'y a que la présence de Tweedledee (Deever Tweed) et Tweedledum (Dumfree Tweed) qui est connectée avec le chevalier sombre. Le lecteur voit apparaître le duo d'anges Duma & Remiel, avec une relation plus cruelle que celle instaurée par Neil Gaiman dans la série Sandman. Le tank Hanté est dépoussiéré pour rendre hommage aux séries de guerre de l'éditeur DC, avec déjà une peinture de la soldatesque qui laisse transparaître une forme de respect.


Pour tous ces épisodes sauf 2, Garth Ennis bénéficie de la mise en image de John McCrea, artiste qui illustrera également la série Hitman. En feuilletant rapidement ce tome, le lecteur constate qu'il réalise des dessins à l'esthétique assez laide, avec les tics des comics (= des arrière-plans régulièrement vides), et des exagérations prononcées de la morphologie humaine. Néanmoins cette approche graphique présente également l'avantage de ne pas se calquer sur celle habituelle des comics de superhéros, donnant tout de suite une identité graphique prononcée à cette série. La couverture permet de se faire une idée des exagérations utilisées par l'artiste. La musculature d'Etrigan est bien développée, mais un peu anguleuse, avec un rapport disharmonieux d'un muscle à l'autre. Sa dentition est exagérée au point qu'il ne peut pas correctement fermer la bouche. Les pavillons de ses oreilles sont démesurés au point d'en devenir des ailettes déployées au vent. Le joyau servant de fermoir à sa cape est trop gros et trop rudimentaire. Etrigan n'est pas joli, ce qui sied bien à sa nature démonique.


John McCrea traite l'apparence des êtres humains avec la même désinvolture, n'hésitant jamais à exagérer leurs faciès ou leur morphologie pour une caricature à cheval sur la dérision et l'horreur d'une humanité veule et idiote. Le peu de fois où Jason Blood apparaît, il est hautain et méprisant, pas vraiment un exemple à suivre, ou un individu sympathique. À ce petit jeu de massacre, il n'y a finalement que Glenda Mark qui conserve une allure normale (mais quand même pas commode).


En tant que chef décorateur, John McCrea assure une prestation assez minimaliste. Le lecteur sait où se déroule chaque séquence, mais il ne risque pas de faire du tourisme en admirant les décors, ou en scrutant les arrière-plans. L'artiste est un accessoiriste un peu plus rigoureux, que ce soit pour la tank hanté, ou pour les motos des bikers. Il croque d'ailleurs une parodie de motard enflammé sur sa bécane qui devrait faire peur à Johnny Blaze (un autre motard enflammé chez la concurrence).


D'épisode en épisode, le lecteur finit par reconnaître et par apprécier le talent de John McCrea pour l'exagération et la caricature. Asteroth est plus ridicule en tant que démon d'opérette que vraiment effrayant. Le vieux vétéran allemand dans son fauteuil roulant roule des yeux lubriques à l'idée de saborder les États-Unis pour aider au retour du Reich. La démone Smegma est irrésistible dans son bikini riquiqui. Les hommes ont tous une gueule à effrayer un enfant.


Pour un lecteur de passage cherchant une histoire divertissante et bien troussée, il est vraisemblable que ces épisodes ne feront pas sens. Il découvre un personnage dont la situation n'est jamais expliquée, avec pourtant des bizarreries délirantes (le coussin qui fume le cigare), des dessins pas très agréables à la vue, et des histoires aussi farfelues que bizarres. 3 étoiles pour une inventivité réelle mais moyennement canalisée. Pour un lecteur familier de Garth Ennis, il découvre une œuvre de jeunesse dans laquelle il décèle des thèmes qui reviendront dans plusieurs de ses œuvres, ainsi qu'un humour déjà bien personnel.

Presence
7
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le 6 sept. 2019

Critique lue 116 fois

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