Ces Histoires de mes 10 ans sont incroyablement pessimistes. C’est ce qui m’a marqué en les relisant, plus que la maîtrise du format « 52 × 1 page » dont elles attestent, plus que l’unité thématique qu’elles manifestent avec la Vie secrète des jeunes ou Retour au collège, plus encore que la confiance qu’elles traduisent entre leur auteur et la petite fille qu’il a prise pour modèle. Ce pessimisme ne trouve pas son origine dans ce que les aventures individuelles d’Esther ont de démoralisant : il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’un enfant peut aussi être cruel, moqueur, changeant, ingrat, etc. Qu’entre le souffre-douleur du CM1 et un poney imaginaire, un enfant accorde mille fois plus d’importance au poney, ce n’est pas nouveau non plus. Et il n’y a aucune raison pour qu’Esther en soit exemptée.
Non, ce qu’il y a d’atroce dans le parcours ce cette petite fille de dix, ans qui vit avec ses parents et son grand frère dans le xviie arrondissement de Paris, issue de la classe moyenne et se plaçant elle-même parmi les plus pauvres de son école privée, et par conséquent confrontée à une relative mixité sociale – relative en ceci que la société représentée ici est exclusivement urbaine –, ce qu’il y a d’atroce dans ces chroniques, disais-je, c’est ce qu’elles révèlent d’une enfance impitoyablement bouffée par le consumérisme et le star system.
Cette petite fille semble plutôt intelligente. (Le lecteur qui attendrait d’elle un esprit critique développé ou un cynisme à la Daria n’a rien compris à la démarche de Riad Sattouf.) Ses parents ne semblent pas appartenir aux rangs serrés des gobe-mouches de la consommation tels que nos sociétés en regorgent. Pourtant, l’objet des rêves d’Esther est un iPhone. Elle joue, à « faire du shopping ». Elle réfléchit, mais les supports que les années 2010 fournissent à sa réflexion sont les fringues, les footballeurs professionnels et Black M… Ce qui tient lieu de grille de lecture : la popularité. (On pourrait objecter que ce n’est pas nouveau, que toutes les petites filles ont toujours été ainsi. Et en effet, dans les années 1990, la plupart des petites filles de dix ans s’intéressaient à la popularité, et rêvaient du prince charmant ; c’est vrai ; mais précisaient-elles que la doudoune de ce dernier était la même que celle de tel chanteur ? qu’il était coiffé comme tel sportif professionnel ?)
Sans naïveté, ces Histoires seraient simplement cyniques. Or, ici, la naïveté du personnage principal ne relève pas d’un caractère en inadéquation avec le monde, mais d’une connaissance insuffisante de la société. C’est cette naïveté-là, plus sociale que psychologique donc, qui peut faire rire le lecteur – oui, Balavoine comme « chanteur inconnu »… –, lequel se retrouvera ainsi pris malgré lui dans le même système de pensée que celui qui fait marcher les enfants au rythme des caisses enregistreuses.