A la rigueur, on aurait tendance à reprocher à Sattouf l'absence de prise de risque derrière ces "Cahiers d'Esther", tant notre nouvelle star de la BD joue ici sur ses points forts bien connus : son empathie avec les enfants, son sens aigu du ridicule, l'acuité de son regard sur la société. Sauf que l'on a suffisamment pointé - moi le premier - les zones troubles de "l'Arabe du Futur" pour ne pas faire maintenant preuve de mauvaise foi devant l'aspect consensuel de sa dernière œuvre ! Il est vrai que les premières pages font un peu peur, on se demande si on ne va pas se vautrer dans la sympathique banalité d'un "Titeuf, version Indie"... et puis, indiscutablement, plus on avance, plus quelque chose de fort se cristallise... pour en arriver aux dernières pages, pointant la cruauté profonde de l'enfance : des pages marquantes, qui nous feront refermer ce premier tome avec la satisfaction d'avoir passé de beaux moments (car indiscutablement vrais) en compagnie d'une petite fille de 10 ans attachante, telle qu'il en existe des milliers en France... Une petite fille pourtant unique, ou plutôt qui l'est devenu pour nous grâce à la tendresse du regard et du trait de Sattouf. Reconnaissons donc que, même si "les Cahiers d'Esther" ne sont pas (encore ?) un chef d’œuvre, ils réussissent à s'imposer comme un portrait honnête de l'enfance, et une chronique pertinente des tensions comme des bonheurs de la société française de 2016 : la vision "triviale" mais lucide du multiculturalisme français - une évidence qui ne pose aucun problème à la petite Esther... - est en particulier l'une des forces du livre. A suivre, bien sûr ! [Critique écrite en 2016]