Ce tome est le premier d’un diptyque. Il comprend huit chapitres et un prologue, tous réalisés par Zidrou (Benoît Dousie) pour le scénario et par Éric Maltaite pour les dessins et les couleurs. Il a été publié en 2022.
Prologue : en 1949 ou en 1950, de nuit, un pick-up se dirige vers le mont Lee, surplombant le quartier du même nom, avec sur son plateau, une échelle, du matériel de peinture, des ampoules. L’oncle Abner Elijah Washington conduit et raconte à son neveu Ray, l’histoire des lettres : soixante jours de travaux, vingt-et-un mille dollars de l’époque, voilà ce qu’a coûté cette enseigne. Le neveu complète : chaque lettre mesure quinze mètres sur neuf, et il faut quatre mille ampoules pour les éclairer. Au petit matin, ils sont à pied d’œuvre pour remplacer les ampoules par des neuves pour chacune des treize lettres. Le H initial est à terre, et Abner raconte une fois de plus l’histoire de la malédiction qui pèse sur elle, comment la petite Peggy Entwistle s’est suicidée depuis le sommet de cette lettre. Une nuit, il a vu le fantôme de la petite Peggy, il sentait bon le gardénia, le parfum préféré de cette malheureuse. Ray rétorque que la machine à rêves a, parfois, des ratés. Un pick-up plus gros arrive, avec à son bord trois afro-américains, et conduit par Facchetti. Ce dernier vient annoncer une nouvelle inattendue : la chambre de commerce de Los Angeles a décidé de retirer les quatre dernières lettres de l’enseigne.
Loreen : elle déambule sur les trottoirs de Los Angeles, habillée d’un short moulant et un chemiser blanc à manche courte avec un beau décolleté. Elle a toujours été mignonne à croquer et les hommes la regardaient. Certains ne faisaient pas que la regarder. Elle ne va pas faire le coup de la victime : elle aimait ça, leurs regards, leurs mains sur elle. De Miss Poopoopidoo Shampoo 1952 à aspirante actrice, il n’y avait qu’un faux pas quelle s’empressa de franchir. Elle savait ce qu’elle voulait. Eux aussi, elle en l’occurrence. Ils étaient donc faits pour s’entendre. Sur un canapé par exemple. Par exemple dit-elle, car elle a également donné dans la promotion Bureau. La promotion QWERTY chez un romancier ayant viré scénariste. Il lui avait promis de l’introduire dans le milieu, et il a tenu parole. La promotion Banquette arrière de la Ford 49, même si elle avoue avoir une préférence pour la promotion Siège arrière de la Lincoln Continental de 1948. À noter qu’elle a aussi donné dans la promotion Char romain (sur le tournage d’un péplum), et bien évidemment – Californie oblige – dans la promotion Piscine. Doug : il tient une roulotte à hotdogs. À un acteur qui a peine à croire qu’il est en train de s’enfiler une saucisse d’un allemand, Doug répond qu’il est juif allemand, qu’il a fui les nazis avant que ne leur vienne l’idée malencontreuse de faire de lui une nouvelle étoile dans le ciel de leur nuit. Durant la première mondiale, il a été pilote dans la Luftstreitkräfte.
L’introduction permet de situer l’époque à laquelle se déroulent ces différentes histoires, quand la chambre de commerce a décidé de raccourcir le signe HOLLYWOODLAND de quatre lettres, en tronquant la fin, en 1949. Ce choix transforme une appellation de territoire en un concept. Ray qualifie Hollywood de machine à rêves, c’est-à-dire l’industrie du cinéma. Ce n’est plus un lieu qui accueille des êtres humains pour leur servir de résidence, une terre ou une région où habiter, où établir son foyer. Cela devient un principe, une raison d’être qui s’impose à chacun, l’individu voyant alors sa vie modelée par ce milieu, nourrissant cette machine par sa vie chaque jour, sa chair. Le scénariste a pris le principe de raconter une phase de la vie de chacun des personnages, dans un format cadré de cinq pages par personne, l’initiale du prénom reprenant une des lettres du mot Hollywoodland. Ce dispositif met à la fois l’accent sur le fait que ces personnages alimentent l’usine à rêve, et à la fois qu’ils apportent cette part d‘âme qui en fait un lieu de vie. Le dessinateur réalise des dessins aux contours un peu arrondis, avec un léger degré d’exagération dans les expressions de visage, dans le langage corporel, ce qui contribue également à apporter de la vie dans des métiers qui font fonctionner l’usine à rêves.
Les auteurs réalisent une évocation de cette époque et de l’industrie hollywoodienne sous la forme d’un récit choral, au départ des petites tranches de vie, quelques heures ou quelques jours, du personnage principal du chapitre. Chacun exerce un métier différent en relation directe ou périphérique avec les films : aspirante starlette, propriétaire d’un food-truck ayant pour clients des scénaristes et des acteurs, jeunes filles éperdument amoureuses d’un acteur, scénariste, spectateur, costumière clandestine, projectionniste. Le dessinateur reproduit avec fidélité et conviction les éléments propres à cette industrie à cette époque : les lettres du sigle Hollywoodland avec leurs ampoules, le ballet aquatique cinématographique auquel participe Loreen, le modèle de remorque à revêtement d’aluminium pour la baraque à hotdogs, les affiches de films dans la chambre des filles, le bureau partagé des scénaristes et leur machine à écrire Remington, une salle de cinéma, un plateau de tournage avec les grosses caméras sur grue, les bobines de film. Le scénariste évoque acteurs et réalisateurs : Fritz Lang, Douglas Sirk, Billy Wilder, Sternberg, Marlene Dietrich, Doris Day, Glenn Ford, Montgomery Clift, Doris Day. Le lecteur remarque que l’un comme l’autre porte une réelle attention aux détails, Maltaite quand il dessine les modèles de voiture, Zidrou quand il évoque la première actrice afro-américaine Hattie McDaniel (1895-1952), ou le suicide de Lillian Millicent Entwistle (1908-1932) depuis le sommet de la lettre H.
L’introduction met en place le dispositif de référence qu’est le signe HOLLYWOODLAND. La narration visuelle permet d’observer Abner et son neveu Ray à l’œuvre, de les voir s’inquiéter en remarquant qu’un autre véhicule approche, et de les regarder réagir à la présence de Mister Fracchetti, très à l’aise dans ses propos à la fois sur la décision de la chambre de commerce de Los Angeles et ses conséquences économiques pour les deux hommes chargés de sa maintenance, à la fois pour son racisme ordinaire. Son sourire et son assurance contrastent fortement avec la forme de soumission inquiète d’Abner & Ray, ou avec la soumission empreinte de contentement des trois hommes de main du patron. La première histoire raconte comment Loreen se sert de ses charmes pour percer dans le métier d’actrice, une histoire très classique qui aboutit sur une chute assez noire. Les deux auteurs réalisent une case magnifique dans laquelle l’angle de vue accompagne Loreen qui a l’impression que sa chute se transforme en un envol magnifique vers le ciel. La deuxième histoire repose sur une facette sociale et historique ; les Allemands juifs ayant fui l’Europe avant ou au début de la seconde guerre mondiale. Les dessins montrent un homme d’une cinquantaine d’années avec un bel embonpoint, enjoué et appréciant d’être toujours en vie, confronté à un acteur au visage fermé et au comportement hautain, après en avoir servi un autre ayant participé au débarquement sur Utah Beach. Le récit vaut surtout pour la qualité de la reconstitution historique visuelle et par la profondeur de champ créé avec l’histoire de cet immigré, d’autant plus qu’elle ne fonctionne pas sur le principe d’une chute. Les mérites du troisième récit se trouvent également dans la reconstitution visuelle, avec cette fois-ci une chute qui sera sans surprise pour le lecteur familier de l’acteur Montgomery Clift.
Ce recueil d’histoires courtes gagne en originalité avec le chapitre cinq intitulé La Hayworth. Le scénariste met à profit la liberté qu’il s’est donnée en ne se cantonnant pas à des métiers directement reliés à la production de film. Le lecteur suit un personnage conduisant une voiture, pour s’éloigner de Los Angeles et d’Hollywood. Il doit s’arrêter parce qu’il y a un crocodile au milieu de la chaussée. Les dessins montrent la situation de manière factuelle, sans exagération comique ou dramatique. L’enjeu du récit repose sur le comportement d’une cigogne qui va déterminer le futur professionnel du conducteur. L’artiste impressionne le lecteur par sa capacité à donner à voir les personnages et les animaux d’une manière plausible et crédible, avec ce métier bien réel. L’histoire suivante prend également le lecteur au dépourvu car les auteurs choisissent à nouveau deux personnages inattendus : un aveugle faisant la manche assis sur le trottoir et une jeune femme qui s’arrête pour lui donner une pièce. Les attitudes de l’infirme campent le personnage en lui donnant des traits de caractère très sympathiques, la jeune femme se retrouvant gênée. Le scénariste mitonne des dialogues savoureux, jouant également sur le titre de films connus. L’histoire suivante repose sur un dosage un peu plus important de l’ingrédient social, avec une intrigue plus substantielle, des personnages tout aussi émouvants, et des images qui emmènent dans un milieu très particulier. Le dernier récit sort un peu du moule dans la mesure où le personnage dont il porte le prénom n’apparaît qu’à la dernière page avec Loreen, bouclant ainsi avec le premier chapitre.
Les auteurs effectuent un exercice un peu particulier : une anthologie en huit chapitres et une introduction, dont ils ont réalisé l’ensemble. Si le lecteur est déjà un peu familier de l’histoire de l’industrie cinématographique dans cette région du globe, il prend grand plaisir dans cette reconstitution d’une époque, visuelle et référentielle, même si la moitié des histoires peut lui apparaître un peu facile. S’il n’en est pas familier, il ressent la réalité d’un milieu culturel et industriel, une bonne prise de contact, avec des personnages qui présentent une réelle épaisseur, même en seulement cinq pages.