Il s'agit du douzième tome d'une série complète en 15 tomes. Il faut impérativement avoir commencé par le début de l'histoire, c'est-à-dire le premier tome. Ce manga est en noir & blanc, écrit et dessiné par Hidéo Yamamoto. Cette édition se lit dans le sens japonais, de droite à gauche.


Musumu Nakoshi se saoule en compagnie des SDF dans le parc. En rentrant se coucher dans sa voiture, il aperçoit une jeune femme sur le trottoir d'en face. Il lui semble reconnaître en elle une ancienne conquête. Le lendemain, sa capacité à voir les homoncules n'est toujours pas revenue. Il se rend chez Manabu Ito et exige de lui qu'il agrandisse son trou dans son front, jusqu'à un diamètre de 7 millimètres. Il observe dans son bureau des vêtements et des sous-vêtements féminins, ainsi qu'un article sur la self-trépanation, un individu s'étant fait un trou dans le crâne par lui-même, avec une perceuse. Ito quitte un moment son bureau et quand il revient il constate que Nakoshi est parti avec le dossier sur la trépanation. Ito s'élance à moto vers le parc publique persuadé que Nakoshi va s'auto-trépaner.


Dans le précédent tome, Nakoshi avait pris conscience de son aversion pour une vie gouvernée par le mensonge des apparences. Alors qu'il avait dans un premier temps cherché à neutraliser sa vision des homoncules, il constate qu'il ne peut plus s'en passer. Ils lui ont permis de voir au-delà des apparences, d'apercevoir le psychisme de quelques individus.


Avec ce tome, Yamamoto revient à l'horreur premier degré, et au suspense tendu. Oui, Nakoshi va le faire et rien n'est épargné au lecteur pendant 34 pages insoutenables. Avec un peu de recul, cela n'a rien de surprenant, il était déjà apparent dans le tome précédent qu'en l'état actuel Nakoshi n'était pas très bien dans sa tête, et sa vie précédente de salarié présentait également des troubles psychiques significatifs.


L'intrigue reprend donc le dessus, avec plus d'événements que dans les tomes précédents, et moins de psychanalyse. Malgré tout, il s'agit de la suite de la série "Homunculus" et le lecteur peut garder à l'esprit le thème principal de cette série : ce qui constitue le cœur de l'identité d'un individu. Il peut donc considérer les actions de Musumu Nakoshi comme révélatrices de sa pensée. Avec ce point de vue, il apparaît que la conduite de Nakoshi est de nature obsessionnelle, le conduisant à mettre sa vie en danger.


Toujours avec l'idée de l'évolution de Nakoshi en tête, le lecteur observe l'apparition d'un nouveau symbole. L'esprit de Nakoshi se focalise sur la Lune (c'est un soir de pleine Lune) et sa forme ronde. Il y voit comme la représentation du trou de son crâne, mais aussi l'absence de traits distinctifs sur les visages de ses anciennes conquêtes féminines, ou de manière inversée un puits duquel une personne n'arrive pas à s'échapper, ou encore l'iris de l'œil.


Le lecteur constate également que la quête d'absolu de Nakoshi le conduit de plus en plus à s'isoler du mode de pensée commun, et à se rapprocher des SDF pour partager leurs moments en commun. Insensiblement, de tome en tome, il s'éloigne de son mode de vie précédent, pour adopter des comportements de SDF, des individus en marge de la société par seulement d'un point de vue matériel.


À l'instar du tome précédent, le lecteur peut apprécier comment Yamamoto a développé tome par tome des signes visuels récurrents, créant une sensation de familiarité. Au-delà du simple costume toujours identique de Nakoshi et de son bonnet, il y a donc ce cercle vide, l'habitude de Nakoshi de dormir en position fœtale, les guppys, et la façade massive de l'immeuble situé en face du parc. La tentation devient forte de lire les dessins en diagonale, au risque de ne pas remarquer un détail, en l'occurrence qu'Ito ne porte plus ses piercings.


Cette histoire se déroule dans différents lieux : le parc public, les toilettes du parc, l'intérieur de la voiture de Nakoshi, l'appartement d'Ito, et un banc dans le parc. L'endroit le plus "touristique" est sûrement les toilettes du parc, où les dessins photoréalistes de Yamamoto permettent au lecteur d'en examiner l'aménagement par le menu détail : une grande pièce, aménagée pour personne à mobilité réduite (un fauteuil roulant à la place d'évoluer), avec des barres d'appui pour se relever et un tuyau d'arrosage pour nettoyer les différents endroits.


Le bureau d'Ito bénéficie également de plusieurs cases de type photographique, où il est possible de détailler sa bibliothèque, les affiches apposées au mur, sa petite table circulaire avec 3 chaises, son mur accolé au mur, avec un fauteuil à roulettes, les dossiers qui s'entassent, le microscope et le plafonnier, tout ça en 1 seule case.


Les mangas présentent la particularité de disposer d'une importante pagination, offrant ainsi la possibilité aux auteurs de jouer avec la nature des liens entre les cases, de ne pas se limiter à une causalité directe de décomposition de mouvement, ou à une succession chronologique. Yamamoto exploite cette possibilité en insérant des vues subjectives de ce que Nakoshi est en train d'observer comme un dessin en double page consacré aux nuages dans le ciel, ou 3 pages consacrées aux pelouses vides du parc (les services municipaux étant intervenus pour enlever les tentes), ou encore une page entière pour montrer les tentes restantes sous la pluie. Là encore la minutie des dessins permet au lecteur d'imaginer facilement qu'il se trouve à cet endroit, ou qu'il prend le temps de regarder par les yeux du personnage. Le récit atteint un haut degré d'immersion.


Ce douzième tome est à déconseiller aux âmes sensibles du fait d'une scène d'automutilation éprouvante de réalisme. L'histoire de Musumu Nakoshi avance à grand pas et le doute n'est plus permis sur son état de santé mentale. Hidéo Yamamoto a mis à nu la raison de vivre de son personnage, qui peut sembler totalement irraisonnée au lecteur, alors que pourtant elle a trait à la nature même de l'être humain. Nakoshi continue d'être l'avatar dessiné de Yamamoto pour ces interrogations existentielles vitales. Il n'a pas la prétention d'apporter une réponse à la question métaphysique de "Pourquoi tout plutôt que rien ?", mais son roman graphique fait ressentir au lecteur l'importance vitale du point de vue singulier développé.

Presence
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 29 janv. 2020

Critique lue 59 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 59 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime