Il s'agit du septième tome d'une série complète en 15 tomes. Il faut impérativement avoir commencé par le début de l'histoire, c'est-à-dire le premier tome. Ce manga est en noir & blanc, écrit et dessiné par Hidéo Yamamoto. Cette édition se lit dans le sens japonais, de droite à gauche.
La première partie du tome est consacrée à la vie d'avant de Musumu Nakoshi, avant qu'il ne prenne un congé de durée indéterminée. Il se remémore en particulier sa relation avec les femmes : les sortir dans des endroits luxueux, leur offrir de beaux cadeaux, et jouir de leurs faveurs sexuelles dans le cadre d'une relation consentie entre adultes.
De retour au parc des SDF, il se met à la recherche de la tente de Tomita, le SDF qu'il apercevait depuis la fenêtre de son bureau. Puis il se souvient d'un voyage en taxi, de Tokyo vers le port de pêche de Tobishima à Sakata, pendant lequel le chauffeur lui indique qu'il a travaillé pour Yamasan la même banque que lui et qu'il a été licencié. Désormais il est chauffeur de taxi et son fils lui verse de l'argent pour qu'il puisse finir ses mois.
Ensuite, il se promène dans les rues de Tokyo pour détecter et observer les homoncules qu'il peut voir. Enfin, le temps est venu d'un nouveau petit déjeuner avec Manabu Ito.
Le lecteur commence par découvrir comment se comportait Nakoshi avec les femmes, lorsqu'il exerçait la profession très bien rémunérée d'actuaire. Son comportement est purement transactionnel, sans investissement émotionnel de sa part vis-à-vis de sa partenaire. Yamamoto montre avec aisance qu'il s'agit pour Nakoshi d'une équation simple. Il dispose d'une grande aisance financière, il en fait profiter ses conquêtes de quelques soirs et elles lui sont reconnaissantes en payant en nature. Rien de compliqué, un modèle mathématique tout simple.
Les dessins de Yamamoto sont détaillés, précis et factuels, donnant corps à un environnement réaliste et luxueux, tout en transcrivant avec force les l'avidité de Nakoshi à éprouver quelque chose. Yamamoto met en opposition les postures dominantes de Naksohi, et les attitudes serviles de ces conquêtes, transportées par le plaisir matériel de ses cadeaux, acceptant avec le sourire et un certain entrain la soumission des pratiques sexuelles (fellation ou éjaculation faciale).
Yamamoto expose la frustration générée par cette mécanique : Nakoshi ne ressent rien, il n'éprouve aucune empathie. Son obsession pour les fluides corporels est à nouveau exposée, comme le symbole de sa représentation de l'interaction intime des individus. Il se représente l'acte sexuel comme le rapprochement le plus abouti avec un autre individu, et l'échange de fluide constitue le summum de cette intimité, le moment qui devrait lui permettre d'accéder à son bonheur.
Dans la séquence suivante, Nakoshi essaye à nouveau de retrouver des émotions, en s'immisçant dans les vestiges de la vie d'un SDF qu'il avait aperçu. Yamamoto a montré à plusieurs reprises que l'une des angoisses profondes de son personnage était la perte de statut social, l'absence de valeur sociale. Alors que Nakoshi a acquis une position sociale privilégiée, il a perdu la faculté d'éprouver des sentiments, autre que la terreur de perdre ledit statut.
À nouveau Yamamoto dessine avec une obsession quasi photographique. Il fait en sorte que le lecteur puisse se projeter dans la tente du SDF Tomita, jusque dans les moindres détails pratiques de sa vie, de la lampe torche suspendu, à la manière dont il range ses lunettes. Il n'y a pas de pitié sur sa condition miséreuse, juste un constat pragmatique sur la manière dont sa vie continue au quoitidien.
Après cette introspection douloureuse sur son personnage, Yamamoto s'offre un passage léger au cours duquel Nakoshi repère une demi-douzaine d'homoncules dans les rues de Tokyo, les interprétant de manière très littérale. Le lecteur a l'impression d'être revenu dans le tome 2, où les homoncules font office d'interprétation superficielle du trait de caractère principal de l'individu. Pour le lecteur un peu distrait, Yamamoto fait dire à Nakoshi que "Ces déformations d'homoncules sont mes propres déformations.", c'est-à-dire Nakoshi perçoit chez les autres ses propres conceptions de la réalité. Yamamoto met en bande dessinée, le fait qu'en tant qu'individu je m'intéresse à autrui, surtout quand j'y reconnais quelque chose de moi-même.
À nouveau Yamamoto dessine avec une obsession quasi photographique. Le lecteur est aux côtés de Nakoshi en train de marcher sur le trottoir d'une rue qui existe sûrement à Tokyo. Ces dessins méticuleux jusqu'à l'obsession sont en cohérence avec la description analytique sans concession du comportement psychologique de Nakoshi.
Dans la dernière partie, Yamamoto semble revenir à son intrigue principale : l'expérience menée sur Musumu Nakoshi, par le biais de cette trépanation effectuée par Manabu Ito. À nouveau, le lecteur accueille cette scène avec plaisir, un moment de détente dans un récit sans concession. Il ne fait plus de doute que l'enjeu du récit est de nature existentielle, entre personnalité propre de l'individu, et rapport à l'autre. À ce stade, chaque diversion est la bienvenue pour donner au lecteur le temps d'assimiler ces visions radicales de la vie en société.
Hidéo Nakoshi reste un metteur en scène exceptionnel. Cette simple conversation entre 2 individus attablés présente un intérêt visuel tout du long. Il y a bien sûr quelques alternances de champ/contrechamp entre les 2 individus, et Yamamoto montre à plusieurs reprises l'homoncule d'Ito. Il montre également les gestes des 2 convives, la manière dont Ito mange son Montblanc, ses tics gestuels (triturer son anneau nasal, claquer des doigts). Il ouvre parfois la perspective sur le paysage urbain visible par la baie vitrée, lorsque la conversation retombe ou s'ouvre sur un autre sujet. Peu d'artistes ont une telle capacité à transformer un échange de propos en un ballet visuel intégrant langage corporel, gestes anodins et environnement.
Après 6 tomes allant crescendo en intensité, le lecteur ressent ce tome 7 comme une respiration bienvenue. Il ne s'agit pourtant aucunement d'une pause. Hidéo Yamamoto consolide les thématiques développées dans les tomes précédents, et continue de sonder la psyché de Musumu Nakoshi, avec un regard pénétrant et vital. Le lecteur sait que ces questionnements sont ceux de l'auteur, qu'il s'est forgé sa propre conviction à l'aune de son expérience de vie et qu'il restitue ce questionnement et ce cheminement intime et vital au travers de son œuvre.