Il s'agit du huitième tome d'une série complète en 15 tomes. Il faut impérativement avoir commencé par le début de l'histoire, c'est-à-dire le premier tome. Ce manga est en noir & blanc, écrit et dessiné par Hidéo Yamamoto. Cette édition se lit dans le sens japonais, de droite à gauche.
Le tome précédent se terminait avec une requête de Musumu Nakoshi : que Manabu Ito referme le trou de la trépanation. Ils sont donc de retour dans le local d'opération d'Ito, Nakoshi allongé attendant le coup de bistouri, mais ce qu'il perçoit de l'homoncule d'Ito ne l'incite pas à la confiance. Après un premier échange verbal, ils conviennent de la mesure transitoire que montre la couverture.
Après cette étrange intervention, Nakoshi et Ito s'installent dans le bureau de ce dernier. Ito a pris place dans son fauteuil à roulettes, Nakoshi est assis sur une chaise en face de lui. Ito propose une nouvelle interprétation du robot du yakusa et du sable de 1775 (Yukari). Puis il demande à Nakoshi de faire la même chose qu'il leur a faite : lire son homoncule, l'interpréter, le décoder jusqu'à exposer la névrose qu'il représente, et le traumatisme générateur. Nakoshi constate que ledit homoncule semble être une silhouette d'eau ayant la forme du père d'Ito, avec un guppy évoluant dans ce singulier aquarium.
Ce huitième tome constitue la moitié mathématique de la série (composée de 15 tomes) ; le lecteur se doute bien qu'Hidéo Yamamoto n'a pas choisi par hasard de placer, à cet endroit du récit, ce face-à-face entre les 2 principaux personnages. Par contre il ne pouvait pas se douter de la longueur de celui-ci, qui s'achève dans le tome suivant. Dans un premier temps, il est réconfortant de voir que Yamamoto accorde la place nécessaire à cette étape essentielle. Il eut été dommage que cette interprétation psychanalytique soit aussi basique et artificielle que celle de l'homoncule du yakusa dans le tome 2.
Pour ce face-à-face extraordinaire, Hidéo Yamamoto prend le temps de mettre en lumière plusieurs éléments et paramètres, tels qu'une photographie d'Ito et son père, le comportement obsessionnel de Makoshi qui a choisi de se faire obturer l'œil droit (pour voir en permanence tous les homoncules qui lui sont perceptibles), l'homoncule insaisissable d'Ito (que le lecteur a pu observer à plusieurs reprises dans les tomes précédents, donnant l'impression qu'Ito est un homme invisible), le fait que les homoncules ne sont que des miroirs qui servent à Nakoshi pour projeter sa propre personnalité, et l'achat d'un guppy (espèce de poissons d'eau douce tropicale, originaires d'Amérique du Sud).
Pendant les 2 derniers tiers du tome, Manbu Ito et Musumu Nakoshi se font face, chacun assis, et Nakoshi scrute l'homoncule d'Ito, en posant des questions, en provoquant Ito sur des sujets (son complexe d'Œdipe, vite évacué par Ito lui-même), en testant des hypothèses. Comme à son habitude, Yamamoto fait preuve d'une grande inventivité et il expose avec minutie les tâtonnements de Nakoshi, pas de solution miracle, pas d'intuition providentielle, pas d'illumination soudaine.
Le fait est qu'au bout d'une centaine de pages, le lecteur a bien compris que sonder la psyché d'un individu pour en découvrir le mode de fonctionnement psychologique ne se fait pas en quelques minutes. Il a bien assimilé que l'individu étudié participe à l'observation et peut influer sur l'observateur. Il n'a pas oublié que les éléments qu'observe Nakoshi sont des éléments qui sont présents en lui-même. Il apprécie la représentation sophistiquée de l'homoncule d'Ito (avec un recours discret et mesuré aux effets spéciaux de l'infographie). Le constat est que le temps paraît long à découvrir toutes les pages pendant lesquelles Nakoshi se perd en vaines conjectures et Ito se dérobe avec facilité.
Lorsque le lecteur débute cette série, il a conscience de l'ampleur du récit (environ 3.000 pages). Il l'envisage donc comme la lecture d'une quinzaine de chapitres conséquents dont il attend qu'ils constituent autant d'étapes intéressantes dans un long voyage. Plus encore que dans un récit en 1, 2 ou 3 tomes, le voyage importe plus que la destination. Dans ce genre de manga ayant une fin bien arrêtée, le scénariste est généralement rompu à l'exercice, et prévoit longtemps à l'avance les différentes ouvertures successives qui font qu'au bout de 3 tomes, le lecteur éprouve la sensation d'avoir parcouru un chemin conséquent et que le récit a pris une ampleur qu'il ne pouvait pas soupçonner à la seule lecture du premier tome.
Àvec ce huitième tome, le lecteur a l'impression de lire une transition, pas un chapitre consistant. Il a bien intégré qu'Hidéo Yamamoto s'impose de se renouveler de tome en tome, de ne pas répéter le même schéma, ce qui le conduit à cette introspection plus empirique et plus lente que les précédentes, en outre Manabu Ito est volontaire. De fait, ce face-à-face ne présente pas de caractère malsain puisque qu'Ito est consentant, il n'y a pas de sentiment d'urgence, ou de tension née d'un affrontement. La situation de départ est telle qu'elle est dépourvue de tension narrative, et que l'enjeu est moindre que précédemment, voire très relatif.
La lecture n'est pas fastidieuse pour autant. Yamamoto décortique avec habilité et intelligence comment Nakoshi s'y prend pour essayer de cerner une interprétation. Il fait à nouveau preuve d'une intelligence visuelle remarquable. À la fois il représente avec une acuité et une crédibilité déconcertante les éléments matériels, par exemple le guppy est magnifique, évoluant avec naturel dans son aquarium, le décor de sa queue est d'une beauté épatante. À la fois la mise en scène et la direction d'acteurs sont toujours aussi visuelles. Yamamoto ne se contente jamais d'alterner champ et contrechamp, il montre les gestes des individus, leur interaction vis-à-vis de leur environnement immédiat (coups d'œil, toucher et manipulations d'objets, etc.), leurs quelques déplacements. La représentation de l'homoncule d'Ito est une merveille de délicatesse, Yamamoto s'ingéniant à montrer les contours irisés d'une silhouette invisible. Yamamoto s'amuse à montrer l'homoncule se vidant de son eau par l'entrejambe d'Ito, pour une image comique, sans être vulgaire. Il n'y a que les points de suture fermant la paupière droite de Nakoshi qui ne semblent pas crédibles, parce que trop grossiers.
Ce huitième tome constitue une déception dans cette histoire au long cours. Il est évident qu'il s'agit d'une transition entre la première moitié du récit et la seconde. Hidéo Yamamoto agence sa narration de manière à se pas répéter par rapport aux tomes précédents. L'objet de cette séquence est tel que toute tension narrative a disparu, aboutissant à une lecture intellectuelle de l'homoncule d'Ito, qui finit par apparaître artificielle et mécanique, dépourvue d'enjeu émotionnel.