Instantanément que ça vous frappe pour peu que vous n’ayez pas la mémoire qui flanche ; pour peu que vous ayez lu l’œuvre dont je vais vous parler. Au tout début, I am a Hero, je lui trouvais des airs de Bonne Nuit Punpun. Je vous parle d’un air qui, à force de se condenser, a pris forme ; si bien que la vitrine même du présent manga lui semblait analogue en tout point. Et c’est faire honneur à l’œuvre d’un mangaka de dire de sa composition qu’elle est semblable en tout point à un véritable chef d’œuvre.
Je l’ai appris au détour d’une critique sur SC – celle de nolhane pour ne pas la nommer – qu’Inio Asano et Kengo Hanazawa étaient amis. Qui plus est, I am a Hero succède de peu à Bonne Nuit Punpun en ce sens où il parut deux ans plus tard. On retrouve alors intact – à point où c’en est troublant – cette même illustration de la bassesse humaine contemporaine, notamment sentimentale. Pas une qui soit exagérée ; quelque chose de si réel que c’en est aussi douloureux à voir que délectable à lire. Le tout sera naturellement mêlé initialement à un sens du fantasque et de l’absurde trempé dans une bonne dose de nihilisme qui ne dit pas son nom. Les hallucinations de Hideo sont une copie conforme – et sans faute – de la vision de «Dieu» qu’avait Punpun. I am a Hero est le manga qu’aurait rêvé de pouvoir réécrire Inio Asano. Un lecteur qui, jonglant de Bonne Nuit Punpun à I am a Hero, sans prêter garde au nom de l’auteur, jurerait sans peine que les deux œuvres furent signées d’une même plume.
Je n’insisterai, je pense, jamais assez sur le prodige que constitue cette écriture. Kengo Hanazawa ne plagie pas, il poursuit un exact même style – aussi bien dans l’écriture et le dessin – comme s’il était lui-même l’extension artistique d’un auteur dont il est pourtant presque impossible de faire son imitation sans le trahir. Cette proximité entre les deux styles, cette même vision apparemment partagée par deux auteurs, tient de la fusion.
I am a Hero, évidemment, se démarquera – et de beaucoup – de Bonne Nuit Punpun à mesure que son récit bifurquera sur le scénario de pandémie zombie. Un contexte qui, bien qu’on ne peut plus éculé dans la fiction, sera toutefois traité ici comme jamais auparavant.
Le dessin, souvent similaire aux esquisses de Bonne Nuit Punpun – j’insiste, mais à dessein – est très travaillé. Les plans et le paneling s’emploient souvent à être audacieux sans virer à la pose ou l’outrecuidance stylistique. Il y a des idées derrière l’agencement des cases et la mise en scène, et elles sont savoureuses. Ce n’est pas mentir que de dire qu’un lecteur qui passerait d’une œuvre à l’autre peinerait à voir la différence. Le trait d’Inio Asano, néanmoins, est autrement plus élaboré. Ce qui n’ôte aucun mérite au dessin de Kengo Hanazawa dont la qualité vient naturellement au bout de ses crayons.
Les premiers volumes, aux prémices d’une infection dont les conséquences seront évidemment cataclysmiques, nous passeront très vite dans les mains. Tout s’y passe vite alors qu’Hideo évite les douilles sans vraiment trop se contorsionner, devant son salut à une chance insolente plutôt qu’à ses mérites propres. Le personnage est grotesque de toute la modernité urbaine dont il est fait. Lâche – comme tout à chacun – n’osant trop s’afficher, toujours au fait des convenances sociales auxquelles il ne déroge pas de peur d’être mal vu, il vit initialement l’Armaggedon sans se départir de la bienséance et des normes de savoir-vivre. Aussi, après avoir fui le train en toute hâte pour échapper aux zombies amenés à s’entre-dévorer, il laisse sa carte pour le paiement d’un terminal détruit. Il paye le taxi dont le chauffeur, devenu zombie, est mort dans l’accident qu’il a lui-même généré. La satyre est drôle car elle est percutante. Ces Japonais, très à cheval sur l’étiquette et le decorum, sont ainsi raillés par un auteur qui montre à quel point leurs normes civiques outrecuidantes et étriquées sont absurdes une fois que la paix sociale n’est plus de ce monde.
Hideo n’est pas un lâche à proprement parler, il est l’incarnation même de la conséquence d’un monde laissé en paix depuis trop longtemps. Incapable de se débrouiller par ses propres moyens, constamment indécis, il n’est pas une exception dans le panorama de cette humanité moderne, mais un des immondes symptômes de la norme. Même à le caricaturer dans ses accès de ridicule, l’auteur en fait un personnage si crédible qu’on se trouve gêné de parfois se reconnaître en lui. C’est un urbain en somme, la plus modeste forme de vie existante ; la plus méprisable qui soit.
Consternant d’un égoïsme là encore bien réel au point même de ne l’être que trop, il ne devra sa survie qu’à la bénévolence de contemporains auxquels il n’aura apporté que bien peu de choses en échange. Sa petite amie, trop bien pour lui qui est si méprisable quand on le regarde autant en fond qu’en surface, s'arrache les dents en se sachant infectée pour ne pas mordre celui qu’elle aime et qui, sans l’ombre d’un doute, est indigne d’elle. L’ingratitude du personnage d’Hideo est si peu exagérée qu’elle nous fait sincèrement mal quand on s’en trouve spectateur, car elle illustre un travers humain dont on préférerait détourner le regard que de l’observer de face. C’est pas beau à voir, et c’est pour ça que c’est bon ; c’est pour ça qu’il ne faut pas en perdre une miette.
Viennent les zombies. Les ZQN. Des infectés dont on ne saura jamais pourquoi ils l’ont été, ni comment. Grotesques eux aussi, ayant pour beaucoup gardé des bribes de leur vie d’humain, ils sont contorsionnés curieusement, ânonnant parfois des phrases désarticulées sans trop de sens. Picturalement, c’est nouveau ; dans l’idée, aussi longtemps qu’ils contamineront par la morsure, ils ne resteront que d’indécrottables zombies. L’auteur aura pris parti de détailler leur fonctionnement qui, alors, s’avérera aussi nébuleux que complexe une fois étudié plus en profondeur depuis le truchement de Kurusu.
Malgré le chaos, en dépit du fait que l’humanité soit sur la pente de l’extinction sous le poids de la pandémie, on retrouvera constamment les piques sociétales parsemer le récit. Le monde d’avant n’est pas encore assez sorti des esprits de ceux qui s’acclimatent à ce nouvel environnement hostile. Alors on en reste à discuter du sexe des anges, sujet bien mal à propos au milieu de l’Enfer ambiant qui, par contraste, accentue le grotesque de la situation. Un sens du grotesque qui, ici, est voulu, contrairement à Fire Punch où l’on cherchait à faire pleurer sur la dysphorie de genre à l’aune du ère glaciaire qui signait la fin de tout.
Hideo, parce qu’il n’a pas le choix, parce que la société moderne n’est plus là en rempart pour qu’il s’y adosse, doit devenir responsable. On attend de lui qu’il soit un homme quand, comme tout la masse humaine pourrissante des grands centre urbains, on n’avait jamais espéré de lui qu’il soit autre chose qu’un consommateur sans aspiration. Passer à l’âge adulte tout d’un coup quand on a trente-cinq ans, devenir quelqu’un sur qui d’autres comptent, c’est un cap dans une vie, un qu’il peinera à franchir, mais que les circonstances le pousseront à gravir à coup de pompes dans le cul. La réalité, quand elle revient de là où on croyait l’avoir chassée, n’est pas précautionneuse et déniaise sans étape liminaire.
Ce serait faire offense à l’œuvre que de dire d’elle qu’elle tend vers un de ces scénarios où il n’est plus question que de baston. Par instants cependant, l’action, en devenant prévalente, laisse cette impression. Hiromi, devenue un super-zombie du côté d’Hideo, suggère des soupçons d’impressions qui vous évoquent l’Attaque des Titans où un personnage principal use des mêmes forces que ses antagonistes. I am a Hero ne se limitera pas à ça et connaîtra bien des remous scénaristiques avant que l’écume ne perde de sa saveur. Mais le sel de l’œuvre, irrémédiablement, nous fera peu à peu défaut jusqu’à ce qu’il soit tari.
On trouve parsemé ici et là dans l'intrigue une foultitude de parti-pris narratifs innovants pour assaisonner et diversifier la sauce à différentes occasions du festin qu'on vient faire ici. Le fait de voir à travers les masques par exemple, la narration de chroniques d'un survivant sur journal ou encore les discussions sur 2chan durant l'évolution de la situation sont toutes d'excellentes idées dont on ne pourra être qu'impressionnés au moins pour ce qui est de la forme de leur présente exploitation.
Lorsque je commençais à m’ennuyer de la partition d’Hideo, l’auteur, vraisemblablement au fait des ressentis de son lectorat, bifurqua vers un nouveau protagoniste temporaire en la personne de Takeshi. Différentes perspectives permettant alors de redécouvrir le phénomène d’un autre angle avec un nouveau groupe pour nous sortir de la torpeur et du train-train.
Puis, Hiromi guérit de l’infection sans trop qu’on sache comment ou pourquoi.
À compter de l’intrigue des bains, l’aléatoire dans le récit s’installe confortablement sans s’essuyer les pieds en entrant. Le lecteur découvrira l’univers des ZQN dans une série de révélations ponctuelles et sans cohérence, pour la seule finalité de tirer sur cette ficelle scénaristique… sans toutefois aller jusqu’au bout de la pelote. Car sachez-le, vous terminerez votre lecture de I am a Hero sans avoir de réponse à la moitié des questions que vous fûtes susceptibles de vous poser. Des choses surnaturelles se passent parce qu’elle se passent ; le « pourquoi », de là, nous sera proscrit. Mais c’est encore lorsqu’on obtient les réponses qu’on regrette de s’être posé la moindre question. L’auteur nous présente de nouveaux concepts au détour d’un chapitre ; qui un ZQN qu’on peut manipuler quand il nous avale, qui, des monstres géants, qui, un personnage qui rajeunit ; c’est bien simple, j’en revenais à mes hantises du temps de Gantz… L’improvisation, même bien gérée, reste inéluctablement improvisée. Jamais, cependant, l’ennui ne trouvera sa place dans la lecture. Sauf peut-être au détour de l’Italie. Et de cette interminable discussion précédant un coït dont l’inanité m’aura rappelé les plus grandes heures de La Fille de la Plage. Ça se passait justement en bord de mer. De quoi rejoindre Asano de nouveau en empruntant cette fois le mauvais cjemin. Et ça s’étire durant un temps indu qui paraît ne jamais en finir. On accueille le retour des querelles de Tokyo comme une délivrance.
Peu de choses adviennent dans les chapitres du trio Hideo-Oda-Hiromi – qui virera par ailleurs au trio amoureux… – les chapitres nous glissent dessus et s’écoulent une goutte après l’autre dans un déluge qui ne se décide pas à définir sa finalité. Enfin, l’arc Tokyo, le dernier, se dessine. L’aventure aura duré le long temps, mais peu de contenu y aura été fourré quand le recul nous permet de prendre de la hauteur. Ça se lit très vite.
Tout ce beau bordel – car c’en devient un – ne finit pas dans la grâce. Un fatras général, bien qu’à peu près convenablement orchestré à ses débuts, s’agence tandis que tout part dans tous les sens dans un sentiment de chaos ambiant dont le contrôle échappe peu à peu à son auteur. Tout s’invente sur le tard sans que trop rien ne le justifie. Un Bio-Meat : Nectar a des leçons à donner, et des belles, dans le registre de l’invasion de nuisibles monstrueux. Ici, c’en fut quelconque, voire même gênant.
Avec une emphase prononcée sur la scène du fantasme infecté où la fille avec dysphorie de genre viole sa sœur avec une bite arrachée… ça n’a ni sens, ni intérêt. Tout comme la révélation de « qui est Kurusu ? ». Un pet foireux et bien sale, rien moins.
Et c’est sans compter la toute fin. Cinq chapitres de vide monologué avec, au bout du bout, un épilogue plein d’un sens du sirupeux qui ne s’avérera pas même convainquant pour un sou.
Je me rends compte qui plus est que malgré les mort, aucune ne fut déchirante car, bien que le personnage principal fut savamment élaboré, le reste n’inspirait rien en dépit du travail réel venu les détailler. Ils avaient les fibres, mais l’âme leur faisait cruellement défaut, aussi se foutait-on qu’ils vivent ou qu’ils meurent.
Les variables qui constituèrent le dernier cinquième de l’œuvre furent trop aléatoires pour satisfaire son Homme. C’est à un lancer de dé dont nous fûmes les victimes, et pas un qui fut particulièrement heureux. Sans se terminer sur un absolu désastre comme je n’ai que trop vu ça ailleurs, la fin n’a pas de sens dès lors où jamais l’intrigue ne se sera orientée vers une destination quelconque. Dès lors, l’auteur a tenu ses promesses puisqu’il ne nous en a fait aucune pour commencer. Il a fini son œuvre ici comme il aurait pu l’achever ailleurs. Un pis-aller pour un arc final, des actes et des éléments d’intrigue dont la finalité est si discutable qu’on ne se sent même plus d’en faire mention. Ça a gâté la viande. Mais pour peu qu’on l’ingurgite en vitesse, qu’on ne cherche pas à la savourer longuement, on ne sent pas trop le goût du faisandé. I am a Hero est à lire, mais d’une traite seulement.