Iceberg
5.4
Iceberg

Comics de J.M. DeMatteis et Alan Kupperberg (1987)

Ce tome comprend une histoire complète consacrée au personnage d'Iceman (Iceberg en français) qui ne nécessite pas de connaissance particulière du personnage pour être comprise. Il contient les 4 épisodes de la minisérie, initialement parue en 1984/1985, écrite par John-Marc DeMatteis, dessinés par Alan Kupperberg, encrés par Mike Gustovitch, avec une mise en couleurs réalisées par Bob Sharen. Les couvertures ont été dessinées par Mike Zeck, encré par John Beatty, sauf celle de l'épisode 2 qui est encrée par Bob McLeod. Ce tome contient également l'histoire consacrée à Iceman parue dans Bizarre Adventures 27, écrite par Mary Jo Duffy, dessinée par George Perez et encrée par Alfredo Alcala. Cette deuxième histoire est en noir & blanc avec des nuances de gris.


Iceman 1 à 4 - L'histoire commence étrangement avec un peuple réduit en esclavage sur une planète extraterrestre. Dans une forteresse, un grand individu encapuchonné, assis sur un trône, missionne 2 individus The Idiot & White Light, pour une tâche non explicitée. Pendant ce temps-là, Iceberg arrive à Port Jefferson, à Long Island. Il repère sa cousine Mary dans la rue et descend la prendre avec une piste de glace qu'il a générée. En papotant avec elle chemin faisant sur la piste glacée, il remarque une belle jeune femme en contrebas sur un trottoir. Il va se présenter à elle, en se vautrant à ses pieds. Elle se prénomme Marge.


Iceman reprend son identité humaine de Robert Drake et va saluer ses parents chez eux : Madeline & William Drake. Comme à leur habitude, ils se montrent très aimants, mais aussi un peu trop envahissants, comme si leur fils était encore un enfant. Il est venu leur rendre visite à l'occasion de la fête organisée par ses parents pour le départ à la retraite de son père. Pendant la soirée, il se fâche avec son cousin Joe qui lui a pris la tête sur la poursuite de ses études. Il part se promener et croise à nouveau Marge, avec qui il commence à papoter.


A priori, cette histoire n'a pas grand-chose pour attirer le chaland. Pour commencer, elle a été commanditée par les responsables éditoriaux Marvel pour étoffer le nombre de miniséries offertes à la vente. À la même époque, Hank McCoy a droit à sa propre minisérie tout aussi sortie de nulle part : Beauty and the Beast, écrite par Ann Nocenti, dessinée par Don Perlin. Le lecteur sent bien que Marvel essaye de capitaliser sur les X-Men de l'équipe originelle, sans encore avoir trouvé la bonne formule. Ça viendra plus tard avec la création de X-Factor, c’est-à-dire la reformation de l'équipe originelle, mais c'est une autre histoire. En attendant, John-Marc DeMatteis a déjà rapatrié les laissés pour compte (Angel, Beast, Iceman) dans l'équipe des Defenders, époque New Defenders.


Ensuite, cette histoire envoie Iceman dans une banlieue résidentielle, pas vraiment un endroit de rêve pour des aventures de superhéros. En plus il est rabaissé à l'état de grand enfant par la présence de ses parents. La narration fait un peu datée : bulles de pensées à gogo, explications très détaillées, rappel des principaux événements en début de chaque épisode, alors qu'il s'agit d'une minisérie en 4 épisodes. Iceman se bat contre des supercriminels hauts en couleurs et ridicules, suite à un quiproquo téléphoné. Le grand méchant semble habillé d'une grande robe, avec une sorte de torchon sur la tête et une ceinture de crâne, juste pour faire macabre. Alan Kupperberg réalise des dessins descriptifs un peu appliqués, par toujours très jolis, avec une forme de simplification qui les destine à de jeunes adolescents, et parfois des postures évoquant vaguement celles spécifiques de Steve Ditko. L'intrigue en elle-même montre Iceman enlevé par les agents d'Oblivion, par erreur, projeté dans le passé, puis menacé d'être effacé de la réalité, suite à une méprise. Ce récit est très loin des aventures traditionnelles contre le supercriminel du mois, et il y règne une atmosphère un peu gentille qui neutralise une partie de la tension dramatique. Bref, le lecteur venu chercher son quota d'action et de combat physique reste sur sa faim, ayant l'impression que les auteurs ont ramené le personnage dans une aventure pour grand adolescent encore sous la coupe de ses parents.


Dans le même temps, le lecteur se rend compte que la narration est dense, chaque épisode nécessitant une fois et demi à deux fois le temps de lecture d'un comics normal. Il note aussi que tout au long de ces 4 épisodes, il a accès au flux de pensée de Bobby Drake, sous la forme de bulles de pensée. Assez taquin, John-Marc DeMatteis fait apparaître que Bobby Drake n'est pas très sûr de lui. Il sent bien qu'il va devoir se justifier auprès de ses parents de ne pas avoir continué ses études de comptable. Il est à la fois content de revoir ses parents, et appréhensif de revenir dans des schémas comportementaux où ils le traitent comme un gamin. Lors de la soirée de départ à la retraite, il répond sèchement à son cousin bien rangé, refusant de se conformer aux attentes très ordinaires de sa famille. Même si la pièce principale de la maison des Drake semble un peu trop spacieuse, Alan Kupperberg sait transcrire l'atmosphère très banale de cette soirée, avec les différents invités sagement bien habillés pour faire honneur au retraité. Même si chaque lecteur n'a pas vécu son cheminement vers l'âge adulte de la même manière, il reconnaît bien là l'un des points de passage obligé : constater que ce que l'on est déjà devenu est différent de ce que sont ses parents, et différent aussi de ce qu'ils avaient imaginé ou envisagé pour leur progéniture.


Du coup, le lecteur ressent rapidement une forte empathie pour ce jeune homme qui essaye de s'émanciper et d'assumer ce qu'il est devenu depuis qu'il a quitté ses parents. Les dessins très pragmatiques de Kupperberg en font un individu normal, très ordinaire ce qui facilite la possibilité pour le lecteur de se projeter dans ce personnage. S'il a déjà lu d'autres récits écrits par John-Marc DeMatteis, il reconnaît bien là la capacité de ce scénariste à aborder des questions spirituelles de manière franche, sans être naïve. Il ressent l'honnêteté de la démarche. De fait, en attaquant le deuxième épisode, il se rend compte que le scénariste continue à développer ce thème : l'évolution de la relation qu'un fils devenu indépendant entretient avec ses parents. Alors que Marge (Margaret) se retrouve en 1892, Bobby Drake se retrouve en 1942, face à ses parents, alors de jeunes adultes entamant leur vie autonome. En ayant en tête le thème principal du premier épisode, cette nouvelle phase de l'aventure fait entièrement sens. Alors que Bobby Drake se plaint que ses parents ne soient pas capables de s'adapter au fait qu'il a grandi et évolué, lui-même doit accomplir l'effort de les regarder comme des individus à part entière, avec leur histoire personnelle. Il doit se montrer capable de modifier l'image qu'il s'est construit d'eux, comme un enfant dépendant des adultes qui l'élèvent. Alan Kupperberg utilise un jeu d'acteurs un peu surjoués, et des expressions des visages exagérées, aboutissant à une dramatisation appuyée. Le lecteur peut y voir une forme de naïveté visuelle, mais aussi la manière dont Bobby Drake regarde les autres, c’est-à-dire avec un état d'esprit encore un peu juvénile.


En progressant dans le récit, le lecteur se retrouve donc face à l'incarnation de l'Oubli dans l'univers Marvel. À nouveau, il peut trouver que John-Marc DeMatteis fait dans la série à budget limité. Ce personnage métaphorique présente une apparence ridicule, avec une tenue fauchée et générique. Il fait pâle figure à côté d'autres incarnations comme Eternity, In-Betweener, Love & Hate ou même les 2 têtes flottantes comme Lord Chaos & Master Order. Mais le scénariste sait faire s'exprimer la saveur de ce concept de 2 manières. Pour commencer, le lecteur se rend compte qu'Oblivion traverse une crise de paternité, avec un de ses enfants qui se rebelle contre lui. La configuration est bien plus drastique que celle entre Bobby Drake et ses parents, puisque la relation qu'entretient avec son rejeton est de nature fusionnelle, au degré le plus élevé. Il établit ainsi une image déformée entre ces 2 relations parentales, permettant de mieux faire ressortir les caractéristiques spécifiques de celle entre Bobby et ses parents. Alan Kupperberg fait le nécessaire pour donner une forme visuelle à cette ultime confrontation, malgré un décor aux abonnés absents. En effet, Oblivion étant une forme d'entropie ultime, dans laquelle tout est voué à l'oubli, son château lui-même n'est fait que de noirceur. Le lecteur est quand même en droit de se demander ce que sont devenus les éléments de décors (par exemple la planète extraterrestre) présents au début du premier épisode.


Il est bien sûr possible de voir une autre métaphore dans cette personnification de l'oubli. De manière littérale, Iceman est confronté à l'oubli. Alors qu'il a fait partie des X-Men d'origine (l'équipe dont la série vend le plus d'exemplaires à l'époque), ce personnage a été écarté et peu de lecteurs se préoccupe de son sort. Lorsqu'il n'est pas sous forme de glace, il se balade en slip blanc et bottes blanches, une tenue des plus ridicules. Il n'a pas de supercriminel charismatique qui lui soit spécifique. Il ne dispose pas d'une vie privée qui fasse rêver. Bref, il n'existe qu'en tant que personnage secondaire, d'abord dans une série qui a périclité (la série initiale Uncanny X-Men), puis dans une équipe faite de bric et de broc (les Champions), puis encore dans une (non-)équipe composée de personnages laissés pour compte, les Defenders. D'une certaine manière, disposer de sa propre minisérie permet à Iceman d'exister et de se confronter à ce risque d'oubli, soit un métacommentaire qui constitue une partie de la minisérie.


Ces 4 épisodes ne payent pas mine et il est à craindre que pour beaucoup de lecteurs, il s'agisse d'une vieillerie ne présentant d'intérêt que comme témoignage d'une époque révolue, à la fois pour la gentillesse de son personnage principal, et pour les dessins un peu datés. Mais pour le lecteur qui fait l'effort de commencer sa lecture, il succombe rapidement au charme désuet de la narration visuelle, et il découvre un regard pénétrant sur un passage de la vie humaine, le moment où parents et enfant doivent réviser la manière dont ils se considèrent.

Presence
9
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le 27 sept. 2019

Critique lue 113 fois

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