Ce tome contient une histoire complète et indépendante de tout autre. Il rassemble les 5 épisodes, initialement parus en 2009, écrits par Warren Ellis, dessinés par Gianluca Pagliarani, encrés par Chris Drier, avec une mise en couleurs réalisée par le studio Digikore.
À Berlin en 1956 (dans une Histoire alternative), Mary Raven est en train de s'entretenir avec Lionel Crabbe (surnommé Buster) sur l'état du monde, le choix des nations de renoncer l'une après l'autre à l'exploration spatiale. Arthur Raven (surnommé Rock, le propre père de Mary) a été un de ces explorateurs spatiaux qui a établi un contact avec des races extraterrestres, qui ont abouti à des échanges commerciaux. Il est mort récemment, assassiné dans son lit. Mary Raven a décidé d'aller récupérer les affaires de son père à Ignition City, car elle sait que sa mère ne s'en occupera pas, divorcée depuis plusieurs années. Elle n'a pas beaucoup d'autres perspectives car le gouvernement a confisqué son vaisseau spatial, et c'était sa vocation depuis sa plus tendre enfance. Ignition City est construite sur une île artificielle qui comprend également plusieurs spatioports. Elle s'y rend avec son propre aéronef. À la douane, l'employé inspecte ses affaires et lui confisque son arme à feu.
Sur place, Lightning Bowman est en train de passer aux toilettes, mais il n'arrive à faire que des petites crottes de lapin, à cause d'une alimentation exclusivement à base de pilules alimentaires. Il jette le produit de son excrétion par la fenêtre, et les crottes tombent sur la combinaison de Yuri Gagarine qui piquait un roupillon dans la rue. Lightning Bowman se rend au bar de Gayle Ranson pour descendre sa bouteille de whisky quotidienne. Gayle demande à Piet Vanderkirk de sortir pour réceptionner l'arrivage de marchandise, en particulier le chargement d'eau potable, en lui demandant de vérifier que le responsable du convoi n'a pas trafiqué les niveaux comme la fois précédente. La prise en charge se passe mal, et Vanderkirk abat 2 individus dont le responsable du convoi. Mary Raven arrive sur ces entrefaites pour prendre un verre au bar et commencer à poser des questions sur les circonstances de la mort de son père. Peu de temps après le Marshall Pomeroy arrive pour tirer au clair la mort de 2 des convoyeurs, et récupérer un pot-de-vin supplémentaire pour fermer les yeux.
Lorsqu'il découvre cette histoire complète publiée par Avatar, le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre. Il bénéficie d'une belle couverture évoquant la manière de peindre d'Alex Ross, ainsi qu'une forme de science-fiction des années 1940, avec un bel héros et son jet-pack. Mais c'est la belle dame qui occupe le premier plan et qui tient une arme dans la main. Il se rend vite compte que l'artiste qui a été affecté sur la série est de nationalité italienne, ce qui laisse supposer un montage de la part de l'éditeur pour faire baisser les coûts de mise en images du scénario. En feuilletant rapidement le tome pour se faire une idée, il constate qu'il y a bien un personnage qui porte un maillot avec un éclair évoquant Flash Gordon par Alex Raymond (1909-1956), et que le cadrage des prises de vue met régulièrement en avant la poitrine de l'héroïne ou son postérieur, sans compter sa tenue qui laisse son nombril à l'air et qui met en valeur son ventre plat. Mais d'un autre côté, ça reste du Warren Ellis, ce qui assure un minimum de qualité. Il se plonge dans sa lecture et commence par une bonne tranche d'exposition sous la forme du dialogue entre Mary Raven et Lionel Crabbe, ce qui permet au scénariste d'expliquer qu'il s'agit d'un passé alternatif et si la conquête de l'espace a bien eu lieu, elle n'a pas apporté les l'aventure escomptée. Dès cette scène, il est rassuré sur le fait que le scénariste n'écrit pas un pastiche, mais une histoire originale, porteuse de désenchantement quant aux lendemains qui chantent promis par l'âge d'or de la science-fiction.
Le lecteur se rend compte qu'effectivement Gianluca Pagliarani affectionne les cadrages suggestifs sur l'héroïne, mais dans le même temps il ne la transforme pas en une poupée siliconée avec une poitrine défiant la gravité, ou avec un postérieur trop pneumatique. Malgré ces cadrages pas toujours judicieux, l'artiste montre une jeune femme qui ne joue pas dans le registre de la séduction. Conformément au scénario, elle consomme de l'alcool pour ses effets anesthésiants. Son langage corporel montre un individu avec une forte détermination, concentré sur son objectif qui est d'éclaircir les circonstances de l'assassinat de son père. De la même manière, les cadrages sur Gayle Ranson dénotent une forme d'attirance régulière du regard vers ses rondeurs, sans non plus qu'elles soient mises au premier plan. Mais les angles de vue inclinés font bien ressortir les reliefs féminins, ce qui n'est pas le cas pour les personnages masculins. Sous réserve que le lecteur ne fasse pas un blocage sur cette forme discrète de fixette, il peut prêter plus d'attention au reste des dessins.
En ce qui concerne les personnages, la qualité de la représentation des visages fluctue d'une case à l'autre, sans que le lecteur ne sache pourquoi Pagliarani et son encreur Chris Dreier ne sont pas constants. Parfois les expressions sont justes et éloquentes ; d'autres fois les visages sont rapidement détourés, avec un manque de finition très surprenant. Pour le reste, ils réalisent un casting d'acteurs dont le lecteur retient aisément les caractéristiques et qu'il reconnaît au premier coup d'œil. Les postures des personnages apparaissent généralement naturelles, et très adaptés à la nature de la séquence. Le lecteur s'en rend d'autant mieux compte que Warren Ellis a intégré de nombreuses scènes de discussion, pas toujours simples à rendre visuellement intéressante, et reposant donc pour une partie significative sur la direction d'acteurs. L'artiste sait faire varier les angles de vue, montrer les arrière-plans, donner des gestes naturels aux personnages pour éviter des plans trop statiques constitués uniquement de têtes en train de parler.
Pagliarani et Dreier ont également fort à faire dans la mesure où il leur appartient de donner à voir cet environnement de science-fiction. Ils conçoivent une forme de rétrofuturisme amalgamant la véritable technologie de l'époque (les années 1950) avec des éléments de science-fiction fortement inspirés et rendant hommage à a science-fiction des années 1940, la composante baroque en moins. En outre, le dessinateur ne s'économise pas sur les décors qui sont représentés dans plus de 95% des cases, ce qui est énorme pour un comics, et ils ne sont pas constitués d'uniquement 2 ou 3 traits qui se croisent. Le lecteur peut ainsi s'installer confortablement dans un fauteuil dans le bureau de Lionel Crabbe et admirer la décoration. Il sent également la boue lui coller aux chaussures alors qu'il arpente les rues d'Ignition City avec Mary Raven. En outre, les décors sont rendus plus consistants par une mise en couleurs un peu sombre, sans exagération systématique des dégradés pour augmenter les reliefs. Le lecteur oublie facilement les cadrages et angles de vue pas indispensables pour apprécier la consistance des environnements qui lui sont montrés et qui font exister ces endroits.
Grâce aux dessins qui lui permettent de se projeter dans chaque lieu, le lecteur n'a pas besoin de déployer des trésors de suspension consentie pour rentrer dans l'histoire. Ill s'implique donc plus facilement dans ces dialogues qui servent à détailler la situation globale, ainsi que les relations préexistantes entre les personnages. Warren Ellis utilise à la fois les conventions de la science-fiction et celles du polar. Cet amalgame s'avère très réussi, dégageant ses saveurs particulières, au fur et à mesure que l'enquête de Mary Raven progresse. Le lecteur fait la connaissance d'individus prisonniers de leur histoire personnelle, en grande partie façonnée par des forces politiques qui les dépassent. Il comprend petit à petit quelles sont les forces en place et les petits trafics juteux. Il voit des représentants de l'humanité continuant à survivre tant bien que mal, malgré les conditions de vie à Ignition City, la corruption, les affaires et une forme de déchéance. De manière littérale, ces personnages ont tutoyé les étoiles, et ils se retrouvent sans moyen de retourner voyager dans l'espace, les yeux encore pleins d'étoile, souffrant d'une forme de sevrage non voulu, sans espoir de retrouver les mêmes sensations, sans produit de substitution. Dans le même temps, l'enquête et la détermination de Mary Raven met à jour ces activités illégales, ces compromissions, cette absence d'espoir, en bousculant des individus qui oscillent entre la passivité et es soubresauts frénétiques du désespoir.
En découvrant l'existence de ce tome, le lecteur part avec des préjugés du fait de l'éditeur qui dispose de moyens limités, et d'un appariement avec un artiste pas forcément en phase avec les intentions du scénariste. Il se rend progressivement compte qu'il ne s'agit pas d'une histoire de fond de tiroir de Warren Ellis, mais d'un polar bien noir sous les apparats d'un récit de science-fiction, et que Gianluca Pagliarani s'est fortement investi pour donner à voir cette ville uchronique, bien complété par une mise en couleurs oins mécanique que d'habitude pour les productions Avatar.