Mais pourquoi ?
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en allant voir ce film. Je suis un gros gros fan de Miyazaki et j'avoue que la bande annonce me vendait un peu du rêve, mais la peur de la déception est...
Par
le 2 nov. 2023
3 j'aime
Comment commencer cette critique, fruit de réflexions que je n’ai jamais réussi à mettre sur papier durant mon court séjour sur l’île volcanique aux milles couleurs dont je viens de m’extirper il y a un instant ?
Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête, suite à cette première interaction avec l’artiste Marie Spénale dont j’ai découvert le travail grâce à la chaîne du Fils de bulle. Et je dois dire que ces petites vacances improvisées dans son univers arc-en-ciel auront été agréables certes, mais peut-être pas aussi abouties que ce que j’aurai aimé. Mais commençons par le bon, parce qu’il y a beaucoup à dire.
J’aimerai tout d’abord saluer le féminisme de l'œuvre qui a la qualité de ne jamais s’être nommée au cours de ma lecture. Marie est une artiste de gauche qui n’a pas honte de dire dans ses vlogs qu’elle travaille en écoutant Mediapart en arrière-plan (ou quelque chose du genre) et de parler de la prédation des maisons d’édition qui rend toujours compliqué le souhait des auteurs de BD à avoir des conditions de vie décentes. Pourtant, même si son rapport au monde ressort dans sa création, il est révélé uniquement de manière organique au travers des destins de personnages écrits comme de vrais personnes plutôt que comme des pancartes idéologiques.
S’il est évidemment dans cet ouvrage question de patriarcat, jamais ce mot n’apparaîtra dans les monologues intérieurs de la naufragée Annie qui semble caresser du doigt le problème à plusieurs reprises sans jamais en prendre conscience. Et tant mieux, ça n’aurait pas été crédible.
Ce propos sur le rapport entre homme et femme, il transparaît uniquement dans leurs actes. Ici, c’est toujours l’homme qui agit et la femme qui réagit. On le voit dans la manière dont le duo échoué sur l’île est amené à remettre en question les carcans traditionnels de son genre. Claude se féminise, traversant l’épaisse et foisonnante jungle de manière élancée telle une ballerine. Il contorsionne son corps avec manières et s’enferme dans le mutisme parce qu’il le veut. Il aime bien ne pas parler, alors il ne parle pas. Il aime s’amuser alors il s’amuse.
À l’inverse, Annie ne se masculinise pas par choix, mais parce qu'elle n’a pas le choix. Elle met un pantalon parce qu’un pantalon c’est plus pratique pour se mouvoir qu’une robe et des collants. Elle se coupe les cheveux parce que sa crinière de femme devient un fardeau au milieu des feuillages. Annie est passive, mais jamais au sens où elle ne prend pas de décisions. Elle est passive parce que ses décisions semblent toujours se faire en réponse à une situation qu’elle subit plutôt que comme une initiative absurde qui émerge de son libre-arbitre.
Cela devient d’autant plus limpide lors de la conclusion de cette aventure, qui se clôt lorsque la civilisation revient chercher nos deux tourtereaux. Claude se fait appeler et c’est lui qui fait le choix de revenir. Annie, elle, est ramenée de force au bateau. Claude prend la décision de reprendre la relation avec sa femme là où il l’avait laissé. Annie, pendant un court instant, semble prendre la décision de rompre avec son mari avant de se rétracter. Celui-ci a décidé de ne pas avoir la discussion qu’elle lui proposait d’avoir, alors elle abandonne et fait le choix de l’aimer à nouveau.
Mais bien sûr, cette BD parle de bien d’autres choses. Avant de parler de rapport homme / femme, il est avant tout ici question pour une personne âgé de faire le bilan de sa vie à deux avec mélancolie. Et les couleurs dissonantes et criardes des décors paradisiaques permettent d’effacer la réalité dure et froide de la survie en terrain hostile en un lieu abstrait qui vient décorer et refléter une aventure avant tout intérieure. Il y a longtemps que je t’aime est verbeux. Très verbeux, mais jamais trop. Les bulles de pensée qui s’enchaînent auraient pu me faire soupirer mais ça n’a jamais été le cas. Déjà parce que l’élégance de la mise-en-page et le trait épuré ont rendu ma lecture toujours fluide et compréhensible, mais également parce que ce vrombissement intellectuel a tout à fait sa place lorsqu’un individu est plongé dans un tel environnement, seul avec lui-même ou presque.
Malheureusement, aussi réussi que soit tout cela, c’est aussi ici que l'œuvre pèche sur un point essentiel. Le concept de donner la parole à une femme âgée a beau être intéressant comme point de départ, le trajet jusqu’à l’arrivée est handicapé par un cailloux petit mais néanmoins désagréable : l’autrice n’est pas une femme âgée, et ça se sent. Comment ne pas parler de soi lorsque l’on en vient à écrire des choses si personnelles, si intimes ? La fiction est un mensonge, certes, mais un beau mensonge est toujours empreint de vrai. Et ici, le vrai des pensées d’Annie se ressent non pas comme le vrai d’une femme à la retraite mais bien celui d’une femme dans la trentaine. Je ne doute pas que Marie a pris soin d’interroger ses grands-parents dont elle semble proche dans ses vlogs, pour pouvoir mieux s’imprégner du regard sur le monde qu’on peut avoir à un âge si avancé, mais visiblement, ça n’aura pas suffit.
Cette dissonance entre l’âge de la protagoniste et la manière dont elle est représentée dans l’histoire se ressent aussi sur le plan esthétique. J’ai beau adorer le style graphique qui se dévoile devant moi, la force du trait dépouillé se transforme en épée à double tranchant. Il sert certes le plaisir de lecture mais vient contredire le discours sur le rapport au corps et à la vieillesse. Annie nous parle des rides qui marquent sa chair, mais à part les traits supplémentaires apposés sur son visage, la simplicité du dessin ne permet jamais de retranscrire la marque du temps sur ses hanches, sur son ventre, sur ses seins. Je sais qu’Annie est vieille parce qu’on me l’a dit, mais est-ce que je pourrai le deviner en regardant simplement son corps nue ? Pas sûr. Cela se remarque notamment durant les moments d’amour où les deux corps qui s’unissent ne semblent finalement pas tant en contradiction que ça. J’y ai vraiment vu une occasion manquée.
Ce n’est certes pas dramatique, mais c’est tout de même assez dommageable quand ces deux reproches concernent la thématique la plus centrale du livre.
Mais bon, j’ai quand même pu découvrir une nouvelle chaîne YouTube et une personne qui semble avoir un vrai regard sur l’utilisation des couleurs et sur la BD de manière plus générale. Je suis très curieux de découvrir le reste ainsi que la suite de son œuvre.
Créée
le 24 mai 2024
Critique lue 97 fois
2 j'aime
Du même critique
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en allant voir ce film. Je suis un gros gros fan de Miyazaki et j'avoue que la bande annonce me vendait un peu du rêve, mais la peur de la déception est...
Par
le 2 nov. 2023
3 j'aime
Que dire qui n’a pas déjà été dit ? Oui, Outer Wilds est un grand jeu. Un très grand jeu. Un jeu immense qui nous fait nous sentir tout minuscule. C’est aussi un jeu qui a été analysé et expliqué de...
Par
le 13 févr. 2023
3 j'aime
1
Même si je n'y ai pas joué dès sa sortie, j'attendais beaucoup Solar Ash. Le jeu était en effet développé par le studio à l'origine d'un de mes jeux favoris : Hyper Light Drifter. D'un autre côté,...
Par
le 5 sept. 2022
3 j'aime
1