Laura Zuccheri nous offre de magnifiques décors d'architecture tout au long de ce récit qui se déroule essentiellement dans la ville de Karelane, cité dont le méchant Orland est le chef de la police. Les blancheurs des hautes murailles arrogantes, qui découragent tout assaut lorsqu'on remarque leur prodigieux étagement sur de grandes distances, fait contraste avec les verts-glauques sales et boueux, sur lesquels les "moucherons", paysans chassés du plat pays par les intempéries de fin des temps, ont édifié d'infectes cabanes précaires, toujours à la merci du prochain déluge.

Le caractère ascensionnel des murailles est savamment souligné par l'ornementation: fenêtres très hautes et étroites, contreforts érigés outrepassant l'aplomb du toit, glacis d'assise en pente très raide. Les perspectives sur les rampes monumentales qui permettent de passer d'un niveau à l'autre de Karelane sont un vrai bonheur iconographique (pages 8 et 10). L'appareillage des moellons constituant les murs permet de mettre en images la perfection des joints, soulignant la richesse des décors et la fascination qu'ils exercent (pages 15 et 16).

Le style artistique de la civilisation locale est considérablement approfondi dans cet opus. Les murs sont ornés de visages sculptés de styles divers (page 25), dont certains évoquent fugitivement les figures cycladiques archaïques, et chacun d'entre eux possède ce soupçon d'étrangeté qui désamorce toute velléité de leur intenter un procès en arbitraire iconographique. Ils inquiètent ou interpellent, et leur signification spirituelle est d'autant plus évidente que le dessin de Laura Zuccheri reste par ailleurs d'un réalisme et d'un fini irréprochables. Réalisme étonnant d'un tourbillon dans de l'eau boueuse page 44.

L'ornementation joue aussi sur de rares volumes tapissés de mosaïques colorées non figuratives, un peu comme dans certains choix de Gaudi. Les officiers de Karelane portent des casques surmontés d'énormes masques, différents selon leurs grades. Les costumes placent le lecteur parfois dans une atmosphère romaine antique (pages 30 à 32), parfois dans un Japon de samouraïs bardés d'armures complexes (page 35).

Le scénario met en place la méchanceté des dirigeants de la cité : Orland travaille pour un commanditaire, Abimélec. Il réduit cruellement en esclavage les "moucherons" réfugiés dans les marigots du pied des murailles pour qu'ils construisent un barrage qui limitera, escompte-t-on, les risques d'inondation à venir. On pend, et on crucifie les récalcitrants et les révoltés.

On comprend rapidement qu'Orland verra se dresser devant lui, à terme, la foule des "moucherons" asservis et las de l'oppression, et que ces prolétaires sont des alliés tout trouvés pour Yama et Myklos, qui cherchent Orland à des fins de vengeance.

Les "moucherons" esclaves sont poussés au travail par des voix émanant de curieux poteaux-totems, arbres sculptés en visages humanoïdes sur un mode un peu africain, mais présentant dans leur partie basse une ouverture où l'exhortateur appointé s'exprime de derrière un masque coloré évoquant plutôt l'art aztèque.

Les visages de personnage sont, à l'évidence, relevé d'après nature, avec une troublante vraisemblance. Les couleurs, à la fois lumineuses et vieillies de l'intérieur des appartements d'Orland (pages 20 et 21) sont un régal.

La problématique qui motive les actions des protagonistes s'enrichit de nouveaux éléments : le vilain Orland a fait un gosse à la mère de Yama qu'il a enlevée, ce qui fait que le mignon et craquant petit Ilango se découvre une demi-soeur, Yama, qu'il prend d'abord pour une "souillon".

Yama, forcée de porter une robe momentanément n'aime pas ça. Ce garçon manqué (forcément, vu son éducation !) est un peu complexe; elle ne veut surtout pas que Myklos soit pris pour son père. Bon, ça se comprend, sinon elle pourrait en oublier sa vengeance. Mais par ailleurs, on découvre qu'elle ne détesterait pas que Myklos la considérât comme une femme désirable. Ce n'est pas en s'habillant en garçon qu'elle y arrivera. Tout ceci n'est pas à proprement parler incestueux, mais ce nuage de désirs pas très clairs a quelque chose de troublant.

Coup de théâtre mystificateur dans les trois dernières planches. On avait un peu oublié que la série s'appelait "Les Epées de verre".

Goûtez-y, et savourez !
khorsabad
8
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le 29 sept. 2012

Modifiée

le 29 sept. 2012

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khorsabad

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