Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Quoi de plus actuel que l’immortalité ? En dépit de l’infâme résignation à laquelle nous assignent le « bon sens » et les lieux communs populaires (« J’ai fait mon temps », « Il faut bien laisser sa place aux jeunes », et autres conneries édifiantes, dont la vocation consolatrice débouche régulièrement sur un fiasco lamentable), qui ne se dépouillerait de ses maigres avantages matériels, de sa chemise ou de quelque autre bien précieux, s’il devait être assuré d’acquérir en échange une immortalité raisonnablement cohérente ? Que tu aies quinze ans ou quatre-vingt-dix, que tu pètes la santé ou que tu sois perclus d’infirmités sans nombre, quelque chose hurle toujours en nous : « Vivre ! ».

Le récit de Marvano et Haldeman exploite cette évidence avec une vraisemblance à peine atténuée par le contexte d’anticipation indispensable ; on est en 2075, et, si nous ressemblons aux héros de l’histoire, nous pourrions très bien relever de la clientèle de Monsieur Julius Stileman, qui prolonge la vie des personnes raisonnablement dégradées par les années (encore une expression à la con : ce ne sont pas les années qui nous dégradent, mais les saloperies de petites horloges biologiques tapies au fond de chacune de nos cellules, et qui donnent insidieusement le signal de tarir – ou d’intensifier – l’expression de tel ou tel gène).

L’intrigue : Julius Stileman, grand patron très intelligent – et riche – vend des cures de rajeunissement (à renouveler régulièrement) à ceux qui ont les moyens de payer très cher. Pas pour rien que l’action se situe dans les « keys » (chaîne d’îles sableuses) au Sud de la Floride, refuge de vieillards friqués se faisant retirer la peau tous les jours au p’tit déj’. Dallas Barr est l’un de ses clients, et en même temps un ami en lequel on peut tout se dire. Quelqu’un cherche des crosses à Barr, en sabotant une de ses installations médicales située sur une île des Keys. Dallas va devoir chercher qui et pourquoi, s’il veut avoir droit à sa énième cure de rajeunissement, laquelle – ça tombe mal – est précisément très très urgente. Et il ne peut pas se la payer, vu que cet abruti vient de se faire plumer au poker. Il doit donc compter sur un cadeau gracieux de son génial ami s’il veut survivre...

L’art du récit, sur une action assez classiquement jamesbondienne, est de typer assez nettement les personnages et les décors afin que ce récit d’anticipation possède séduction et vraisemblance. Dallas Barr, en version jeune, est un beau play-boy quadragénaire, flambeur, et pourvu d’un sens de l’humour hésitant entre la frime et le panache qui donne de la saveur à certains dialogues. Julius Stileman, sexagénaire dégarni, a le regard vif et la réflexion prompte d’un créateur au sommet de ses possibilités – et de son influence sociale (il faut voir comment il suggère au président des Etats-Unis himself de mettre en alerte quelques unités de Marines au large de la Floride (planche 19))...

Le copain bastonneur et efficace de Dallas, Elvis, a la bonne idée politiquement correcte d’être un métis, et sa chemise à leurs lui confère une légèreté de tempérament qui équilibre un beau le sérieux des enjeux de fond de l’intrigue.

On aura compris que la politique interfère avec les problèmes de juvénilité perdue. Bonne idée de Hardeman, que de supposer une révolution indépendantiste Conche sur les Keys (les Conches sont des descendants d’Européens installés dans la région des Bahamas et des Keys) ; en fait, la révolution conche de 1982 (citée planche 7) a bien eu lieu, mais elle relevait surtout de la grosse farce festive. Mais, comme il faut bien apporter un piquant géopolitique, on voit Cuba reconnaître la République Conche (planche 46 – j’espère que Castro n’aura pas bénéficié d’ici là des bienfaits du bon Julius Stileman), dont les institutions semblent bien inspirée par le rhum des Caraïbes...

Côté décor, l’île du bon docteur Julius, en dépit de son nom latin qui fait bizarre (« Lignumvitae Key »), n’est pas du tout imaginaire. Vous la trouverez aisément sur Google Earth, par 24° 54’ de latitude Nord et 80° 52’ de longitude Ouest. Bien trouvé pour bosser tranquille : un peu à l’écart de l’Overseas Highway, qui prend en enfilade toutes les Keys, c’est juste un gros parc botanique, avec une seule maison dans une clairière littorale : celle du gardien. La vignette en haut à droite de la planche 31 procure un contour assez réaliste de Lignumvitae Key.

Belle architecture du gratte-ciel personnel de Julius (planche 7) ; belle idée que de configurer un hôtel-casino en forme de crocodile géant (planches 3 et 4). A part ça, hovercrafts, ailes volantes, hélicoptères de combat, faut que ça bouge !

Un détail seulement : la stratégie de rejuvénation du bon docteur Julius est périphérique (planche 9) : on traite laborieusement partie du corps par partie du corps, et ça a l’air long et laborieux. Bref, aucun indice qu’on ait réussi en 2075 à trouver le poste central de commande des processus de vieillissement. C’est douter exagérément des possibilités de la recherche, qui nous rajeunissent des souris entières chaque semaine. Mais, mon bon Monsieur, si vous voulez appliquer ces recettes à l’homme, que faites-vous de la bioéthique ?
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 25 avr. 2013

Critique lue 186 fois

1 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 186 fois

1

Du même critique

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

36 j'aime

14

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7