Ce tome fait suite à Bienvenu en nouvelle Egypte (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 9, initialement parus en 2016/2017, tous écrits par Jeff Lemire. Au cours de ces épisodes, les séquences consacrées à Marc Spector sont dessinées et encrés par Greg Smallwood, avec une mise en couleurs de Jordi Bellaire. Celles consacrées à Steven Grant sont dessinées et encrées par Wilfredo Torres, et mises en couleurs par Michael Garland. Celles consacrées à Jake Lockley sont dessinées, encrées et mises en couleurs par Francesco Francavilla, et celles consacrées à Moon Knight par James Stokoe.


Moon Knight est en train de sa battre contre un pharaon pour récupérer sa bien-aimée, mais il y a un micro de prise de son, dans le champ de la caméra. La prise de vues est interrompue et Marlene Alraune prend Steven Grant à part. Elle lui fait observer à quel point le réalisateur n'est pas à la hauteur et ne réussit pas à inclure la thématique liée à l'identité et à la maladie mentale. Elle lui suggère de virer le réalisateur et de prendre sa place. Ils partent ensemble dans un taxi. Grant éprouve de violents maux de tête, et la scène passe à Jake Lockley conduisant son taxi dans la nuit newyorkaise. Il remarque Bertrand Crawley sur un trottoir et lui fait signe d'approcher. Celui-ci lui tient un discours très étrange, lui demandant si Lockley se souvient que Crawley est mort lors de l'évasion de l'asile. Lockley ne comprend rien à rien, tout ce qu'il sait c'est que son costume de Moon Knight est dans le coffre.


Afin de susciter des articles sur son film à venir, Steven Grant a eu l'idée d'organiser une soirée sur le thème de la santé mentale, dans un asile. Il ne comprend pas pourquoi 2 individus semblent le reconnaitre comme étant un ancien patient. Sur la Lune, Moon Knight entend la sirène qui avertit d'une attaque imminente de la base. Il se rend au hangar où il retrouve son copilote Frenchie (Jean-Paul Du Champ). Ils montent dans leur vaisseau en forme de croissant de lune, comme les autres équipages de la base. À peine sont-ils sortis dans le vide de l'espace, qu'ils voient la présence d'une grande armada, conduite par le vaisseau amiral de Lupinar, le loup-garou. Il faut détruire les vaisseaux ennemis pour les empêcher d'atteindre la Terre.


Dans le premier tome, Jeff Lemire avait établi que Marc Spector (à moins que ce ne soit Jake Lockley, ou encore Steven Grant) souffrait de trouble dissociatif de la personnalité, à un degré avancé, mais pour des raisons non explicitées. En découvrant que les 4 dessinateurs du tome précédent sont de retour, le lecteur comprend immédiatement que les troubles ne sont pas atténués. En fait Greg Smallwood dessine 1 page de l'épisode 8, et 6 pages de l'épisode 9. Le lecteur retrouve sa capacité à transcrire l'onirisme de la situation de Marc Spector. Il porte son costume blanc immaculé avec une rare élégance, et une forme d'assurance retrouvée, et ses chaussures semblent s'enfoncer doucement dans le sable. Jordie Bellaire accentue l'impression onirique avec un fort contraste entre ce blanc et la teinte vert épinard utilisée pour les arrière-plans.


Pour le reste des épisodes, le dessinateur change en fonction de la séquence. Wilfredo Torres dessine de manière réaliste, avec une légère simplification dans les formes, et une approche similaire à celle de la ligne claire. Ses personnages disposent d'une morphologie normale, avec des visages expressifs. Les dessins donnent l'impression d'une faible densité d'informations visuelles. Mais en y regardant de plus près, le lecteur constate qu'ils sont surtout très facilement lisibles, tout en contenant des détails. Il suffit de regarder le plateau de tournage pour distinguer les 2 acteurs en train de s'affronter dans leur costume, 3 assistants en train d'observer la scène, le réalisateur avec l'esprit ailleurs, le perchiste qui n'a pas bien fait son travail, de nombreux accessoires techniques pour la prise de vue, allant de câbles à des bouteilles d'eau, en passant par les sièges des uns et des autres. De même lors de la réception dans l'asile, le lecteur dénombre pas moins d'une trentaine d'invités différents. La mise en couleurs de Michael Garland est la plus naturaliste, avec une belle capacité à retranscrire la couleur dominante de l'ambiance lumineuse.


Les dessins de Francesco Francavilla sont les plus expressionnistes. Il hérite de Jake Lockley, le chauffeur de taxi. Le lecteur reconnait tout de suite les gros aplats de noir, les couleurs orange et bleu, les bordures réalisées avec un trait épais et un peu crénelé, la mise en scène plus sensationnaliste. Le monde de Jake Lockley est plus dans l'action et dans le ressenti, moins dans le cérébral que celui de Steven Grant, moins propre sur lui. Le chauffeur de taxi vit dans un monde avec une part d'ombre plus importante, des individus plus bruts de décoffrage, moins raffinés, moins complexes, au moins en apparence. Les lumières artificielles imposent une ambiance agressive. La brutalité du quotidien est moins filtrée, ce qui transparait au travers des dessins de Farncavilla, d'autant plus par comparaison avec ceux plus policés de Torres.


Le lecteur retrouve également les dessins obsessionnels au niveau descriptif de James Stokoe, surchargés de textures et de petits détails, avec des personnages très agités, totalement dépassés par les événements. Le lecteur se rend vite compte que Stokoe a accentué l'hommage à Star Wars, lors de la bataille spatiale, y compris avec un énorme vaisseau amiral. La vie de ce Moon Knight est totalement dominée par la violence, la complexité technologique, la brutalité de ses ennemis, dont une sorte de loup garou. Par rapport à ceux de Francavilla, les dessins de Stokoe confère une urgence plus importante, ainsi qu'une impression d'être submergé dans un environnement très dense. Par rapport à ceux de Torres, le lecteur y voit une forme plus juvénile, avec une vie dictée par l'adrénaline, et un personnage qui ne peut pas s'offrir le luxe de prendre du recul, mais aussi qui est à la merci d'une myriade d'éléments.


Alors que Moon Knight (dans une de ses incarnations) avait réussi à sortir de l'asile, voilà que l'histoire abandonne cette version du personnage pour sauter de l'une à l'autre de ses autres incarnations. Jeff Lemire s'amuse avec le principe de troubles dissociatifs de l'identité. Le lecteur est fortement impressionné par la qualité de la mise en forme. Chaque dessinateur apporte sa personnalité pour que celle de la facette du personnage s'exprime au mieux. Les transitions d'une séquence à l'autre sont bien gérées, et la collision progressive des différentes personnalités finit par se traduire visuellement sur des pages où 2 artistes différents réalisent des cases sur une même planche, avec une cohérence narrative impeccable.


Jeff Lemire joue avec 4 facettes de Moon Knight en conservant leur spécificité propre pour chaque fil narratif, et en gérant le fil rouge reliant chaque séquence. Il continue à piocher dans la mythologie de Moon Knight, avec Marlene Alraune, Bertrand Crawley et Frenchie (Jean-Paul Du Champ), mais aussi Gena Landers, Lupinar et Midnight (Jeffrey Wilde). Pour chaque incarnation, il écrit une séquence à la manière de : polar hardboiled pour Jake Lockley, enquête hollywoodienne pour Steven Grant, opéra de l'espace pour Moon Knight. Le lecteur bénéficie donc de séquences d'action variées, mais il constate une récurrence dans le comportement des personnage secondaires, et le fil rouge semble un peu mince. Le lecteur se rend compte que chaque personnalité de Moon Knight se débat avec ce que souhaite lui dire une forme d'inconscient. Il ne lui reste plus qu'à remarquer que l'un des personnages récurrents de la série est absent pour en déduire vers quoi s'achemine le récit.


Ce deuxième tome de Moon Knight version Jeff Lemire confirme l'impression laissée par le premier. C'est un vrai plaisir que de retrouver Moon Knight en costume chic (tel qu'imaginé par Warren Ellis & Declan Shalvey). Les personnages récurrents de la série sont bien présents, mais ils sont cantonnés à des artifices narratifs, sans grande personnalité. Jeff Lemire a plongé les différentes facettes de Moon Knight dans des environnements qui leur sont spécifiques, mais qui restent stéréotypés. Par contre, les 4 artistes réalisent un travail remarquable, en donnant une identité graphique prononcée à chaque personnalité de Moon Knight. Le lecteur apprécie également le degré de coordination qui permet de passer d'une scène à l'autre, sans solution de continuité, et qui permet de coordonner la réalisation de plusieurs planches à quatre mains ou plus. Au final, il s'agit d'un tome à bonne teneur en divertissement, mais avec une mise en scène des troubles dissociatifs de l'identité plus spectaculaire, que sensible.

Presence
7
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le 6 janv. 2020

Critique lue 112 fois

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