Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2020. Elle a été réalisée par Valérie Mangin & Denis Bajram pour le scénario, par Thibaud de Rochebrune pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs. Il s'agit d'une bande dessinée de 94 pages.
Une petite navette spatiale en provenance d'une arche de colonisation arrive à proximité d'une planète plongée dans l'obscurité, avec une zone rougeoyante à sa surface. À son bord se trouve 5 membres d'équipages humains et un robot : la capitaine, Miller, Tafsir, la docteure Malika, Hiroshi et l'androïde Ellis. Cette dernière s'inquiète des ordres déconcertants de la capitaine. Peu de temps après le vaisseau traverse l'atmosphère de la planète et coule dans ses eaux, à proximité de la zone rougeoyante. Comprenant que leur navette s'enfonce dans l'océan, les membres de l'équipage revêtent leur combinaison pour sortir, bien qu'ils aient constaté la présence de créatures monstrueuses évoquant un croisement entre des méduses et des pieuvres géantes. Le vaisseau explose alors que Miller ne parvient pas à en sortir et il meurt. Les autres se retrouvent vite encerclés par les créatures aquatiques. Il leur faut un peu de temps pour se rendre compte qu'elles ne les attaquent pas, mais qu'au contraire, elles les aident à gagner la surface, les sauvant ainsi de la noyade. Plus surprenant encore, elles remontent également le cadavre de Miller, qu'elles déposent sur la grève. Les quatre survivants et le robot commencent à réfléchir sur qu'ils peuvent faire. Analyser l'air pour savoir s'il est respirable par des humains, puis se mettre en quête de nourriture. L'activité volcanique génère une lueur rougeâtre qui illumine assez la nuit pour qu'ils se rendent compte que se tiennent devant eux plusieurs dizaines d'êtres humains nus. La capitaine retire alors le casque de sa combinaison comprenant que l'air est respirable. Quelques individus s'avancent vers eux et leur prennent gentiment un gant, un casque.
Les cinq rescapés suivent les autochtones vers une zone dégagée entourée d'habitations basses en forme de dôme. Ils ont remarqué des ossements humains accrochés à des pics autour du campement. Un ancien leur adresse la parole, parlant la même langue qu'eux et leur demandant d'où ils viennent. La capitaine explique qu'ils viennent de l'arche colonisatrice Alma Mater, son commandant les a envoyés en reconnaissance à la recherche d'une planète habitable. C'est maintenant l'heure de manger. Une femme apporte un bol avec de la nourriture aux cinq voyageurs. Ellis se livre à une analyse de son contenu : un aliment comestible, végétal, riche en protéines. Ils mangent sans crainte, sauf Ellis un robot qui n'a pas besoin de sustenter. Elle note qu'ils disposent d'objets en plastique, et en métal usiné. Une fois le repas terminé, une autre indigène leur indique qu'il faut dormir maintenant. Ils essayent d'engager la conversation sur leur origine, sur les créatures marines, peut-être dressées. Mais ils n'obtiennent que des réponses brèves sans information, et le rappel que c'est l'heure d'aller se coucher. Ils obtempèrent, tout en passant devant ces squelettes exposés sur des piques. Une fois dans l'habitation qui leur a été attribuée, ils se demandent si Miller sera aussi exposé sur une pique, s'il y a des rites funéraires dans cette communauté. Enfin, Hiroshi va monter la garde avec Ellis pour la nuit.
Les époux Valérie Mangin (scénariste de la série Alix Senator) & Denis Bajram (scénariste d'Universal War) ont déjà collaboré sur d'autres histoires comme Abymes (2013, 3 tomes avec Griffo et Loïc Malnati), Expérience Mort (2014-2016, 4 tomes avec Jean-Michel Ponzio). Ici, ils ont réalisé une histoire de science-fiction, complète en 1 tome. Le lecteur découvre rapidement que le récit fonctionne sur une mécanique pour partie d'enquête, pour partie de thriller. Il s'agit pour les 5 voyageurs de découvrir d'où proviennent les êtres humains de la communauté qui les a accueillis, et de comprendre comment fonctionne leur société. Le temps est compté car il y a une force inconnue à l'œuvre qui sape leur volonté de bien étrange manière, avec des conséquences incapacitantes. Le lecteur suit donc Ellis, la capitaine, Tafsir, Malika et Hiroshi dans leur exploration pour découvrir ce qu'il en est. Les auteurs font en sorte que chaque personnage a un rôle ou une profession qui le définit, et le distingue des autres. L'artiste fait en sorte de leur donner des traits différenciés de manière que le lecteur les reconnaisse au premier coup d'œil. Ils n'ont pas une personnalité très marquée, essentiellement un unique trait de caractère lié à leur métier pour le soldat Hiroshi, à la prise de décision pour la capitaine, à la curiosité scientifique. Pour autant, l'empathie fonctionne parce que le lecteur se retrouve confronté au mystère de cette communauté, de la même manière que les voyageurs. Comme eux, ils se demandent quoi faire, quel degré de méfiance il faut avoir, comment s'y prendre pour comprendre les valeurs et les coutumes de cette société, et à quel moment il sera possible d'envisager la probabilité de l'établissement de l'envoi d'un message de détresse à l'arche colonisatrice, ou la nécessité de se résigner à un long séjour sur cet atoll.
La couverture promet un mystère : celui d'un explorateur spatial face à une communauté primitive. En y prêtant un peu plus attention, le lecteur se rend compte que les personnages sur le rivage sont nus pour la plupart. C'est un choix assez risqué, car vite perçu comme politiquement incorrect, mais qui reflète totalement l'intérieur de la bande dessinée. Car, oui, il y a bien une communauté de gens qui vivent dans le plus simple appareil et ils sont dessinés avec le même naturel que sur la couverture, avec la même distance. Du coup, cela n'a rien d'érotique, tout en étant une caractéristique essentielle de ladite communauté. Le lecteur prend ainsi conscience de l'habileté de l'artiste à intégrer un élément visuel pouvant facilement s'avérer tendancieux et prêter le flanc à la critique. Tout du long de l'histoire, il va pouvoir se régaler de visions inattendues et spectaculaires. Sans tout dévoiler, il est possible de prendre deux exemples. Le passage sous-marin dans une eau rendue rouge par l'activité volcanique est magnifique, les angles de prise de vue rendant bien compte de l'inquiétude des astronautes face à ces créatures marines dont ils ignorent tout des intentions. Lors de leurs explorations, ils découvrent des cultures en terrasse, sous une lumière artificielle, dans une lumière splendide, avec un très bel effet de profondeur. Dépassée la moitié du récit, le lecteur peut également prendre la mesure de l'agencement de cet environnement très particulier, et du fait que la disposition de cette différentes parties fait sens par rapport à l'élément structurant principal.
Bien sûr, comme le récit fonctionne sur le principe de la découverte d'une planète et de son peuple, le lecteur s'attend à découvrir des sites différents. C'est bien le cas, et le dessinateur leur donne à tous une identité propre, des caractéristiques spécifiques, et une ambiance particulière en leur attribuant une tonalité lumineuse à chacun, par exemple le rouge pour la phase sous-marine, le bleu chaleureux pour l'eau du lagon et pour le ciel, une teinte gris bleuté pour a nuit, le vert pour la séquence avec les cultures en terrasse. Le lecteur ressent ainsi bien les différentes phases du récit, à chaque changement de lieu. Le fait que Thibaud de Rochebrune réalise l'intégralité de ses planches (découpage, dessin, encrage, couleurs) leur apporte une unité et une fluidité remarquable. En particulier, il gère la densité d'information visuelle avec une intelligence impressionnante, entre ce qu'il représente, et ce qu'il suggère par le biais d'un camaïeu de couleur en fond de case. Cela donne une lecture visuelle légère avec une bonne densité d'informations, sans jamais ressentir d'impression de vide des cases, un équilibre remarquable. S'il y est sensible, le lecteur remarque également que l'artiste apporte de la variété dans sa narration visuelle en utilisant aussi bien des bandes de cases rectangulaires, que des cases de la largeur de la page, ou des cases de la hauteur de la page, en fonction de la nature de la séquence.
Le lecteur emboîte donc le pas des cinq explorateurs pour découvrir le mode de fonctionnement de cette étrange communauté. Il remarque que le scénario est construit sur des étapes très claires, avec une progression quasi mécanique dans ce qui arrive aux explorateurs, l'un après l'autre, sur la base du passage en revue des quatre éléments naturels. Il retrouve le goût de Bajram pour la science-fiction claire et bien construite, et le savoir-faire d'exposition naturelle. Sa curiosité est piquée par plusieurs mystères, et son attention est captive du fait d'un rythme rapide et régulier, sans être précipité. Il repère rapidement le thème principal sous-jacent : celui de la place du libre arbitre dans une société humaine, et de la place de l'être humain dans un écosystème. À quelques reprises, il relève une remarque qui fait écho à d'autres notions. Difficile de ne pas reconnaître une philosophie spirituelle quand un autochtone explique qu'il passe sa vie à souffrir. Difficile de ne pas sourire en voyant des humains courir dans des roues de type roue pour cage de rongeur, et refuser de quitter ce système, comme un employé bossant comme un automate sans espoir de ne jamais aller nulle part. Ce passage entre d'ailleurs en résonnance avec le fait que l'entité du Grand Tout aime tous ceux qui lui sont utiles.
Les auteurs proposent au lecteur de suivre une bande de cinq naufragés sur une planète essentiellement aquatique, où se trouve déjà une autre communauté d'humains mais qui n'ont aucun souvenir que leurs ancêtres aient connu une autre vie. La narration visuelle semble un peu légère par endroit en surface, mais très vite elle emporte le lecteur par son dosage parfait entre densité d'informations et suggestion, avec un rythme vif et régulier. L'intrigue happe le lecteur avec ses mystères, plutôt qu'avec ses personnages, avec leur situation et l'exploration qu'ils doivent effectuer. Le lecteur voit apparaître les phases mécaniques du récit, mais aussi la structure sous-jacente logique et élégante, et il voit émerger petit à petit une réflexion sur la société, mais aussi sur la construction d'une interaction entre deux communautés différentes, avec un le rôle ironique du robot, un élément non humain, mais fabriqué par des humains.