Bien que cela me navre, il me faut me rendre à l'évidence lorsque celle-ci me perce les rétines, je crois qu'à un instant donné, il y a si longtemps de cela qu'on peut parler de prescription aujourd'hui, Yoshihiro Togashi a bien pu s'inspirer de Rumiko Takahashi. Durant ses périodes les moins glorieuses, j'entends, avant Yu Yu Hakushô. Le dessin, les thématiques encore assez étriquées à l'époque ; ça me fait pas plaisir de le reconnaître, mais interaction il y a eu, et pas pour le meilleur.
Pire encore, il y a même du Inuyasha dans Yu Yu Hakushô, ou plutôt l’inverse si je me fie à la chronologie des deux œuvres, alors que dame Takahashi, pour cette occasion, renonça à nous étouffer sous la mignardise et les shônenneries d’usage dont elle était habituée. La paneling rappelle ce dont se sera inspiré Togashi pour l’orchestration de ses planches à ses débuts. On ne sait plus trop qui a influencé l’autre à force. Les Yôkais aussi, avaient un petit côté horrifique qui, heureusement, ne frayaient pas cette fois avec les tendresses scripturales et graphiques d’une auteur trop coutumières du fait. Et c’est grand dommage, car les monstres, notamment les insectoïdes, elle les dessine divinement, inspirée qu’elle est par Go Nagai, avant de finalement les abandonner plus tard sur le bas-côté de l’intrigue. On appelle ça le phénomène Bleach – car bien que l’œuvre soit postérieure à Inuyasha, elle est autrement plus emblématique – ça suppose d’introduire des monstres énormes faciles à battre, puis de les substituer par des protagonistes sans cesse plus proches d’humanoïdes afin de multiplier les duels. C’est un théorème Shônen des plus classiques. Bien qu’en toute honnêteté, les Yôkais géants auront subsisté durant longtemps – jusqu’au bout pour tout dire.
Les personnages sont aux fraises. La petite fille innocente et brave, le protagoniste principal qui sauve la veuve et l’orphelin – bien que Yôkai supposé maléfique – on ne dira pas que le caractère rupestre de l’écriture des personnages dans le Shônen datait déjà d’il y a plus de dix ans. Je n’aurai en tout cas pas cette audace.
Rétrospectivement, car j’ai lu pour la première fois Inuyasha bien des mois après Demon Slayer, on dira de ce même Demon Slayer qu’il fut un sous Inuyasha. Ce qui, dès lors, me contraint à fournir ce dernier d’une note supérieure qu’il ne mérite pourtant pas. Mais… mes abonnés ayant grogné que je n’adresse qu’un 1/10 à Demon Slayer, il aura fallu que je gonfle l’affaire pour mieux m’arranger la plèbe.
Ah, ce qu’on ne fait pas par démagogie.
Car Inuyasha est à ces débuts une histoire gentillette de bastons contre les Yôkai. Je ne m’attendais pas à trouver le début aussi sympathique alors que mon avis était fait sur son auteur. Je ne le remarque que bien tard, mais j’ai le sentiment que bien des auteurs de Shônens dans les années 1990 – pourtant ses successeurs eu égard à leur notoriété naissante – furent une source pour elle. Il y a eu Yu Yu Hakushô, bien sûr, mais aussi quelques rémanences assez marquées qu’on devine empruntée à Kenshin. Je ne saurais trop dire si elle a inspiré des auteurs ou si, plutôt, elle se sera laissée portée par ces derniers en assimilant leurs concepts.
Lorsqu’il me fallut constater la date de parution de Inuyasha, mes yeux s’écarquillèrent. Il est des œuvres qui ont dix ans d’avance sur leur temps, et il y en a d’autres qui en ont dix de retard. J’aurais pu considérer Inuyasha comme un Shônen convenable s’il avait germé dans la deuxième moitié des années 1980, mais il arrive bien trop tard. Ses codes sont clairement sclérosés et datés quand on prend en compte le contexte de parution. Un Inuyasha débuté en 1996 ? Vraiment ? Deux ans après Kenshin ? Six ans après Slam Dunk et Yu Yu Hakushô ? Douze ans après Dragon Ball ? Un an avant le savoureux One Piece des débuts ? Deux ans avant Hunter x Hunter ? Bon Dieu, le manga paraissait en même temps que Bleach…
Inuyasha, il faut le dire, avait déjà mal vieilli à compter l’instant où il avait commencé à paraître. Rumiko Takahashi, depuis bien longtemps, n’était clairement plus dans le coup en s’essayant à ce nouveau titre. Pour ce qui est des tenants – bien que comparaison ne soit pas raison – ça vaut un Saint Seiya pour ce qui est de l’innovation et de la qualité de l’écriture… un Saint Seiya paru dix ans trop tard.
« Trop tard » sont les mots qui vous viennent chaque fois aux lèvres quand vous analysez ce qui vous parvient. Tout a déjà été fait… et il y a longtemps. C’est du Sailor Moon transposé mollement en Shônen ce qu’on lit. Il y a de bonnes choses. Tout le bestiaire Yôkai fait plaisir ; mais le procédé narratif et les idées ne sont plus seulement datés à cette époque, mais périmés.
Et plus ça dure, plus ça se répète. Aucune des intrigues dessinées sur le temps long ne parviennent à convaincre. Que ce soit les personnages dont on a parlé, le contexte ou encore les enjeux ; tout nous glisse comme sur les plumes d’un canard. Je pourrais arguer que Rumiko Takahashi ignore ce qui plaît à la jeunesse…. mais l’affaire n’aurait pas duré douze ans si elle n’avait pas rencontré son public. Qui, pour lire ça ? Des jeunes filles qui s’essayent au Shônen et qui ne veulent pas être brusquées ? Des nostalgiques de mangas parus il y a plus de dix ans ? Peut-être. Pour avoir été un avide lecteur de scans dans ma jeunesse, je puis assurer que personne, dans les cercles initiés francophones, n’attendait de pied ferme le nouveau chapitre signé Takahashi. Si j’étais complotiste – et je le suis – j’en viendrais à penser que l’auteur a elle-même acheté les copies de ses propres œuvres. Je ne m’explique pas le succès – certes relatif – d’un manga qui a vraiment été écrit et dessiné à rebours de la chronologie éditoriale.
Il n’y a rien en plus de ce qui se dessinait alors. Pas une valeur ajoutée à se mettre sous la dent. Les combats ? Ils sont chiants, dessinés sans une audace dans la mise en scène. Oui, décidément, Togashi a été bien avisé de déserter le navire Rumiko Takahashi pour se trouver un style et façonner son talent en conséquence. J’entends bien que certains lecteurs sont attachés à elle comme à la mamie Shônen qu’ils ont connu depuis tout môme… mais que ceux-là s’essaient un jour à un regard objectif sur ses œuvres. Une fois celles-ci dépoussiérées d’une nostalgie bien encombrante, il n’y a que la misère.
Inuyasha est, on l’espère, une capsule temporelle. Un de ces vestiges qu’on enterre dans le sol pour l’exhumer dix à vingt ans plus tard et se remettre du souvenir plein la tête. C’est la thèse la plus réjouissante. Car quand on voit un style des années 1980 – déjà rudimentaire pour ce qui est du dessin – s’étaler sur les étales Shônen jusqu'en 2008, il y a de quoi être franchement embarrassé pour elle. Plus que de l’exaspération, c’est de la gêne que j’ai ressenti en lisant l’œuvre présente. Takahashi, en forçant à vivre ce qui demandait à être mort-né m’apparaît comme ces vieux qui cherchent à rester jeune… ça ne trompe personne et c’est déplaisant à voir. Mais il se trouve des idiots pour encourager cet effet de mode, alors le spectacle grotesque se poursuit jusqu’à ce qu’on s’avoue qu’en réalité… il était franchement grossier à voir.