Ippo
7.8
Ippo

Manga de George Morikawa (1989)

Ippo est ce que l'on peut considérer comme LE manga sur la boxe.
Plus de cent-vingt volumes entièrement dédiés au noble art. Au départ un manga shonen sportif comme on en voit des centaines qui aurait pu durer une trentaine de volumes avant de s'achever, mais aujourd'hui une fresque incroyablement ambitieuse, où l'auteur cherche à raconter toute la carrière d'un boxeur, de ses débuts dans le milieu en amateur à ses combats pour des titres mondiaux.
Cent-vingt volumes ! Plus de Mille-deux-cent chapitres, soit près de vingt-cinq-mille planches dessinées sur une période de Trente ans, et, le petit bonus qui fait plaisir : Toujours en cours de parution ! Autant dire l’œuvre de toute une vie pour George Morikawa, qui a à présent dédié plus de la moitié de son existence terrestre aux aventures d'Ippo Makunouchi.
Tant d'implication, tant de dévouement à une seule et unique œuvre, qui de ce que j'en sais est d'ailleurs la seule de l'auteur, cela me laisse bouche-bée.
Et dire qu'il comptait à la base arrêter la série au volume 30.


Bref, il est évident pour moi que Ippo n'aurait jamais réussi à avoir une telle longévité et une telle réputation en étant un simple shonen de boxe. En trente ans, on peut être sûrs que Morikawa nous aura offert quelques surprises.


Mais déjà, il faut arriver à comprendre le pourquoi d'une telle longévité.
Morikawa a, comme dit plus tôt, pour ambition de retranscrire l'entièreté de la vie d'un boxeur. Il va donc chercher à rester au plus près de son personnage principal, à le suivre partout, tout le temps, bien qu'à de rares exceptions, il se permette de déroger à cette règle pour se focaliser sur d'autres personnages suivant des évolutions tout aussi importantes. Nous suivons Ippo lorsqu'il aide sa mère à son travail, lorsqu'il s'entraine à la boxe, lorsqu'il fait son footing, lorsqu'il va se coucher, lorsqu'il tape dans les mitaines,... Bien sûr, il n'y a pas de volonté naturaliste de la part de l'auteur : Il nous montrera toutes ces étapes de la vie de son héros mais fera tout de même des ellipses pour rendre le tout dynamique, ce qui l'intéresse, c'est la sensation de progression, et non la progression en elle-même. Mais par contre, une fois Ippo arrivé sur le ring, le temps se dilate complétement. Des rounds de trois minutes peuvent durer plusieurs chapitres. Il n'y a alors plus aucun subterfuge de mise en scène, plus aucune triche : Morikawa nous offre la boxe, totale et entière. Si au début les matchs de boxe étaient réglés en quelques chapitres, ils finissent à la longue par durer un ou deux tomes, voire trois pour les plus importants ! Bien sûr, bande-dessinée japonaise oblige, il y a une petite part d'exagération dans cette dilatation temporelle, comme lorsque les personnages se font des monologues entiers dans leur tête en une fraction de seconde, mais encore une fois, cela permet de travailler le suspense, car les combats sont longs, et leur issue incertaine. Le rapport au temps qui passe est remarquablement bien géré par l'auteur. Les entrainements pour les matchs durent des mois, les périodes de repos des boxeurs parfois tout autant. En se concentrant au maximum sur l'instant présent, Morikawa nous fait comprendre deux idées simples : Que l'activité de boxeur se travaille sur la durée et que tout le fruit de l'entrainement se joue durant 10 petits rounds de 3 minutes chacun. Il accorde donc de l'importance à l'une comme à l'autre, car elles sont indissociables du milieu de la boxe voire du sport en général. Tu t'entraine pendant des mois, tu as une poignée de minutes pour donner tout ce que tu as. Le passage du temps sera bien évidemment aussi montré par l'évolution des personnages, de leur caractère à leur physique, toujours malmené par les combats. Le manga s'intéressera aussi aux vieux boxeurs, proches de la retraite, aux anciens, à ceux qui ont abandonné en cours de route,... Le temps qui passe et qui n'épargne personne.
Bref, avec sa série George Morikawa nous enferme dans la temporalité de l'univers de la boxe.


L'immersion est d'autant plus forte qu'il va également faire preuve d'un réalisme presque documentaire dans sa représentation de la boxe. Car bien sûr, en 120 volumes, l'auteur ne se privera pas de nous détailler absolument tout. En premier lieu, les bases. Jab, uppercut et down sonneront comme barbares à vos oreilles de profane, passé quelques tomes, vous serez capables simplement en regardant la posture du boxeur de donner le nom du coup qu'il porte à son adversaire sans même que les personnages n'aient à le faire eux-mêmes. A se demander même pourquoi, depuis le temps, Morikawa n'a pas tenté de se soulager du poids des bulles de dialogue durant les combats tant il pourrait tout faire comprendre sans même le dire. Dans Ippo, il n'y a aucune technique secrète, pas d'énergie mystique donnant leur force aux combattants ou de coups de poings pouvant créer des cratères dans la zone d'impact. Si les personnages utilisent des coups un peu spéciaux, c'est que les précédentes générations les ont déjà utilisés eux-même. Typiquement, le style de combat d'Ippo rappelle celui de Mike Tyson, il utilise des coups empruntés à Jack Dempsey et Floyd Patterson. Si les combats sont spectaculaires grâce au trait de Morikawa, ils restent terre-à-terre, comme une sorte de démesure contrôlée, qui n’empêche malgré tout pas l'auteur de les rendre toujours plus impressionnants malgré ses contraintes réalistes. Ne lisez toutefois pas Ippo si vous espérez voir un personnage faire un Hadoken ! Les combattants n'ont que leurs bras, leurs jambes et leurs têtes, et ils doivent se débrouiller avec pour gagner leur combat sur le ring. Le réalisme se retrouve aussi dans les blessures et les séquelles d'un match. Les boxeurs se prennent des coups parfois terribles durant leurs combats, qui sur le long terme les fatiguent encore plus, et les après-combat permettent de déployer un bel éventail de dommages physiques : bosses, hématomes, saignements, déchirures ligamentaires, fractures, tout y passe. Morikawa ne le cache pas, la boxe est un milieu cruel et le perdant comme le gagnant ne peuvent pas espérer s'en sortir indemnes. C'est peut-être pour offrir un contrepied humain à tant de violence que le personnage de Kumi, originellement boulangère, deviendra infirmière, afin de mieux rendre compte de l'importance des blessures subies par Ippo, et garder un ancrage avec le monde réel. Bien évidemment, tout ce réalisme est légèrement dépassé par un sens de l’exagération propre au manga, les coups que s'infligent les boxeurs semblant parfois avoir la puissance d'un météore, mais l'on ne tombe jamais dans la démesure grotesque à la Baki.


Et puisque nous avons effleuré le sujet, attardons-nous un peu plus longuement sur les combats de boxe. Que dire, sinon que le brio est présent à chaque instant ? Comment passer outre les phrases toutes faites sans substance ("Les combats sont épiques !" et toutes ces allégations génériques) pour rendre parfaitement compte de l'excellence des combats ? Comme nous l'avons déjà dit, l'importance de chaque combat est soulignée par le nombre de chapitres qui y sont consacrés, car l'auteur cherche à les mettre en scène dans toute leur simplicité et en même temps leur dureté. Nous avons aussi vu qu'ils étaient réalistes sans manquer de piquant. Mais il y a encore tellement de choses à dire. Les combats ne sont jamais deux fois les mêmes, car chaque boxeur aura son propre style, certains seront plus adeptes du combat rapproché, d'autres du combat plus distant (infighters et outfighters), nous verrons les combattants fonceurs, comme Ippo, qui cherchent à placer des coups très puissants à courte portée; les tacticiens, qui observent et choisissent leur approche avant d'attaquer; les endurants, qui absorbent tous les chocs et tentent de gagner à l'usure; les techniciens, qui misent avant tout sur leur palette étendue de coups et cherchent en général à gagner aux points plutôt que par KO. Tous ces combattants, et j'en oublie, se retrouvent dans Ippo, aucun ne se ressemble. Ippo peut se targuer d'être une véritable encyclopédie de la boxe. L'auteur pense bien sûr à nous présenter les parts les plus sombres du milieux, comme les matchs truqués, les séquelles mentales qui peuvent être graves, le comportement épouvantable de certains boxeurs qui peuvent être des brutes sans scrupules. Notre héros devra à chaque combat réussir à s'adapter, à contrer les techniques de ses adversaires pour retourner la situation à son avantage. La boxe n'est jamais résumée à une bête épreuve de force, elle est un vrai sport tactique, violent et physiquement très éprouvant. La fatigue est ainsi très présente lors des combats. Les boxeurs sont systématiquement trempés de sueur, ils s'épuisent de plus en plus à chaque round. Certains combats se terminent alors qu'aucun des deux n'arrive à faire un pas sans tressaillir. Et avec l'épuisement vient le découragement, et chaque down d'un boxeur est un moment rempli de suspense : Se relèvera-t-il ? Ne se relèvera-t-il pas ? Aucun combat ne se résume à un bête schéma de : J'attaque, tu attaques, j'attaque, tu attaques. Les deux boxeurs échangent des coups, ils ne restent pas bêtement passifs lors de l'assaut de leur adversaire. Ce qui fait que dans Ippo, il est très rare, voire même quasi-impossible, qu'un combat se termine avec un combattant plus en forme que l'autre, il est bien plus fréquent qu'ils soient tous les deux au bord de l'exténuement. Et tous les matchs ont leur importance dans l'évolution des personnages, l'auteur prend le temps de s'intéresser à chaque adversaire d'Ippo et des autres personnages pour exposer toute leur humanité et leurs motivations pour se battre. Tous tentent de se dépasser pour des motifs différents, plus ou moins nobles, et ressortent de leurs affrontements en ayant appris une leçon de vie, grandis par cette dure épreuve qui marque la chair comme l'esprit. L'auteur nous présente ainsi la boxe dans son coté fédérateur, dans la façon dont elle rassemble les hommes et les femmes autour d'une passion pour l'effort, le dépassement constant des limites. Ce sport est montré comme une véritable philosophie de vie, qui inspire les gens et peut même les pousser à changer. Le meilleur exemple de cela est le personnage d'Umezawa, au départ tortionnaire du jeune Ippo, qui verra sa vision du monde bouleversée par les efforts extraordinaires de sa tête de turc pour enfin devenir fort. Il cessera de rire de Ippo et souhaitera, sans malice aucune, devenir son ami et son allié dans le monde de la boxe, ce que notre héros, généreux comme pas deux, acceptera sans hésitation. La boxe ne fait pas que rendre physiquement plus fort, elle raffermit également l'esprit.


L'exemple le plus probant de cet énoncé est évidemment le héros, Ippo Makunouchi, qui commence la série faible, timide et peu sur de lui. En découvrant la boxe, notre jeune héros va petit à petit gagner en musculature et en confiance en lui. Il deviendra un combattant aguerri et courageux qui ne recule pas devant les coups de son adversaire, mais pour autant, il n'en oubliera pas ses modestes origines et restera toujours humble, même en sortant victorieux d'un combat. Pour Ippo, un combat remporté ne signifie pas que l'on est le plus fort, mais juste que l'on a fait un pas de plus vers la vraie force, celle qu'il cherche à découvrir. C'est d'ailleurs une façon dont on peut interpréter le titre originel du manga : Hajime no Ippo, littéralement "Le premier pas". Un titre que l'on pourrait dire hors de propos depuis belle lurette, car notre héros a fait son premier pas dans le monde de la boxe dès le début du manga, mais que l'on peut aussi voir comme un premier pas plus philosophique, chaque match de boxe n'étant qu'un pas qui ne nous fait pas avancer, et la quête de Ippo serait de trouver le moyen de faire un vrai grand pas en avant comme finalité de son parcours, un "Premier pas" définitif. Éternel challenger même dans la victoire, Ippo Makunouchi, qu'un analyse trop simpliste qualifierait de héros de shonen basique et sans relief, est en réalité un personnage très mature, très attachant et en perpétuelle remise en question, et ça n'est pas le dernier grand bouleversement en date de l’œuvre qui me fera dire le contraire. Un bouleversement que je ne divulguerai pas ici, mais qui prouve une nouvelle fois qu'ayant passé une grand partie de sa vie à parler de boxe, George Morikawa est tout à fait prêt à faire des choix drastiques qui cassent la continuité de son œuvre, reflets d'un auteur ayant acquis suffisamment de maturité et de maitrise de la narration pour bousculer les règles de son propre univers. Espérons toutefois que ce bouleversement apportera de nouvelles perspectives au manga et à son personnage principal.


L'autre grand personnage central est Mamoru Takamura. Outre sa force physique surnaturelle qui lui a permis d'envoyer au tapis un ours des montagnes (!), ce boxeur possède un sens tactique extraordinaire et une volonté inébranlable. C'est en quelque sorte le grand frère de Ippo, son modèle à atteindre. C'est d'ailleurs lui qui initiera notre héros à la boxe et lui apportera sa première victoire. Un colosse si démesurément talentueux à la boxe qu'il ne peut se contenter de viser un simple titre mondial; et qui par conséquent s'est donné pour défi de remporter Six titres de champion du monde dans six catégories de poids différentes. Il est ainsi LE pilier du manga. Le boxeur par excellence, surpuissant et invaincu, un modèle à suivre pour tous les autres personnages, qui les inspire et les pousse à donner le meilleur d'eux-même. Les matchs de Takamura sont assez rares dans le manga, en fait les plus importants se comptent sur le doigt d'une main à l'heure actuelle dans la série, mais ils sont parmi les plus spectaculaires et les plus chargés en émotion de l’œuvre, car si le Tueur d'Ours vacille, c'est tous les personnages qui le suivent qui s'effondreront avec lui. Takamura est un phare dans la nuit, la plus haute tour qui domine tout le château, tant qu'il ne déclinera pas, Ippo aura encore une raison de se battre et le manga pourra continuer. Le personnage est d'ailleurs utilisé par George Morikawa pour illustrer les boxeurs totaux, ceux qui ne vivent que pour leur art et sont prêts à laisser derrière eux leur humanité pour s'élever au-dessus de la masse. Plus le manga avance, plus Takamura s'éloigne de ses compagnons, avec qui il ne peut nullement être comparé. Il représente ainsi ce que Ippo pourrait finir par devenir s'il continue à viser le titre mondial comme il le fait, car comme le dit son ainé lui-même "Si tu la franchis, t'es mort. Après cette ligne seuls les vrais monstres peuvent survivre. Ne la franchis pas si tu veux rester humain." Car même si le personnage est vantard, égocentrique, lubrique et amateur de farces d'un goût douteux, il reste profondément attaché à ses amis, mais fait le maximum pour garder une distance avec eux afin de rendre son ascension vers l'élite plus supportable. C'est un personnage que l'on aime mais auquel on ne pourra jamais s'identifier, condamné à toujours aller de l'avant quitte à laisser tous ceux qu'il aime sur le carreau. C'est peut-être pour illustrer cette perdition que Morikawa avait pris soin de développer le passé de Takamura ainsi que sa famille lors de l'arc de son premier titre mondial, avant que ses frères et sœur ne soient évincés de l'histoire pour ne jamais réapparaitre par la suite. Reste à savoir si Ippo devra accepter de faire de tels sacrifices au nom de sa quête de force, ou s'il parviendra à conserver son humanité malgré tout. Une question qui, encore à l'heure actuelle, reste en suspens.


Et impossible de parler des deux personnages centraux d'Ippo sans citer le coach Kamogawa, le mentor, le fidèle entraineur de cette bande de têtes de lard que sont Ippo, Takamura et tous les autres. Un vieil homme aux facettes variées, tantôt un maitre sage et plein de bons conseils, tantôt un entraineur soupe au lait, râleur et jamais content, mais qui force le respect. Si Takamura est le grand frère spirituel de Ippo, Kamogawa est sa figure paternelle de substitution. Leur rapport maitre-élève est un gros point fort de la série. Voir le vieil homme endurcir son apprenti en le conseillant lors de ses entrainements, en lui apportant un soutien moral lors des affrontements, tout cela a quelque chose de vraiment puissant. Parfois le lien entre les deux personnages est si fort que deux mots échangés leur suffisent à pleinement se comprendre. Kamogawa est strict, il récompense rarement l'effort, mais lorsqu'il le fait, Ippo et Takamura ont un réel sentiment d'accomplissement. Il n'est d'ailleurs pas anodin de voir le vieil homme être associé à la vision qu'Ippo a du dieu du ring lors de l'un de ses combats.
Je pourrais m'attarder sur les personnages secondaires, Aoki et Kimura, le duo de loosers magnifiques plus bêtes que méchants, du sauvage mais adorable Takeshi Sendo, dont le caractère et la coiffure me rappellent vaguement le légendaire Joe Yabuki (Ashita no Joe), de Miyata, le rival éternel, de Ryo Mashiba aussi, la brute au cœur plus tendre qu'il ne voudrait l'admettre, ou encore de tous les adversaires de Ippo qui sont tous plus intéressants les uns que les autres (mention spéciale à l'abominable Sawamura, inhumain au point que la moindre parcelle d'humanité arrive à nous surprendre et au très sympathique Wally, toujours de bonne humeur et au cœur d'un des affrontements les plus épiques de la série). Des personnages qui apparaissent, disparaissent, gravitent autour de Ippo et seront amenés à revenir si l'occasion se présente, interconnectés par le même dénominateur commun : Ippo Makunouchi, le boxeur increvable. Il y a une grande richesse de personnages dans l'univers de George Morikawa, on a l'impression que quoi qu'il arrive, le monde de la boxe aura toujours de nouveaux talents à nous proposer. Si le manga se concentre presque exclusivement sur des boxeurs japonais, ses frontières vont petit à petit être repoussées, l'horizon des possibles va s'étendre au fur et à mesure de la progression de Ippo dans le monde de la boxe. L’œuvre passe du local au national, avant d'enchainer sur l'international et de finalement arriver au mondial. Un cheminement qui se fait de manière très naturelle, en cent-vingt volumes l'auteur prend le temps de l'installer.


Et cette critique ne saurait s'achever sans aborder le dessin. Mais en fait je l'ai déjà un peu fait. Car le dessin de Ippo n'est que boxe, boxe et re-boxe. George Morikawa a un talent monstrueux pour représenter l'effort physique, la vitesse et la puissance. Les combats qu'il met en scène sont rendus extrêmement dynamiques par une habile utilisation des traits de vitesse accompagnant les mouvements des boxeurs. Comme dit plus haut, les combats ont beau être terre-à-terre, le dessin les sublime et les transforme en affrontements épiques. Chaque coup de poing semble avoir la puissance d'un météore, et les déformations des visages à l'impact sont magistraux. On ressent physiquement la douleur que ressentent les boxeurs grâce à ce trait organique, prècis. Et contrairement à beaucoup de séries comme Ippo s'étalant sur des dizaines de tomes, le trait était déjà excellent dès le départ, et n'a cessé de se peaufiner. Le passage au numérique n'a d'ailleurs en rien atténué le talent de Morikawa. Là où celui-ci est le plus visible est dans son utilisation des doubles pages. On le sait, en bande-dessinée, plus la case utilisée est grande, plus l'action qui y est montrée est importante. C'est une notion que l'on voit facilement dans Ippo : Les coups de poings normaux, trop classiques pour mériter une grande attention, sont relégués à des petites cases, voire des quarts de planches à certains moments, mais guère plus. C'est lorsque le coup devient réellement impressionnant en terme de vitesse, de puissance, d'agilité ou toute autre compétence de boxeur primordiale que Morikawa se déchaine et emploie la double page. Plans d'ensembles, contre-plongées, gros plans, peu importe son cadrage, le coup sera représenté dans toute sa puissance. Brillant de bout en bout. Ce que je décris là semble être une démarche de mangaka assez basique, mais c'est toujours dans la mise en pratique que l'on peut reconnaitre les vrais maitres de l'art du combat. Mais les doubles pages sont également employées pour un autre motif récurrent de l'oeuvre : Les plans panoramiques prenant la moitié supérieur de la surface du papier, tandis que la seconde moitié est ponctuée de petites cases donnant un contexte à la moitié supérieure. Ces panoramiques sont utilisés entre autre lors des matchs de boxe pour faire des plans larges du ring et de ses alentours, donnant une vraie sensation d'enfermement des boxeurs dans le cadre, mais en les montrant également triomphants, au centre de toute l'attention. Ils sont aussi utilisés pour un plan récurrent dans tout le manga : Un personnage courant de profil sur la ligne d'horizon. La base des bases de tout entrainement de boxeur, le footing, qui revient continuellement. Par cette répétition, l'auteur joue à nouveau sur la temporalité, faisant de l’entièreté de son manga une sorte de boucle, un cycle d'entrainement-combat-repos perpétuel qui ne connaitra de fin que lorsque la volonté ou la santé du boxeur plieront sous les coups de l'adversaire.


Pour toutes ces raisons, et sûrement encore plein d'autres à coté desquelles je serai passé, je considère Ippo comme l'un des plus fabuleux manga sportifs jamais créés. Tout son contenu témoigne d'une profonde implication de l'auteur dans son œuvre. Un manga sur la boxe total, sans aucun tricherie. Nous vivons depuis trente ans maintenant la grande aventure d'Ippo Makunouchi et nous ne sommes pas prêts d'en voir le bout. Que les combats s'enchainent, que les coups pleuvent, que les hématomes se multiplient sur le visage de notre héros et qu'il soit à bout de force au point d'être au seuil de la mort, peu importe, il sera toujours là pour nous.

Arkeniax

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