Que voici un album-blog drôle et d'utilité sociale en même temps ! Margaux Motin se représente comme dessinatrice trentenaire, avec un compagnon au crâne rasé et une gamine à gérer, gamine qui est à cet âge délicat où l'on peut cumuler les soucis propres à l'état de bébé et à celui de petite fouine poseuse de questions et peu soucieuse des convenances sociales.
Album-blog en ce qu'il n'y a pas de vignettes, seulement des dessins plus ou moins nombreux jetés à même la page, accompagnés de textes écrits en cursive, qui ajoutent donc à l'aspect "journal intime". Margaux Motin a ce charme trop rare de pratiquer une autocritique forcenée en se représentant comme parée de tous les ridicules, snobismes, addictions et ambitions propres à sa génération (et, précisons-le, probablement parisienne). Ses réactions émotionnelles à toute nouvelle stimulante se traduisent fréquemment par un récital de postures dansantes, gesticulantes, clownesques, marrantes : elle en fait trop pour pas grand chose, et elle a cet art de trouver les postures et les paroles qui correspondent exactement au sentiment exprimé. Ridicule en ce qu'il lui faut se montrer, soigner son image aussi bien motrice et gestuelle que sa tenue vestimentaire qui change sans cesse (comme on ne se mouche pas avec les doigts de pieds, ses addictions majeures s'appellent Prada, Dior Louboutin et Chanel). Margaux Motin se présente comme fofolle, ado attardée, superficielle, futile, accro à "Dirty Dancing", au portable, au balayage de la chevelure, aux pizzas et hamburgers, à l'alcool; elle chante faux...
Les problèmes de ses relations avec son mec sont assez gentiment traités : rien de fondamental n'est remis en cause; par contre, quand il faut se torcher la gamine, on sent les hypocrisies indispensables se glisser dans la relation parentale afin d'encourager la chère petite au lieu de réagir franchement à ses "réalisations". Le bonheur d'être parent est décrit dans tous ses aspects sordides.
Que ces gags soient conformes ou non à la vie de Margaux Motin, on s'en fiche. Ils sont pris sur le vif, utilisent le langage "mi-djeun" des trentenaires d'aujourd'hui, avec des tics supposés les démarquer de la génération précédente (et qui vont donc être jetés aux orties (s'il reste des orties) par la génération suivante) : récupération de ce qui peut rester du verlan, bien ringardisé de nos jours; suprématie du vocabulaire sexuel dans les jurons, insultes, interjections et crises de stress; récupération d'expressions d'école primaire déjà périmées elles aussi ("trop de la balle")...
Très drôle, écrit au quart de poil (celui qu'il faut raser), pas une faute d'orthographe (ce qui suffit à supputer que Margaux Motin est en nette rupture avec sa génération, et que tout n'est pas réaliste dans ces dessins), assez caustique pour faire passer de bons moments. La critique sociale des futilités, naïvetés et désagréments du quotidien est empreinte d'une énergie remarquable, toute de bonne humeur, celle qui aide le lecteur à assumer ses propres désagréments dans la vie...