Les duos improbables sont nombreux : en voici une nouvelle démonstration avec une espionne qui picole et un Oviraptor qui joue du pistolet ! Les dinosaures sont donc de la partie ce qui ne peut que plaire, surtout si vous appréciez ces créatures disparues qui hantent peut-être vos collections respectives (ouvrages, maquettes, jouets…). Mais que les dinos soient là est une chose, encore faut-il que le reste (l’intrigue, le dessin, les humains…) soit à la hauteur. On va essayer de voir si c’est bien le cas et si le mélange des genres (pensons aux romans de Seth Grahame-Smith : Pride and prejudices and zombies et Abraham Lincoln, Vampire Hunter) est réussi.
Commençons par l’intrigue, évoquée dans le synopsis. A première vue la survie des dinosaures est une vraie surprise et l’auteur alimente cela avec différentes inventions (les dinosaures peuvent se changer en êtres humains, il existe des prothèses mécaniques…), la réinterprétation de tableaux, de symboles (les deux aigles) et de nombreux clins d’œil (Balzac, Wilde, Tesla, Rimbaud, Monte Christo, une idole japonaise, divers savants et lieux…) référencés dans le glossaire technique de fin de chapitre. Il y a donc beaucoup de choses à assimiler rapidement (le chapitre 1 est une grosse introduction d’une centaine de pages pour « planter le décor ») mais cela se fait bien, surtout qu’on voyage en Russie, avec des dinosaures qui seraient liés au tsar… De quoi alimenter les légendes et les mythes sur ce qui se passe là-bas et sur les tentatives de déstabilisation du pouvoir en place. On voit alors rapidement que, si les hommes et femmes ne sont pas illuminés par la vertu, il en va de même pour les dinosaures. Mais il existe des exceptions.
Exceptions notamment avec les deux personnages principaux Lily et Sabata. Leur première rencontre est détonante puisque Lily lui fait perdre la tête (au sens propre) ! L’occasion de tomber les masques et de faire la lumière sur la survie des dinosaures. Survie : le terme s’applique aux deux personnages principaux :
- Sabata est un Oviraptor (« voleur d’œufs ») autant dire que cette espèce n’a pas bonne réputation chez les dinosaures ce qui a contribué à véhiculer nombre de fantasmes et de fausses idées à leur propos. Et les conséquences furent lourdes : devant se cacher les dinosaures ont fait des Oviraptor des boucs émissaires sur lesquels ils se sont défoulés (vous verrez qu’il y a des jeux très marrants…). Le résultat ? Un génocide au niveau mondial. Quelques-uns ont survécu et soit comme Sabata œuvrent pour le bien soit cherchent à se venger…
- La situation n’est guère plus brillante pour Lily. Qu’y a-t-il derrière la boisson ? Non un plaisir mais un moyen d’oublier : oublier un lourd héritage familial et des fautes qui pèsent sur elle alors qu’elle n’a rien à voir avec ces histoires. Voilà comment on devient une espionne qui boit plus vite que son ombre, y compris en pleine mission ! Pas de chargeurs dans ses poches mais des bouteilles attachées un peu partout et qui peuvent contenir quelques surprises…
A la fin du premier tome d’autres personnages apparaissent et on pressent que la menace en cours déborde largement le cadre de la Russie pour nous impliquer au niveau mondial. On comprend alors que des voyages s’annoncent (on a le droit à Florence) et de nouveaux mystères à résoudre pour Château d’If. L’espoir l’emportera-t-il sur toutes les contre-tendances à l’œuvre ? Une grosse menace pointe le bout de son nez à la fin du tome 1 : nul doute que nos deux héros vont devoir se battre sur terre, dans les airs et peut-être même sous la mer !
Toutes ces scènes d’actions et mystères prennent place dans un manga particulier par son style graphique. La couverture peut donner une idée mais c’est en le parcourant et en se confrontant au noir et blanc que l’on réalise véritablement ce qui fait la singularité de la série (et les références à Sin City, Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves de Marc-Antoine Mathieu). Outre un dynamise certain les trames habituelles sont remplacées par des aplats de noir et blanc. Cela donne une esthétique certaine aux pages, aux bâtiments, etc. mais demande un temps d’adaptation car il faut trouver ses repères pour bien saisir ce qui se passe. Cela donne une allure étrange aux personnages comme à leurs vêtements (notamment pour Lily) ainsi qu’aux scènes d’action : une série de coups de feux peut tout à fait occuper une pleine page, rompant avec celles qui précédaient et nous laisser nous débrouiller pour la déchiffrer, au milieu des onomatopées. Comme si nous étions dans la peau d’un archéologue en train de déterrer des fossiles. On peut d’ailleurs reprocher à ce premier tome de ne pas être des plus clairs (en plus de comporter quelques plans un peu trop orientés pour mettre en valeur le physique de Lily). Cela ne plaira donc pas à celles et ceux qui veulent une lecture rapide car il ne faut pas hésiter à relire certains passages plusieurs fois pour mieux comprendre ce qui s’y passe et apprécier tous les détails qui apparaissent au fil des passages.
Atypique, Jabberwocky l’est à plus d’un titre et interroge à propos de sa suite. Son scénario un peu fou mais structuré ainsi que la description de l’auteur sur la couverture laisseraient volontiers penser que c’est un manga réalisé à partir de nombreuses lectures et de quelques produits hallucinogènes mais après tout, laisser l’imagination prendre son envol pour nous proposer une fiction historique n’est pas désagréable. Ce manga a son originalité et nous entraîne dans un monde perdu autre monde. Si vous êtes équipés et appréciez ce genre de voyages Jabberwocky devrait vous laisser quelques bons souvenirs.