Ce tome contient Hellblazer Annual 1, The Horrorist 1 & 2, Hellblazer 14 à 24. Il vaut mieux avoir lu le premier tome pour comprendre les intrigues. Tous les scénarios ont été écrits par Jamie Delano


Annual 1 (illustrations de Bryan Talbot) - Comme tout le monde, John Constantine a des ancêtres et il est ici question de l'un d'entre eux qui a connu Merlin pendant ses dernières années. Ce long épisode (48 pages) se termine avec 6 pages dessinées par Dean Motter illustrant la chanson Venus of the hardsell des Mucous Membrane (le groupe de punk de Constantine).


Jamie Delano prend son lecteur à contrepied : il commence par évoquer le malaise de son époque au travers de la guerre des Falklands, pour se lancer ensuite dans un récit fantastique où un ancêtre de Constantine essaye de défendre le paganisme contre l'oppression totalitaire du christianisme. Jamie Delano prend à cœur de montrer que John Constantine a une lourde hérédité à porter et que la magie à l'oeuvre dans la série Hellblazer ne découle pas d'une opposition basique et binaire Dieu/Satan, mais qu'elle prend ses racines dans une vision du monde plus ancienne.


Bryan Talbot baigne dans son élément et évoque avec conviction cette époque moyenâgeuse, sans tomber dans le carton-pâte. Il réalise des dessins détaillés et son encrage apporte une forte patine à chaque case avec de nombreux petits traits fins qui délimitent les contours ou soulignent les textures. Chaque case semble fortement chargée et nécessite un temps de déchiffrage significativement plus long que les dessins de Piers Rayner. 4 étoiles.


Horrorist (illustrations de David Lloyd) - Quelque part en Illinois, une jeune femme fait surgir les horreurs les plus intimes des individus, qu'elles soient spectaculaires ou très ordinaires. En Angleterre, Constantine n'éprouve plus aucune empathie, le cynisme l'a coupé de ses sensations et de ses sentiments. Le visage de la jeune femme quand elle était enfant à servi d'image de communication de masse. Frappé par son regard sur la photographie, Constantine se met à la recherche du reporter photo qui a pris le cliché.


C'est la meilleure histoire du lot. Jamie Delano sait fouiller comme personne l'inconscient collectif pour mettre en lumière l'horreur du quotidien, la solitude, la culpabilité, l'insensibilité. Tous les individus sont condamnés par leur névrose ordinaire, par l'irrationalité de la vie, par l'omniprésence de la souffrance humaine. Il n'y a pas d'échappatoire possible, si ce n'est la mort. Delano écrit un récit très noir, désespéré, dans lequel il donne vie aux clichés mêmes les plus usés. Impossible de ne pas ressentir de l'effroi au passage de ce train avec des wagons à bestiaux et des bras suppliant qui en dépassent.


C'est vrai qu'il bénéficie des illustrations de David Lloyd très inspiré. Le dessinateur de V for Vendetta maîtrise merveilleusement chaque case, évoluant avec grâce entre le détail réaliste et l'abstraction conceptuelle. La pleine page d'ouverture semble une aquarelle abstraite jusqu'à ce que le texte en fasse apparaître la signification : quelques tracés de routes de campagne sous la neige, vus du ciel. La deuxième case procède du même pouvoir évocateur, un délicieux exercice de paréidolie, et bientôt le lecteur découvre les formes des bâtiments sous la neige. De la même manière, Lloyd s'amuse avec un rond blanc et un rond rouge sur fond vert, le reste de la page ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit de 2 boules de billard. Mais pris à part cette case relève d'une composition abstraite étonnante. Lloyd maîtrise parfaitement ses aquarelles : la case d'après, quelques touches de blanc, de gris et de marron se transforment en un verre de whisky en train d'être versé. Chaque page est un enchantement, un travail d'artiste interprétant la réalité pour en donner sa vision, ou plutôt une vision en accord avec le scénario et cases de texte maîtrisées et comptées. Dans cette histoire, Delano a mis de côté ses longues cellules de texte et ses copieux exposés de monologues intérieurs pour laisser Lloyd raconter l'histoire, établir l'ambiance, donner les détails.


La complémentarité entre les 2 artistes saute aux yeux et transforme cette histoire en une plongée dans l'horreur ordinaire éprouvante, vivifiante, sans hypocrisie. 5 étoiles. Ce recueil est indispensable du fait de ce récit terrifiant.


Épisodes 10 à 13 (dessins de Richard Piers Rayner, encrage de Mark Buckingham) - John Constantine effectue un voyage forcé dans le plan astral, pendant qu'Alec Holland utilise son corps. Il y croise un démon qui essaye de le détruire, et qui évoque le drame de Newcastle. Constantine se souvient de ce qui s'est passé dans cette ville quelques années auparavant. Ce drame a déclenché plusieurs crises de démence qui ont conduit à l'internement de Constantine dans l'asile de Ravenscar.


Avec ces épisodes, Delano continue de développer le personnage de John Constantine ; il est même possible d'apercevoir son frère (une future histoire) dans la troisième page de l'épisode 10. Mais Delano s'éloigne du registre qu'il maîtrise pour consacrer 2 épisodes à un combat contre un démon (Nergal). Ce n'est pas le registre d'horreur qu'il maîtrise le mieux. Par comparaison, l'histoire de Newcastle est déjà plus organique, plus convaincante. Le cauchemar endormi sur la plage de l'épisode 13 (consacré à la peur du nucléaire) montre que Delano reste meilleur quand il parle d'horreur concrète et réelle, de peur inconsciente qui a marqué une génération.


Les illustrations sont réalisées par Richard Piers Rayner dans un style très propre sur lui, avec des lignes fines et un grand niveau de détails. Ce rendu contraste fortement avec celui de John Ridgway (épisodes précédents) parce que plus agréable à regarder. Il perd un peu en puissance d'évocation en étant trop descriptif, moins de choses tapies dans l'ombre.



  • John Constantine s'éveille dans la chambre d'une employée d'hôtel. Il se lève et part en catimini. En prenant le journal du matin, il découvre qu'il est recherché par la police pour avoir commis un meurtre sataniste. Il décide de se mettre au vert en s'éloignant de Londres. Après quelques heures d'autostop, il s'enfonce dans des sous-bois et arrive à un camp d'hippies itinérants. N'ayant pas d'autres projets en tête, il décide d'accepter leur hospitalité pour un temps, en particulier celle de Mercury et de sa mère Marj qui voyagent à bord d'un van conduit par Eddy, une sorte de shaman new-age intéressé par les lignes Ley (appelées aussi alignements de sites). Ils rejoignent un groupe plus nombreux. Mais leur campement est mis à sac par les forces de l'ordre et Mercury est enlevée par une faction indéterminée. John Constantine promet à Marj de la retrouver et de la ramener.


Jamie Delano a une vision personnelle de la société anglaise à l'époque de Margaret Thatcher, et il entend bien utiliser la série Hellblazer pour en parler en y mêlant des thèmes horrifiques. Il procède d'ailleurs plutôt dans l'autre sens : il raconte avant tout une histoire mêlant horreur et fantastique, et les pérégrinations de Constantine l'amène à poser son regard sur les gens qui l'entourent et la manière dont ils agissent dans la société. Pour cette histoire, Jamie Delano va piocher dans les croyances relatives aux lignes Ley et au réseau qu'elles constituent pour transporter l'énergie mystique. Tout naturellement, le pouvoir associé à ces transmetteurs ésotériques est convoité par une organisation mystérieuse. Tout aussi naturellement ces lignes attirent des individus souhaitant s'éloigner d'une vie urbaine et artificielle pour renouer un contact direct avec Mère Nature. Écrit comme ça, cela peut donner l'impression d'individus naïfs et crédules. En fait Jamie Delano ne se moque jamais des uns ou des autres. Il s'attache avant tout à mettre en scène des êtres humains avec leurs particularités, tout à fait plausibles. La communauté que rejoint Constantine souhaite juste échapper à l'aliénation de la ville. Les individus la composant ont choisi un mode de vie itinérant subvenant à ses besoins en vendant leur force de travail en fonction des besoins saisonniers des éleveurs et des agriculteurs. Delano décrit un mode de vie alternatif de personnes ayant adopté des valeurs différentes de celles des consuméristes de base (et ce des années avant que l'idée d'altermondialisation ne devienne à la mode). Son approche n'est ni angélique (le mythe rousseauiste du retour à la nature), ni sardonique (pauvres hippies trop défoncés pour comprendre l'impasse évolutive de leur mode de vie).


Dans le camp des ennemis, Delano évite également les clichés en faisant reposer son histoire à nouveau sur des individus avec des motivations plausibles et crédibles. Il entrelace habilement les horreurs ordinaires et les éléments horrifiques de nature fantastique. Tout au long du récit, le lecteur a accès aux sentiments et aux pensées de Constantine. Delano les présente sous la forme d'un monologue intérieur très écrit. C'est donc avec la sensibilité prolétarienne de Constantine et son refus de l'autorité que le lecteur assiste au saccage du camp des itinérants, à la violence policière, à la corruption des élites, aux manigances d'opérette de quelques francs-maçons, et à la violence d'individus bornés. Cette forme d'écriture presque littéraire peut rebuter, mais elle présente l'avantage incomparable de porter un point de vue et d'intensifier la narration. Le lecteur plonge à corps perdu dans un monde où il ne fait pas bon être différent que l'on soit du bon ou du mauvais côté de l'ordre moral, que l'on soit installé et nanti, ou prolétaire et précaire. Delano utilise à plein le genre de l'horreur pour commenter l'état de la société et la difficulté de la condition humaine. Il met en évidence l'horreur ordinaire du quotidien, l'abjection du banal et l'aliénation de la vie en société.


Les illustrations se partagent en 2 styles très différents. Les épisodes 14 à 17 sont mis en image par Mark Buckingham et Richard Piers Rayner. Ils utilisent des traits très fin pour délimiter les contours, d'une épaisseur régulière. Le résultat est très facile à lire, avec une qualité quasi photographique. Ce parti pris graphique permet de rendre compte de la banalité et de la normalité des individus qui composent la communauté itinérante. La contrepartie est que les quelques scènes où apparaît le surnaturel tombent complètement à plat, avec des visuels dépourvus d'imagination baignant dans des effets de lumière inintéressants et artificiels. L'épisode 18 est illustré par Mike Hoffman : il sert de transition entre les 2 équipes de dessinateurs. Il utilise plus d'ombrage, commence à insérer des textures sur les surfaces, tout en restant réaliste, mais à un degré plus simplifié que Buckingham et Rayners. Mark Buckigham revient aux dessins, mais cette fois-ci avec l'encrage du vétéran Alfredo Alcala, expert en textures suintantes. Le style graphique semble alors changer du tout au tout. Fini l'aspect délicat et réaliste, passage au réalisme un peu gras et vulgaire. La comparaison avec le travail de Piers Rayner permet de constater qu'Alcala respecte les crayonnés de Buckingham, tout en les alourdissant par le biais d'un encrage un peu appuyé, et de traits non significatifs qui apportent un aspect tactile à chaque surface. Le lecteur côtoie alors une humanité besogneuse qui transpire par tous les pores, qui est accablée du fardeau du quotidien, de ses limites physiques et intellectuelles. Les images acquièrent une dimension charnelle pleine de sensations primaires.


Jamie Delano et ses illustrateurs invitent le lecteur à voir le monde par les yeux de John Constantine. Il s'agit d'une expérience à la fois familière et déroutante, dangereuse du fait de manifestations surnaturelles malveillantes, mais aussi révélatrice de composantes sociales et psychologiques inéluctables avec lesquelles il n'est pas toujours facile de vivre.

Presence
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le 4 juil. 2020

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