Je mourrai pas gibier par Sejy
Existe-t-il des violences légitimes ?
Si Alfred ne semble exprimer aucun point de vue, sa narration empathique suscite, néanmoins, beaucoup d'interrogations. Son trait fidèle, brutal retranscrit à la perfection la bestialité et la fragilité des sentiments. En écho à la voie off intérieure, il fait corps avec l'évolution psychologique de son héros et entraine le lecteur dans un huis clos comportementaliste captivant qui permettra d'embrasser le cheminement implacable jusqu'à la folie meurtrière.
Un carnage, ouverture et clôture du récit, une boucle qui résume parfaitement la destinée de cet adolescent qui tourne en rond dans une cage de fatalité. Car au-delà de son geste, de cette violence ultime, d'autres se dessinent en filigrane, plus insidieuses et peut-être encore plus détestables. Sociales et morales, elles puisent leurs sources dans une ruralité qui broie toutes les perspectives d'avenir et s'expriment dans les rapports humains les plus boueux. Bêtise, haine séculaire et inexpliquée, actes gratuits de cruauté, absence de honte ou de remords, complicité muette, il plane sur ce village fruste une barbarie physique et psychique insouciante. Dans cette scénologie où le sociodrame ne s'annonce qu'inéluctable, faut-il justifier ou condamner ?
Toujours est-il que l'auteur mène sa barque d'une main de maître. La suffocation, la frustration et l'écœurement montent crescendo. On est hypnotisé, happé dans une escalade ou plutôt une lente descente aux enfers dont le final, inconcevable, irréparable, agit pourtant à la manière d'un terrible exutoire. Quand chaque détonation, chacune des douilles tombées au sol, résonne comme une surprenante et désagréable satisfaction viscérale, comme une pierre supplémentaire dans la construction d'une catharsis ambiguë où l'on s'affranchit provisoirement de toute moralité. Dérangé, c'est avec impatience que l'on attend le rappel à l'ordre de sa conscience, espérant se réveiller du bon côté de la vertu.
Une sournoise et brillante auscultation morale.