À lire en complément de ma critique de Jojo’s Bizarre Adventure.

Il est permis de maudire le tsunami de 2011 à plus d’un titre. Bien sûr, on peut déplorer les dizaines de milliers de morts et l’incident nucléaire qui en fut l’issue, mais ça n’était encore qu’un moindre mal comparé aux dégâts dont on ne parle pas. À l’un d’eux en particulier, passé inaperçu, mais dont l’incidence fut cataclysmique : Jojolion.


Jojolion puise en effet sa Genèse de ce tsunami. Un tsunami qui avait alors ravagé – parmi moult communes – cette petite ville si chère au cœur de Hirohiko Araki, celle-là même qui lui avait servi de modèle pour l’excellentissime Diamond is Unbreakable. Ce dommage émotionnel, l’auteur l’a ainsi retranscrit dans son œuvre alors qu’il venait d’achever Steel Ball Run. Quelle erreur n’accomplissait-il pas en agissant de la sorte.


Dans la mesure où je considère que, chronologiquement, tout lecteur qui s’essaye à Jojolion, a vraisemblablement lu les sept parties de Jojo’s Bizarre Adventure l’ayant précédé, je ne m’embarrasserai d’aucune balise « spoiler » pour rapporter les événements antérieurs à ceux narrés ici. Qu’on ne s’en offusque pas, ce serait malvenu. Chaque partie de Jojo’s Bizarre Adventure peut être lue indépendamment des autres, mais il subsiste toujours des bribes d’informations ainsi que des personnages issus de parties précédentes ; la logique suppose de ce fait de les lire dans l’ordre.


Si je m’adonne à cet avertissement d’usage, c’est aussi parce que je vais revenir sur la fin de Stone Ocean, la sixième partie. Celle-ci s’achevant grâce à un « Reset » temporel. L’univers qui se recréait était pareil en tout point au précédent, mais avec une infinités de micro-différences qui permettait d’en faire un monde nouveau. De là, la chronologie de Jojo’s Bizarre Adventure, partie de 1880 jusqu’à s’achever en 2011 avec Stone Ocean, était repartie dans le 19e siècle de cet univers parallèle. Tout portait alors à croire que l’auteur, ayant devant lui plus d’un siècle à écouler, trouverait le moyen de s’attarder sur divers contextes historiques avant d’en revenir à la période contemporaine. Le tsunami bascula ces espérances d’un trait de plume humide. Aussi, de 1890 aux États-Unis, nous effectuons un bond de plus d’un siècle pour atterrir dans le Japon de 2011. Voilà qui, d’emblée, indispose. Mais la déception ne s’était arrêtée qu’à là… si seulement.


Nous frayons alors avec le Morioh de ce monde parallèle qui, en écho à l’actualité de l’époque au Japon, avait été frappé par un tremblement de terre. Morioh, vous vous souvenez ? Cette ville paisible charmante dans laquelle on aimait se balader le temps de Diamond is Unbreakable au point de nous délecter de la moindre rue emblématique. On oublie difficilement le doux sentiment planant de la quiétude d’une balade estivale dans une petite ville tranquille qui nous devient très vite familière. Croyez bien que ce sentiment, vous n’en ressentirez pas même un ersatz quand le Morioh de Jojolion vous happe dans sa trame. Elle est froide cette ville, aseptisée, pareille à toute autre et sans caractère. Est-ce donc ainsi que Hirohiko Araki comptait rendre hommage à cette ville qui lui était chère après que celle-ci fut dévastée par les eaux ?

Non, décidément, pire qu’une maladresse, c’était une erreur de jugement de sa part.


Ainsi, le contexte, qu’il soit de nature spatial ou temporel, ne trouve aucune emprise sur son lecteur pour lui être agréable à l’esprit. Cela ne s’était jamais vu auparavant en vingt-cinq ans de publication. Une hirondelle ne fait pas le printemps me direz-vous ; mais un corbeau mort tombé du ciel laisse entendre que l’air ambiant est quelque peu vicié.


Les dessins aussi indisposent. Après nous avoir soufflés avec Steel Ball Run, ils semblent s’être ici abâtardis et lissés plus que de rigueur pour devenir fouillis et quelconque malgré le style éminemment distinct de leur auteur. Même les graphismes ne sont pas engageants ; on a le sentiment d’avoir affaire à une régression dans le dessin, exception faite de quelques planches venues donner le change à l'occasion. Occasionnelle, l'occasion.


Et au service de qui se mettent ces dessins ? Du protagoniste de Jojo’s Bizarre Adventure le plus insipide de tout ce qu’a pu compter ce récit haletant. Pire encore que ne l’a été le trop parfait Giorno. Bien sûr, il n’y a pas lieu d’exiger un Joseph Joestar en chaque occasion. Un protagoniste n’a pas besoin d’être flamboyant pour étinceler. Jotarô était un monolithe fait d’airain, et il aura été retenu comme l’un des Jojo les plus marquants, sinon le plus emblématique de tous. Mais ici, ce nouveau Josuke – car c’est ainsi qu’il s’appelle – n’a pas peu de choses à mettre en avant, mais rien du tout. Il n’a pas de personnalité, rien. Le personnage, en lui-même, est un concentré de vide animé.


Un personnage principal avec une mémoire déficitaire et quatre testicules, c’est ça l’accroche de Jojolion ? Pour de vrai ? Ça n’augurait pas le meilleur mais… à l’époque, je ne m’en formalisais pas plus que ça car j’avais confiance en Araki. Quand un auteur de longue date multiplie les succès critique sans jamais décevoir en aucune occasion, on évacue l’idée même qu’il puisse un jour commettre une erreur ; on tient son talent et son imagination comme un fait acquis. Et pourtant, il y a des accidents de parcours, même chez les plus grand.


Je crois qu’une des erreurs comptant parmi les plus rédhibitoires de Jojolion tient au fait que cette partie a cherché à se garnir d’un scénario plus dense qu’à l’accoutumée. Car qu’on se le dire, Jojo’s Bizarre Adventure s’en est toujours tenu à des variables particulièrement ténus pour filer son récit ; et toujours avec d’excellents résultats.


Qu’est-ce que Phantom Blood scénaristiquement si ce n’est une histoire de revanche et de chasse au vampire ?

Qu’est-ce que Battle Tendency si ce n’est une traque aux super-méchants ?

Qu’est-ce que Stardust Crusaders si ce n’est une épopée d’un point A à un point Z pour vaincre le méchant final ?

Qu’est-ce que Diamond is Unbreakable si ce n’est une succession d’errements en ville avec un élément perturbateur venu y ajouter son soupçon de noirceur ?

Qu’est-ce que Golden Wind si ce n’est une nouvelle épopée d’un point A à un point Z – cette fois circonscrite à l’Italie – jusqu’à la découverte et l’anéantissement du méchant final ?

Qu’est-ce que Stone Ocean si ce n’est une succession de castagne en taule avant une évasion ponctuée d’un combat final ?

Qu’est-ce que Steel Ball Run si ce n’est une épopée d’un point A à un point Z – cette fois circonscrite aux États-Unis – pour déjouer un antagoniste influent ?


Sur le plan de la trame, on s’en tient habituellement à la portion congrue et, cette modeste portion, avec ce qu’il faut de génie dans la mise en scène pour assaisonner le tout, Hirohiko Araki en fait un met comptant parmi les plus exquis qui puissent être servis. Ici, la mise en scène est falote, elle ne parvient pas à captiver. Une fois encore, c’est une première. Même Golden Wind, malgré ses carences, savait nous mettre hors d’haleine avec ses confrontations. Mais ici, l’intérêt vient à manquer. Le fait de se désintéresser des protagonistes – qui laissent tous indifférent – n’aide déjà pas, mais il y a pire.


Donc… le scénario. Un scénario qui se concrétise par une enquête visant à retrouver la mémoire de Josuke, le tout étant bien sûr entremêlé de combats contre des stands adverses. Et là, les plus inquiets d’entre vous me demanderont, fébriles « Mais au moins, Araki a pas merdé avec les stands, hein ? Il a toujours fait sa part de ce côté-là et on n’a que très rarement trouvé motif à s’en plaindre ». Alors, en guise de prélude à la réponse que je me dois de formuler, je pousserai un court soupir désabusé. Ça non plus, je n’ai pas voulu y croire, mais il fallu me rendre à l’évidence lorsque je l’ai constaté : les stands de cette partie, pour la quasi-intégralité d’entre eux, sont sans intérêt et les combats qui en résultent le sont tout autant, si ce n’est plus encore.


Le stand du premier adversaire ? Il n’a pas tardé à décevoir. Fun Fun Fun a purement et simplement les mêmes pouvoirs que le Justice d’Enya durant les événements de Stardust Crusaders. En plus restreint, là sera la seule nuance permettant de le dispenser du plagiat. Pour la première fois – et pas la dernière croyez-moi – j’ai vu Araki faillir à son imagination en nous proposant un stand dont le pouvoir est strictement analogue à celui d’un des stands déjà présentés dans son aventure. Il ne parvient plus à se renouveler et s’en retrouve réduit à cannibaliser ses propres acquis pour faire subsister son œuvre.


Qui plus est, il se douche comme qui dirait dans sa propre pisse alors qu’il nous dispense, ici et là, quelques références à ses parties précédentes. Les ongles de Yoshikage Kira notamment qui, ici, sera la réelle personnalité présumée de ce Josuke à la mémoire disparue. Le nom de famille de Higashikata, famille trouble dont on ne sait trop ce qu’elle vient faire dans cette intrigue et qui, pourtant, l’accable de sa présence en continu. Il va de soi que tous, au regard de leur personnalité, seront inintéressants et même antipathiques au possible afin de nous donner la sensation de marcher sur du verre pilé si l’on se risque à poursuivre l’intrigue.


Résumons à ce stade – c’est-à-dire rien que dès le premier volume – : la mise en scène est annihilée, les stands sont lamentables, les personnages quand ils ne suggèrent pas l’indifférence, nous évoquent le pire, le dessin semble infiniment plus pâteux qu’auparavant…. Peut-on me dire à ce stade, à quoi le lecteur peut se raccrocher pour espérer apprécier sa lecture ? Ce scénario auquel se sera essayé Araki ? Mais mes bons enfants, tout ne sera alors que complot en peau de lapin ayant vocation à être ponctué par un « Tout ça pour ça ? », exclamé de guerre lasse par un lecteur manifestement éprouvé par la déception, celle-ci étant alors venue l’assaillir dès les premiers instants de sa lecture.


Jojolion est incroyablement mauvais. Le 1/10 que j’attribue, par sa sévérité, sanctionne avant tout la déception cuisante qui est la mienne. Mais cette considération aurait-elle été exclue de l’équation que je n’aurais guère pu mettre davantage que 2/10 à la place.

C’est à croire que cette partie n’a vocation qu’à faire revivre sommairement des portions d’intrigue du passé et recycler des stands comme on galvaniserait de la chair morte pour lui faire s’agiter les nerfs. Ça bouge, mais l’odeur de putréfaction, immanquablement, demeure bien présente.


Et quelle idée de mêler en plus le pauvre Johnny Joestar à cette histoire de fruits infects. Jojolion aurait gagné à être un spin off dans un deuxième univers parallèle afin de sauver l’honneur. Des fruits infects dont l’intérêt et l’enjeu suggéré n’est que difficilement perceptible ; la narration nous force à nous y intéresser en nous faisant bien comprendre que, content ou pas, il n’y aurait rien d’autre au menu.


J’en ai fait une indigestion de ces fruits Rokakaka, croyez-moi. Ils m’auront filé la chiasse comme jamais, et je n’ai eu aucune aptitude en retour si ce n’est celle de haïr un manga qui m’avait donné tant de raisons de le vénérer. La belle affaire. Ils ne m’auront pas transformé en pierre cela dit, mais m’auront cependant laissé de marbre.


Et la liste des auto-plagiats continue. California King Bed-chan est un mélange minable perdu entre Lock et White Snake, Paisley Park est une nouvelle version du stand de Pocoloco, Born This Way, est une version détournée de White Album, Nut King Call est un Sticky Finger avec des vis et des écrous, Schott Key N°2 pour Purple Haze, Doggy Style comme émule de Stone Free, … j’en passe et des meilleures. Non pas des meilleures ; des pires, car il ne sera plus question que de ça ici. Les stands originaux auront pour leur part des pouvoirs alambiqués à l’extrême au point où on ne pourra que les trouver exagérés et ennuyant à combattre. Stands dont tous, durant les événements de Jojolion, s’incarneront en plus en étant chacun modelés depuis un design graphique particulièrement immonde. On la sent la mort de l’inspiration qui nous souffle un peu plus fort dans le cou à chaque page qui vient.


Malgré les dangers, malgré l’adversité, la scénographie est si carencée qu’on ne ressent rien. La tension n’a plus aucune emprise sur son lecteur, les choses se passent sans passion ; on les lit sans conviction, et en se forçant. Le combat de scarabées avait le potentiel pour être aussi fascinant d’un poker chez D’Arby ou un jeu de dés chez Rohan… mais même-là, la fougue n’y était pas. Les effets graphiques pour soigner la mise en scène n’ont qu’une incidence stérile sur le sentiment éprouvé au cours d’une lecture.


Et il aura fallu que cette partie – incontestablement la plus indigeste de toutes – soit aussi la plus longue d’entre elles. Ne serait-ce que par plaisir de prolonger une agonie qui n’a pas lieu d’être. Le récit aura été étiré déraisonnablement avec les insignifiants déboires internes de la famille Higashikata ainsi que l’irruption de tous les membres de la mafia fruitière qui, chacun à leur tour, suggèrent de rouler les yeux quand on les voit passer.


Bon sang, on aura même droit à un arc zombie le temps des événements de Blue Hawaii. Les idées de l’auteur, alors, fanent sans grâce devant nos yeux attristés. C’en est franchement désagréable à regarder. Il faut d’ailleurs se forcer pour que la lecture puisse se poursuivre. Chose qui ne se sera jamais produite avec une seule des parties précédentes.


Ceux qui n’auront pas été laminés par le dépit chercheront, en vain, à se raccrocher à un semblant d’espoir. Presque agonisant ils me demanderont « Mais… et le combat final alors ? N’est-il pas… spectaculaire ? ». Ceux-là, je les achèverai d’un « Non » sec et sans nuance. Parlons de l’antagoniste en charge de cette dernière confrontation d’abord… un personnage introduit sur le tard – donc, qui ne nous suggérera rien – et dont le pouvoir s’accomplira dans un fatras désarticulé sur vingt chapitres de temps, interrompu par une narration décousue qui n’est décidément plus foutue de gérer la tension.


Les affrontements finaux de Jojo’s Bizarre Adventure sont réputés pour être peut-être les plus impressionnants, tous mangas confondus, si ce n’est même, toutes fictions confondues. Ce sont des monuments érigés à la gloire de l’ingéniosité, de la tension et d’un registre épique à qui l’auteur savait faire honneur en ces circonstances. Le monument dressé pour la circonstance sera en revanche une case en boue séchée dont les bases mitées ne préludent que l’écroulement piteux. Ce combat qui tiendra lieu de confrontation ultime, je le dis, ne vaut pas le plus insignifiant combat de stand des parties antérieures à Jojolion. Et ça n’est pas la rancœur qui me conduit à écrire ça, mais un constat froid et réfléchi.


Et puis, il y a les signes du temps, purulents ceux-ci, qui, comme un énième symptôme décisif, achèvent de me persuader que plus rien de bon, jamais, ne germera le long du pinceau d’Araki. Je dois à Hirohiko Araki d’avoir découvert le rock progressif. En passant par King Crimson, mon monde musical nouveau et sans cesse en expansion se sera offert à des oreilles émerveillées. Ce fut pour moi un changement de paradigme. Le nom des stands de JJBA est parsemé de groupes de rocks divers, attestant d’une certaine qualité phonique. Puis… la cassure s’amorça. Le stand de Nijimura, dans la parution magazine, s’intitulait « Going Underground », célèbre titre du groupe britannique The Jam. Mais Araki se permit une modification de dernière minute pour le volume relié, il s’appellerait « Born this Way », chiure auditive illustre que nous devons à Lady Gaga. Tout est là, dans cette anecdote significative ; Araki est passé du rock de qualité à la pop pour dégénérés, le niveau s’en sera fait ressentir aussitôt. En voulant devenir proche de ses lecteurs, en s’abaissant au goût de la masse, Araki a œuvré telle l’Église catholique qui, en suivant ses ouailles plutôt qu’en lui traçant le chemin, se sera avili pour tomber aussi bas que ses grotesques contemporains. Las de trop souvent donner l’impulsion, Araki se sera essayé au suivisme, au laisser aller. Le résultat est là. On ne pourra que légitimement le déplorer.


Rien, mieux que Jojolion, n’a aussi bien illustré le crépuscule d’une idole. Un crépuscule qui, après la nuit, annoncera je l’espère un lendemain qui chante. Car si Jojolands, la neuvième partie en devenir à l’heure où je rédige cette critique ne redresse pas la barre, nous pourrons jurer sans peine que le navire Jojo’s Bizarre Adventure aura sombré comme celui de Jonathan en partance pour les États-Unis.

Jojolands est le plus prodigieux glaviot ayant un jour perlé au visage d'aficionados de quelque saga que ce soit. Les signes des temps avaient joliment présagé la chienlit, mais j'avais alors sous-estimé son ampleur. J'avais vu juste, et je le regrette amèrement.

Josselin-B
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le 12 avr. 2024

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Josselin Bigaut

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