Il faut croire que la libido de Sigmund a fini par me pénétrer l'esprit, car deux de mes œuvres les plus marquantes de 2022 se révèlent être relatives à la psychologie. Emprunté au pifomètre dans les nouveautés de ma bibliothèque de quartier (comme 50% du reste de ce que je consomme) : Journal de ma solitude (à dire avec un ton grave et solennel… c'est ce que je fais quand j'en parle aux gens en tout cas) s'est révélé à mes yeux être un véritable diamant 50 carats. En sachant que le diamant c'est du carbone raffiné hein faut l'savoir, donc même si vous pensez être bons à brûler au BBQ vous pouvez toujours avoir l'éclat et la beauté du cristal.


Sorti d’un peu nulle part il me semble via une publication internet sur Pixiv, ce two-shot est la suite de l'œuvre d’une japonaise racontant sa vie réelle et actuelle, plus ou moins en direct. Parlons tout de suite de ce qui saute à la gorge lors de la lecture de Journal de ma solitude : l’émotion. C’est extrêmement beau et touchant de se livrer comme ça, à cœur ouvert sur sa vie, particulièrement quand elle est d’un équilibre aussi fragile que celle de l’autrice. C’est insoutenablement émouvant, notamment parce que je m’identifie à beaucoup de choses et au pire même si vous êtes un yes-life votre empathie fera le job (si vous en avez, petite racaille). Ce récit d’une femme victime d’un monde rude, où être heureux est de plus en plus difficile : notre monde. Combien de gens autour de moi m'affirment “ne pas être heureux”...


Ce qui a particulièrement fait écho avec des ressentis que j’ai, c’est cette manière que le livre a de montrer qu’on peut avoir des problèmes alors qu’on on a pas de raison d’en avoir, ou qu’on paraît être dans les meilleurs conditions, parfois même à nos propres yeux. Pourtant ce sentiment de malaise subsiste. Tellement de personnes vivent dans des conditions 100 fois pires que les nôtres, sans amis, sans famille, sans argent, sans urbanisation, sans confort, et pourtant même chez nous on est pas heureux. Plusieurs milliardaires affirmeront aussi qu’ils ne sont pas heureux… L’indice du bonheur est plus bas en France que dans une dizaine d’autres pays alors qu’on a un patrimoine culturel de fou, beaucoup de mesures de soutien social, un système de santé quasi entièrement remboursé et qu’on est globalement très bien connecté au reste du monde. C’est vraiment inclus en nous, cette insoutenable lourdeur de l’être, dépendant de notre construction et de notre état et ce one-shot communique excellemment bien ces sentiments et notions. Kabi Nagata offre ses splendides réflexions brisées sur notre monde grâce à un fort recul sur sa situation : échelle de valeur, bonheur, indépendance, relations sociales… Certaines sont vraiment marquantes (j’ai noté “Il y a longtemps, j’ai lu quelque part qu’être indépendant, c’était multiplier ses liens de dépendance et être attaché à chacun à faible degré”; famille, amis, entreprise, services…)


Vous aurez compris que j’ai été complètement charmé par son histoire de vie… On se pose plein de questions car avec un peu moins de chance, ou des conditions légèrement différentes j’aurai pu vivre exactement la même chose (peut-être que moi aussi à 28 ans je paierai une prostituée…). On a envie de donner à Kabi l’énorme câlin dont elle a besoin, et de lui donner un peu de notre bonheur et de notre amour avec un grand A, celui que le monde lui a refusé pendant quasiment 30 ans… La grande histoire se raffine pour donner la petite, d’une subtilité et pertinence absolue, et on est submergé par un torrent d'émotions de la taille de la grande vague de Kanagawa. Dire que l’autrice se pense incapable d’écrire de la fiction et inférieur à d’autres mangakas alors que son oeuvre m’a paru supérieure à toutes les BDs que j’ai lu cette année.


Le récit est supporté par une dimension graphique que j’ai trouvée largement à la hauteur : hors des conventions habituelles des mangas, c’est assez atypique avec sûrement des inspirations de la BD occidentale tout en restant crayonné et mignon à souhait. Les visuels sont globalement magnifiques, doux et se révèlent très créatifs dans leurs idées de figurations et de représentations, pour illustrer le propos avec des petits schémas à droite à gauche. Ce qui frappe également de mélancolie, c’est de voir comment le dessin se dégrade dans la deuxième partie en même temps que l’état de Kabi lorsqu’elle va à l’hôpital et qu’elle indique ne plus réussir à dessiner de la même manière… glaçant (ça rappelle le type qui faisait son autoportrait avec l’évolution de son Alzheimer).


En bref Journal de ma solitude c’est mon gros coup de cœur de cette année, un véritable voyage dans une vie parallèle à la mienne, comme si j’avais été heurté par tous les aspects les plus sombres de notre univers en 2022. Ça me fait me rendre compte à quel point je suis heureux et chanceux de pouvoir prendre du plaisir quotidiennement dans ma situation/routine actuelle. Un chef d'œuvre lisible même sans avoir touché à son prédécesseur “Solitude d’un autre genre”, c’est totalement indépendant car tout est expliqué au début mais je vais bien entendu pouvoir me jeter dessus maintenant, comme sur toute l'œuvre de Kabi Nagata slurp slurp. Le genre de récit qui fait vraiment grandir quand on a ma sensibilité, un peu à la manière de Persepolis ou de Pilules Bleues. Merci d’avoir enrichi ma vie de la votre, et de la plus belle des manières.

Tomega
9
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le 9 sept. 2022

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