Jujutsu Kaisen
7.2
Jujutsu Kaisen

Manga de Gege Akutami (2018)

Dès le premier chapitre porté à notre regard, on sent. On sent davantage qu’on ne voit en réalité. On sent ce petit côté « je veux en être » sans avoir ce qu’il faut pour. « En être » de quoi ? Mais, être un auteur qui mérite d’accéder au succès, bien sûr. Gege Akutami, le succès, il l’aura arraché de par ses seuls talents, mais aussi avec ce qu’il faut de roublardise. Pour un peu, il l’a même un peu forcée sa notoriété. C’est un mérite en soi.


Gege Akutami, pour dire vrai, n’a pas écrit un manga qui, du fait de ses qualités objectives, aurait naturellement rencontré le succès ; il a dessiné un Shônen qui, en respectant une nomenclature stricte et ma foi bien schématisée, a cherché à réunir tous les éléments qui font qu’un Shônen est apprécié. Jujutsu Kaisen, ça n’est pas tant une recette réussie qu’une agglomération d’ingrédients savoureux. Ils sont frais les ingrédients, même qu’ils donnent envie, mais les réunir dans un même saladier sans les cuisiner ne suffit pas à en faire un plat digeste.


L’humour, à ses premiers soubresauts, et poussif. On retrouve un recueil de personnages guignols qui compensent un manque flagrant de personnalité par une exubérance factice et inauthentique. Y’a jamais le sentiment du vrai quand ils s’affichent comme ridicules. Rien qui ne soit comparable à ce qu’on ressent d’instinct en lisant un GTO, un One Piece – et encore moins un Gintama. Gege Akutami, là encore, semble chercher à mettre en scène l’humour plutôt qu’à faire rire. La nuance est de taille, pareille à celle qui distingue la carte du territoire. Car aussi bien dessinée puisse être la carte, elle n’a finalement rien à voir avec ce qu’elle représente. Jujutsu Kaisen, c’est du relief apparent sans profondeur. C’est bien foutu, mais un regard avisé ne s’y laisse pas tromper. On peut dire de l’œuvre qu’elle est construite, qu’elle est façonnée, mais on peut difficilement prétendre qu’elle aurait été écrite et rédigée.


Les créatures rapportées sont en tout cas joliment conceptualisées pour certaines. Lovecraftiennes dans l’idée, très japonaises dans la manière dont elles sont remaniées, Kazuo Umezu, plus d’un demi-siècle après L’École Emportée, peut constater avec fierté– mais aussi avec effroi – que sa postérité ne manque pas de lui faire honneur. Graphiquement, j'entends.

Pour ce qui est du trait, en règle général, on retrouve du Sui Ishida modelé dans un semblant de Tatsuki Fujimoto, et le tout, parfois teinté d’un rien de Yoshihiro Togashi pour certains plans ainsi que pour ce qui se rapporte au Body-Horror. La recette manque de goût, mais ses agréments la présentent joliment.


Ce qui est moins enthousiasmant en revanche, c’est cette histoire de «potentiel comme celui de Yuji lui permettant de maîtriser Sukuna se retrouve chez un individu par millénaire…. coup de bol, c’est justement ce type sur lequel je tombe inopinément », laisse un arrière-goût. Un arrière-goût qu’on devine plus désagréable encore que celui consistant à dévorer des parties de corps maudites. Et puis, ce n’est pas non plus comme si personne n’a vu venir le coup du personnage principal avec, en lui, le Kyûbi ou son côté Hollow.


Et la facilité, loin d’être une simple amorce scénaristique, s’accomplit à toute occasion. Jujutsu Kaisen est un festival de clichés, mais de clichés bien amenés. Assez en tout cas pour ne pas trop entacher la lecture. Il n’y a pas une idée nouvelle qui nous parvienne, mais ce plat réchauffé qu’on nous sert a un semblant de goût qui n’est pas toujours désagréable au palais. Alors on le mange sans trop rechigner finalement. De là à dire qu'on l'apprécie...


Pourtant, il n’y a pas de quoi faire bombance. Les personnages sont plats et stéréotypés à outrance, pire encore, le personnage principal est surpuissant au naturel, l’intrigue va de soi car ayant déjà été écrite par d’autres en mieux des décennies auparavant, les pouvoirs, en plus d’être indéfinis, donnent lieu à un déferlement de violence – maîtrisée toutefois – au point que, finalement, on ne sait trop quoi attendre de ce manga. Mais on sait, ou du moins le croit-on, que Jujutsu Kaisen a justement quelque chose à nous offrir. À défaut d’avoir un bon Shônen, le lecteur a tout même droit à l’illusion d’un bon Shônen. Et par ces temps de disette qui nous accablent dans le milieu, c’est le mieux qu’on puisse espérer. Cela, hormis le retour providentiel de monsieur Yoshiro Togashi, bien entendu.


J’ai lu ici et là que certains considéraient par ailleurs Jujutsu Kaisen comme un palliatif en l’absence de Hunter x Hunter ; c’est extrapoler déraisonnablement que de dire ça. Si ce n’est quelques occasionnelles proximités dans le dessin, rien ou presque ne relie les deux œuvres.


La hiérarchie des puissances passe par-dessus la tête du lecteur alors qu’on démarre avec les malédictions « spéciales » sans même passer par toutes les catégories précédentes. Les personnages ont de gros pouvoirs très mal limités, l’enjeu des combats, à ce titre, se conçoit en option.

Tous ces défauts, couplés à des qualités apparentes – et apparentes seulement – font de Jujutsu Kaisen un Shônen poseur. Il a tout d’un Nekketsu plus mature que la norme et moins conventionnel… à condition de ne s’en tenir qu’à la forme. Il y a une belle gueule, mais il n’y a finalement pas grand-chose derrière. Le style, ici, fait tout et, par conséquent, ne fait pas grand-chose. Mais il fait juste assez pour donner à l’œuvre une dimension autre. Une dimension qu'on ne pourra cependant pas se risquer à qualifier de «supérieure».


Jujutsu Kaisen est ce qu’on pourrait considérer comme le pendant vertueux du vice que constitue Fairy Tail ; celui d’un calcul froid opéré par son auteur qui, cette fois, aboutit à un résultat convainquant. Là où Fairy Tail a allègrement pioché à droite à gauche, jusqu’à même se complaire dans le plagiat éhonté en espérant bricoler un Nekketsu au format pot-pourri, Jujutsu Kaisen, quant à lui, emprunte avec davantage de parcimonie, avec une minutie telle qu’on peut parfois percevoir les influences à l’œil-nu sans pour autant établir la médiation exacte entre celles-ci et l’œuvre qui s’en inspire au point de n’être faite que des créations des autres.

Car l’œuvre, ici, est finalement une créature de Frankenstein. Elle est remarquable à certains égards pour ce qui la constitue, unique à sa manière, mais n’a pas d’existence propre alors que celle-ci est faite de cadavres éparses. Des cadavres qui ont ici belle tournure et qui, pour beaucoup d’entre eux, ne sont même pas morts.


Quand Mashima, avec ses œuvres, arrange une recette en réunissant tout ce que le Nekketsu a de plus faisandé à offrir, Gege Akutami réunit quant à lui des saveurs qui pourraient se marier entre elles si elles étaient correctement cuisinées. Jujutsu Kaisen n’a pas le goût d’un plat trop cuit, mais d’un plat réchauffé.

Josselin-B
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le 22 juil. 2022

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Josselin Bigaut

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