Qu’est-ce que le western, au juste ? Sous couvert d’une conquête de l’Ouest non sans remous, celui-ci tient pour sûr du creuset de thématiques foisonnantes : exploration et expansionnisme enfiévrés, âpres conflits et massacres des amérindiens, loi balbutiante et hors-la-loi de tout poil, grands espaces et progrès technique galopant... sans oublier ses fameux cow-boys, eux qui ne cristallisent que trop bien cette ère à la croisée des chemins.
Une époque lointaine pourtant aux portes du monde contemporain, objet de tous les fantasmes et donc d’un art continuant d’en retranscrire, décortiquer et remodeler les principaux versants. Vaste sujet en somme, à l’image de ses nombreux sous-genres tel que le « crépusculaire » : un terme somme toute valise mais reconnaissable dans son illustration de ce siècle, et plus spécifiquement son terme, au cœur du folklore américain. Maintenant que les caravanes sont depuis longtemps passées, le one shot Jusqu’au dernier de Jérôme Félix et Paul Gastine a donc pour réel mérite de s’y faire une place, ce qui n’était pas une mince affaire.
Qui plus est, force est de constater qu’il l’aura fait avec la manière, celui-ci marquant les esprits au point d’en faire une réussite sous toutes les coutures : le dessin réaliste et ses couleurs parfaites (quels paysages !) de Gastine est un véritable régal, parfait support d’une intrigue toute aussi superbe. À ce titre, Félix évite les écueils ordinairement d’usage en faisant fi de toute iconisation, quitte à carrément trahir nos attentes naïves en menant ses protagonistes au-delà du prévisible. Transgressant les frontières du manichéisme balourd, Jusqu’au dernier dresse ainsi avec une justesse rare des portraits de haute volée, pantins faillibles se démenant de leur mieux au sein d’un chamboulement dual : celui, bien connu, du plomb et, à une toute autre échelle, d’une civilisation en pleine effervescence.
Plutôt que de se cantonner à une unique figure, le récit va ainsi nous dépeindre avec brio l’envers noir et sanguinolent d’une transition continuant de nourrir des chimères, la loi du bien commun et du profit l’emportant inexorablement sur l’individu : et s’il était à craindre que la narration ne perdre en teneur car suspendue à une pluralité de profils, ce jeu de la « patate chaude » impitoyable emportera sans coup férir notre adhésion. De l’indécrottable Russell, vestige d’un autre temps mais ouvert au changement, à l’idéalisme nullement niais d’une institutrice érigée en martyre, la tragédie « opportuniste » de Sundance ne manquera pas de nous laisser un sentiment doux-amer des plus mémorables...
Car d’une tombe à l’autre, soit son ouverture et sa conclusion, Jusqu’au dernier aura magnifiquement bouclé la boucle.