Dans la catégorie des super-héros de BD, voici Imbattable, dessiné par Pascal Jousselin. Intitulé Justice et légumes frais, ce premier tome (sur trois à ce jour) d’une série qui promet donne une idée de l’inventivité de son auteur et des possibilités de son super-héros pas comme les autres.
L’album commence par des gags en une planche, histoire de montrer de quoi le dessinateur et son super-héros sont capables. C’est tellement bien pensé et complètement hors normes que l’effet se révèle irrésistible. Pour tenter d’expliquer, le super-pouvoir d’Imbattable est sa capacité d’interagir sur les différentes cases d’une même planche. Étant donné que lui seul parmi les personnages a ce pouvoir, il surprend régulièrement tout son monde. En bon super-héros, il met son super-pouvoir au service de son entourage pour « sauver la veuve et l’orphelin » (première planche très symbolique). Il utilise les objets à sa portée et se déplace d’une case à l’autre, pour agir de façon foudroyante sur les individus menaçants qui ne voient jamais rien venir. Grâce à son super-pouvoir, il agit selon sa volonté aussi bien vis-à-vis du passé que du futur de l’action décrite, ce qui produit quelques effets assez hilarants. Mine de rien, Pascal Jousselin justifie l’affirmation qui accompagne chaque début : « Imbattable, le seul véritable super-héros de bande dessinée. »
Super-original
Honnêtement, on pourrait reprocher au dessinateur de faire dans la facilité, en accordant à Imbattable des capacités qui brisent les codes de la BD. Dans ces conditions, il peut tout se permettre (et il ne se gêne pas)… ce qui correspond parfaitement à l’univers des super-héros. Il est donc dans l’expérimentation par rapport aux possibilités narratives de ce medium, à l’image de Marc-Antoine Mathieu ou bien des membres de l’OuBaPo (Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle) qui voient dans le medium BD des possibilités qui dépassent largement l’organisation classique que la logique de lecture devrait privilégier. Tout le monde n’accrochera donc pas, car si de nombreux dessinateurs s’affranchissent de la narration pas bandes en utilisant des cases de tailles et formes diverses mais organisées, peu vont au-delà. Pascal Jousselin joue avec la vogue des super-héros et de leurs super-pouvoirs qui dépassent le cadre des possibilités humaines, pour nous entraîner dans une fiction où il pourrait dire qu’il se contente lui aussi d’attribuer un super-pouvoir pour faire de son personnage un super-héros. Dans cette optique, il exploite une voie qui a déjà été explorée par Fred, avec sa série Philémon. Ce que fait Pascal Jousselin est subtil, car il ironise à sa façon sur les super-pouvoirs qui permettent à un super-héros de sauver le monde des forces du mal. C’est toujours hyper-spectaculaire et flirte régulièrement avec l’écueil manichéen. Pascal Jousselin prend le contre-pied de tout cela en faisant du super-héros un personnage assez petit et légèrement rondouillard, avec un costume jaune, une petite cape et un masque noirs, ce dernier lui mangeant le haut du visage. D’apparence presque maladroite, il compense par ce qu’il sait que son super-pouvoir lui permet d’accomplir.
Tenir la distance
La vraie crainte concernant cette BD serait la capacité de son auteur à se renouveler suffisamment pour tenir la distance. Heureusement, Pascal Jousselin a dû rapidement obtenir des échos favorables des premières planches (parution dans Spirou à partir de 2016) et trouvé l’inspiration pour dépasser ce simple cadre des gags en une planche. Et pour enrichir les possibilités offerte à Imbattable, il le confronte (thème ultra-classique de l’univers des super-héros), avec d’autres personnages qui se découvrent eux aussi d’étonnants supers-pouvoirs en lien avec les possibilités du medium BD. Cela lui permet d’élaborer des histoires plus longues et plus élaborées. La découverte des autres super-pouvoirs illustrés dans l’album mérite le détour.
Des personnages récurrents
Outre Imbattable, l’album présente quelques personnages récurrents, dont le capitaine de Gendarmerie Jean-Pierre qui l’appelle régulièrement à la rescousse. On remarque aussi le maire de la ville, un politicien rusé qui va régulièrement à l’encontre de ses promesses électorales. Nous avons aussi l’inévitable savant fou, ainsi que celle que le maire cherche à mettre dans sa poche : la PDG de Pestichimic, l’entreprise la plus importante de la région.
Un aspect classique trompeur
Cette BD comblera les amateurs de la ligne claire. Le trait est net, les décors soignés mais pas surchargés et les couleurs signées Laurence Croix agrémentent l’ensemble. Concrètement, avec son format (30 x 21,8 cm et 46 planches) et ses quatre bandes par planche, l’album se présente comme un classique de la BD franco-belge. Sauf qu’avec sa page rognée « volontairement », on sent d’emblée l’objet surprenant. À signaler que le titre de l’album ne correspond qu’à une seule des histoires. Enfin, la lecture sous format numérique avec une application « case par case » est à proscrire, car une vue d’ensemble de chaque planche contribue souvent à la compréhension.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné