Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue sans connaître l'univers partagé DC, mais qui est plus savoureuse si le lecteur a une vague idée de qui sont ces personnages. Ce récit est classé dans les Elseworlds, c’est-à-dire une version alternative des personnages, différentes de la version canonique de l'univers partagé DC, ne s'inscrivant pas dans sa continuité du moment, ni dans les suivantes. La légende veut que ce soit en lisant cette histoire que Geoff Johns a développé l'envie de les écrire, ce qu'il fera dans deux séries JSA consécutives de 1999 à 2009. Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993/1994, écrits par James Robinson, dessinés et encrés par Paul Smith, avec une mise en couleurs réalisée par richard Ory. Cette édition comprend une postface très savoureuse de 5 pages, rédigée par Howard Chaykin en 1995.


Au début des années 1940, des américains braves ont donné leur vie sur des champs de bataille dans des pays éloignés. Sur le sol des États-Unis, les américains endurent l'annonce de la mort de leur fils ou de leur mari par le biais d'un télégramme redouté. Pour ceux restés dans le pays, le temps guerre était synonyme de la recherche de matériaux à recycler, des colis de nourriture, l'achat d'obligations pour l'effort de guerre. Mais d'une certaine manière, les américains restés dans leur pays vécurent à une époque d'innocence et de dieux. Il y avait de nombreux superhéros qui se battaient contre les criminels sur le sol américains, et qui s'associaient parfois au sein de l'équipe All Star Squadron. Le 6 août 1945, l'explosion de la bombe atomique met fin à une ère, annonce la fin de l'Âge d'Or. Les soldats reviennent dans leur pays, retrouvent leur femme, leur enfant, leur emploi de bureau ou à la ferme. Des parades sont organisées pour les héros tels que Americommando (Tex Thompson) un des superhéros ayant œuvré en mission secrète en Europe depuis 1942. Bob Daley prend connaissance de son retour avec les actualités projetées avant le film qu'il est venu voir. Il part avant la fin du reportage, blessé par la gloire de celui dont il fut l'assistant adolescent avant la seconde guerre mondiale.


Dans un port américain, un bateau décharge son cargo de nuit. Un passager clandestin en profite pour se faufiler sans se faire voir, et sauter à l'arrière d'un camion. 1947 : Tex Thompson (toujours en costume de superhéros) est décoré par le président des États-Unis Harry S Truman devant la Maison Blanche. Johnny Chambers met un point d'honneur à travailler sur son documentaire sur les Hommes Mystères, sans utiliser ses pouvoirs de Johnny Quick. Il en est à la dernière partie et il pose la question de savoir ce qu'il est advenu des superhéros. Il connaît la réponse, mais il ne peut pas l'inclure dans son documentaire. Jay Garrick (Flash) a pris sa retraite de superhéros, s'est marié et a fondé une famille. Carter Hall est de plus en plus persuadé qu'il est la réincarnation d'un pharaon et ne s'intéresse plus qu'à ça. Terry Sloane (Mr. Terrific) dirige sa compagnie d'aviation, lui-même a divorcé d'Elizabeth Lawrence (Liberty Belle). Les superhéros américains n'avaient pas pu aller au front en Europe, à cause d'Otto Frentz (Parsifal) capable de neutraliser leurs superpouvoirs. Du coup, une fois le conflit terminé, Tex Thompson récolte les honneurs, et les autres se retirent comprenant qu'ils ont fait leur temps. Dans son bureau de PDG d'un groupe de presse, Alan Scott s'inquiète de la montée de l'anticommunisme et des conséquences potentielles pour ses journalistes avec des attaches socialistes.


Au début des années 1990, l'éditeur DC Comics établit le principe des histoires alternatives de type Elseworlds, avec Gotham by Gaslight (Mignola & Augustyn) en 1989, puis avec Batman: Holy Terror (Brennert & Breyfogle) qui est pour la première fois estampillé du logo Elseworlds. La majeure partie des Elseworlds se présente sous la forme d'une histoire complète en 1 épisode de 48 ou 64 pages. De temps à autre, des auteurs réalisent une histoire de plus grande ampleur comme celle-ci, ou encore en 1996 Whom Gods destroy, de Chris Claremont, avec Dusty Abell & Drew Geraci. A priori, le lecteur a de quoi être fortement alléché par cette histoire : écrite par James Robinson le scénariste de la série Starman (1994-2001), dessinée par Paul Smith le dessinateur d'épisodes mémorables de la série Uncanny X-Men (épisodes 164 à 175, sauf le 171). Le lecteur s'adapte facilement au mode narratif adopté par les auteurs. James Robinson a beaucoup de choses à présenter, à raconter pour établir la situation : l'ascension politique de Tex Thompson, le rôle des superhéros pendant la seconde guerre mondiale et ce qu'ils deviennent. Le lecteur n'a pas besoin de disposer d'une connaissance encyclopédique desdits personnages pour apprécier le récit. Tout au plus s'il les a déjà vaguement vu passer dans une histoire ou une autre, cela suffit pour générer la sensation de nostalgie attendue. Pas besoin de savoir qui sont Captain Triumph, Dan the Dyna-Mite, Johnny Quick, Liberty Belle, Manhunter, Robotman, Tarantula, Atom, Green Lantern, Hourman, Starman, Johnny Thunder, Miss America et les autres. De même, les dessins dégagent également tout de suite un parfum de nostalgie, une Amérique propre sur elle des personnages élégants, des individus désenchantés, des lieux réalistes. Le coloriste réalise un très bon travail pour nourrir chaque planche, leur donner plus de consistance, même si une ou deux sont reproduites un peu trop foncées.


Au départ, l'intrigue se répartit entre la progression régulière de Tex Thompson sur la scène politique, le constat d'impuissance des superhéros de la seconde guerre mondiale, et le mystère du fuyard inconnu. L'écriture du scénariste oscille entre le naturalisme pour les dialogues, les flux de pensée un peu écrits, et des scènes d'action spectaculaires. L'artiste réalise des dessins propres sur eux, avec des traits de contour élégants, un usage très maîtrisé des aplats de noir et des traits d'encrage à l'intérieur des surfaces détourées pour leur apporter un peu de texture. Chaque page offre une lecture fluide, avec des personnages incarnés par leur expression de visage naturelle, leur gestuelle, soit dans un registre naturaliste pour les discussions, soit dans un registre plus vif lors des séquences d'action. Du coup, le lecteur perçoit facilement l'état d'esprit de chaque personnage, et éprouve de l'empathie pour ces adultes qui estiment que le temps d'être un superhéros est passé, que leurs superpouvoirs sont inutiles, qu'ils ne sont plus dans le coup : l'Amérique ne veut plus d'eux. Ils sont obsolètes, des vestiges d'un passé que tout le monde veut oublier, et impuissants à faire face à la montée d'autres dangers, comme le communisme, ou plus encore la chasse aux sorcières qui montent en puissance sur le territoire de leur pays. Ils avaient éprouvé un sentiment d'importance en combattant le crime pour le bien commun, et cela leur est retiré. La plupart d'entre eux perdent également pied dans leur vie personnelle, entre divorce, incapacité à protéger ses salariés, usage de substances psychotropes, et même santé mentale.


Dans le même temps, Tex Thompson a choisi de servir le peuple en menant une carrière politique dans la vie civile et ça lui réussit. Les dessins montrent un bel orateur, sûr de lui sans être arrogant, autoritaire comme il faut, très différent de l'inexpérimenté Daniel Dunbar, avec un dessin irrésistible quand ils sont tous les deux sur le même podium du fait contraste entre leur posture. Au fil des pages, le lecteur peut éprouver la sensation que Paul Smith dessine un peu différemment que pour la série X-Men : dans la postface, Chaykin explique que l'artiste a fait en sorte d'incorporer des maniérismes propres aux illustrateurs et dessinateurs de l'époque à laquelle se déroule le récit. Régulièrement, le lecteur marque un temps d'arrêt pour apprécier une image ou une séquence : les cases montrant l'Amérique sous un jour quasi mythologique, Thompson debout dans une voiture pendant la parade, Robotman arrêtant brutalement deux voleurs, Theodore Knight en proie aux affres de son génie scientifique, Paul Kirk assailli par des cauchemars métaphoriques avec un aigle éviscéré, Hourman subissant des visions délirantes sous l'effet de sa pilule miracle, Carter Hall complètement parti dans sa réincarnation égyptienne, etc.


Par le biais d'une narration très étudiée, tant sur le plan visuel recréant l'esprit d'une époque, que par les flux de pensées, les auteurs transportent le lecteur dans une Amérique dans laquelle les héros de la guerre sont priés de reprendre leur place dans le civil, et qui est en proie au doute de la présence d'un ennemi caché au sein même de la société. La déliquescence des superhéros d'hier correspond à la chasse aux sorcières menée par le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines (HUAC). En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que la révélation du criminel qui tire les ficelles est totalement grotesque et ramène le récit à un niveau infantile. Il est aussi possible d'envisager cette fin comme étant symbolique, comme permettant d'enterrer définitivement une période révolue, en mettant un terme aux agissements de l'ennemi emblématique de l'équipe All Star Squadron, permettant ainsi à une nouvelle ère de s'ouvrir.


Le lecteur peut éprouver des a priori quant à ce récit : une histoire de superhéros se déroulant juste après la seconde guerre mondiale, hors continuité, avec des tas de superhéros peu connus, et un dessinateur aux cases peut-être trop aérées pour une reconstitution historique. Très rapidement, il se rend compte que James Robinson sait insuffler assez de personnalité à chaque protagoniste pour que le lecteur s'y attache même s'il ne les a jamais rencontrés auparavant. Il constate également que Paul Smith a dû disposer du temps nécessaire pour peaufiner ses planches, de manière à concilier un degré de détails suffisants, avec une saveur rappelant la fin des années 1940, une grande réussite. Il prend fait et cause pour ces adultes qui ont été des superhéros, qui sont revenus à la vie civile et qui se trouvent en décalage avec l'état de leur société, éprouvant une sensation d'obsolescence. S'il considère les superhéros comme l'expression d'une caractéristique purement américaine, il ressent toute la justesse du dénouement, après un récit sensible à l'intrigue astucieuse.

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le 2 janv. 2021

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