En cette fin janvier arrive par chez nous une nouvelle série aux éditions Ki-oon : Kasane - La voleuse de visage. Trailer et extrait à lire sont ici et . Le premier tome contient les 8 premiers chapitres ("épisodes"). Impressions ci-dessous.


Chaque série a quelque chose de différent des autres, une tonalité, une singularité, une couleur. Kasane n'échappe pas à la règle et cette impression de différence survient dès la couverture. Un œil nous regarde. Celui de Kasane. Il nous fixe tandis qu'elle s'apprête à dévorer sa proie. Cet œil appartient à un visage qui a quelque chose de menaçant, un aspect prédateur même si l'on ne repère ni griffes ni crocs. Sa forme me fait penser à un requin, a quelque chose de l'Être Pâle (Ushio et Tora)... Bref une menace au moins virtuelle est présente et se précise lorsque l'on retire la couverture et que l'on voit la même scène sous un jour différent. Je vous laisse en faire l'expérience.


Après cet arrêt sur la couverture, entrons dans le récit. Je ne vais pas vraiment parler de ce qui se passe au fil des pages mais de quelques grands thèmes et questions.


Premier "gros morceau" : la laideur. Kasane est "célèbre" pour cela. Maltraitée par ses camarades (coucou A Silent Voice), par sa tante (qui s'occupe d'elle), la jeune fille encaisse remarques et coups. Cachez cette laideur que je ne saurais voir. Les "moches" doivent savoir rester à leur place. L'atmosphère est insupportable. Kasane est-elle vraiment si laide ? Qu'est-ce que la laideur ? La laideur n'existe que parce qu'il y a des gens beaux aussi ses critères ne sont pas constants et, surtout, le visage de Kasane (qui va être encore un peu plus marqué au fil du tome) ne nous apparaît jamais totalement. Toujours ses cheveux nous empêche de la voir en entier, situation qui contraste par rapport aux moments où elle a "volé" le visage d'une personne.


La laideur physique est-elle associée à la laideur d'âme ? Non. Kasane n'apparaît pas comme quelqu'un de foncièrement mauvais. Par contraste, les personnes jugées plus belles qu'elles sont souvent ignobles. Comme si rabaisser Kasane et établir une frontière étanche avec elle leur permettait de confirmer leur appartenance aux gens beaux, biens... Même si une jolie personne est aimable avec Kasane cette dernière ressent une forme d'humiliation car la situation apparaît comme un don sans retour possible. On peut d'ailleurs faire un parallèle entre cette situation et le cas de l'aumône : "La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte, et tout l'effort de notre morale tend à supprimer le patronage inconscient et injurieux du riche 'aumônier.' " (Mauss, 1925, Essai sur le don, p. 258)


Le monde n'est pas le même, on ne le voit pas de la même façon selon notre apparence physique. Constat glaçant et déprimant. On ne peut dès lors qu'éprouver un certain soulagement quand on voit que Kasane a un rouge à lèvres qui lui permet de voler le visage d'une personne et donc de ne plus être Kasane pendant un instant. En même temps que des doutes apparaissent : peut-elle accepter d'être une autre temporairement ? N'y a-t-il pas un risque "d'addiction à la beauté" ? Sa rencontre avec Kingo Habuta, metteur en scène qui a connu sa mère, en fin de volume, annonce qu'un vol avec effet permanent est du domaine du possible. Mais tant les dents de lapin de ce dernier que le mystère entourant le rouge à lèvres invitent à la prudence face à ce nouvel avatar d'un serment faustien.


Autre gros morceau : le théâtre. Kasane l'aime, elle aime jouer devant les autres. Et elle a du talent. Mais jouer devant les yeux des autres, sentir leur regard se porter sur soi n'est pas toujours évident. Les spectateurs seraient-ils donc "dégoûtés" en voyant l'apparence de Kasane ? Les portes lui seront-elles toujours fermées tant qu'elle sera "elle" ? Devra-t-elle - physiquement - toujours être autre pour être reconnue ?


Kasane - La voleuse de visage débute donc comme une pièce de théâtre ou un conte (variations autour de Cendrillon). Il fait peu de doute que nombre de parallèles avec des pièces de Shakespeare et d'autres pourraient être faites. Je préfère en rester là pour ne pas dire de bêtises supplémentaires.


Pour conclure, je dirais que ce premier tome se révèle suffisamment consistant pour ne pas éprouver de frustration en attendant la suite. On suit l'intrigue comme autant de scènes et d'actes qui s'offre à nous. Le dessin de D. Matsuura n'apparaîtra peut-être pas à tous comme le plus flamboyant qui existe mais il m'a pleinement donné satisfaction eu égard aux sujets traités. Nouvelle représentation attendue avec le tome 2 !

Anvil
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le 1 févr. 2016

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