Imaginez que vous soyez une fille : Nina Tanzawa. Jeune et jolie, vous voulez être actrice pour que laisser un souvenir impérissable aux personnes qui vous verront. Problème : atteinte de narcolepsie, vous vous endormez de manière aléatoire, parfois pour plusieurs semaines ou mois. Par conséquent il vous est difficile de nouer des liens, de mener à bien une activité. Essayer de ne pas dormir est une possibilité, mais l’insomnie est une solution instable à long terme.
Supposez alors qu’un individu vienne vous voir, un certain Kingo Habuta, et vous propose un marché : il peut faire de vous une star, quelqu’un qui va marquer les esprits à condition que vous acceptiez de prêter votre visage à une jeune fille qui vous représentera sur scène. Seriez-vous disposée à passer un tel pacte avec le « Diable » ?
Schématiquement c’est le problème de décision auquel se trouve confrontée Nina, celle-là même qui avait eu des mots pas très agréables vis-à-vis de Kasane à la fin du tome 1. Kasane qui, bien sûr, est la fille qui doit la remplacer.
A partir de là, notre scène se remplit de trois éléments :
- Les conditions de fonctionnement du fameux rouge à lèvres commencent à être précisées. Kasane peut remplacer Nina 12 heures, passé ce délai, le carrosse redevient citrouille (pour utiliser une formule très méchante) ;
- Le rapport entre Nina et Kasane se développe. Contrairement aux situations précédentes, ici Kasane remplace une personne dans la durée. Aussi il ne suffit pas d’embrasser Nina et hop, le tour est joué. Une grande place est accordée à l’apprentissage. Kasane doit apprendre à jouer une autre personne mais pas simplement sur scène : dans la vie de tous les jours. Nina va alors devenir son agent/coach, la conseiller pour la faire devenir elle. Cela n’est d’ailleurs pas sans poser beaucoup de questions : qui profite vraiment de cette situation ? Chacune a intérêt à coopérer avec l’autre mais à terme il n’est pas sûr du tout que les deux soient gagnantes – Habuta n’hésitant pas à dire à Kasane de ne pas copier Nina : une indication comme quoi il faut introduire des différences pour que Kasane remplace à terme totalement Nina en devenant cette dernière ?
- Enfin, cet « échange » entre Kasane et Nina est l’occasion, pour cette dernière, de passer du temps avec le visage de Kasane et donc de « vivre » sa condition de pestiférée, de personne que l’on regarde avec un air de dégoût… Alors que Kasane peut jouer librement, donner sa pleine mesure quand elle a le (beau) visage d’une autre, Nina voit comment le fait d’être méprisée, repoussée par les autres… à cause de son physique finit par porter atteinte à la confiance, l’estime de soi ainsi qu’à sa capacité à agir (vais-je sortir en sachant ce qui m’attend ?). Où l’on voit que le manga peut sans mal être connecté avec les théories de la reconnaissance (Axel Honneth).
Comme pour contrebalancer ce que l’on aurait pu penser à la fin du premier tome, ce volume rend Nina plus accessible à notre sympathie. Après tout, sa vie n’a pas été si différente de celle de Kasane (si on occulte ce qui est lié au physique). Ce rapprochement imprévu – Habuta a décidément bien choisi – oblige à se défaire d’une vision simpliste où Kasane ne ferait que prendre la place d’une pimbêche. Nina n’a pas le talent de Kasane, c’est vrai. Pour autant doit-elle complètement céder ? Qu’est-ce que Nina au fond ? Un nom et un visage que n’importe qui peut incarner ? Une personne unique qui ne pourra jamais être remplacée même par la plus parfaite des imitations ? Ce ne sont pas des interrogations triviales qui surgissent, car elles touchent à la construction même de l’identité. Kasane pourra-t-elle jongler sans mal entre les personnes qu'elle doit incarner ? Jusqu’où poussera-t-elle son rôle d’actrice ?
En terminant ce tome on se demande ce qu’il va advenir de Nina. Les deux meilleurs amies/ennemies sont liées, mais jusqu'où et jusqu'à quand ? Nina ne sera-t-elle en tout et pour tout que la simple « fournisseuse de visage » pour Kasane ? Le tome 3 est donc attendu, pour pouvoir apprécier un peu plus encore ce conte peu joyeux où les sourires sur scène cachent bien des grimaces et des souffrances en coulisse.