S'il y a bien eu un comics qui a su offrir une vision complexe et incroyable de la relation entre le Joker et Batman, c'est bien ce Killing Joke. Issu de la collaboration entre Alan Moore (un des meilleurs auteurs du monde) et Brian Bolland (un des meilleurs dessinateurs du monde), Killing Joke fût l'un des ouvrages du renouveau du comics dans les années 80 entre un Dark Knight Returns et Watchmen.
Les comics de cette époque marquaient surtout une rupture totale avec ceux des décennies précédentes. Plus sombres, plus violents, mais surtout plus vrais. Je ne suis pas un adepte de la violence, je n'en ai jamais eu besoin pour aimer une œuvre, mais lorsque celle-ci est utilisée à bonne escient, qu'elle apporte véritablement quelque chose, elle peut s'avérer sublime et terrifiante à la fois. Et c'est le cas dans The Killing Joke.
The Killing Joke est à mon sens l’œuvre la plus violente de Batman, la plus cruelle, la plus crade qu'on ai pu voir. Ici, on explore les violences sous toutes ses formes, physique, mais surtout psychologique.
Car qu'est-ce donc que Killing Joke si ce n'est un mec qui a tout perdu, qu'on a roulé dans la farine, qui a vécu toutes les horreurs du monde, et qui cherche à se convaincre que son comportement est toute à fait justifié ? Le Joker n'est plus l'antagoniste tout méchant, ici, il est un homme en détresse qui n'a besoin que d'une chose : qu'on le comprenne.
Et s'il y avait bien quelqu'un pour le comprendre, ce serait Batman. L'homme chauve-souris, bien évidemment, un homme qui se déguise pour planer la nuit et combattre le crime, il doit forcément avoir vécu quelque chose d'horrible pour agir ainsi. Finalement, la seule différence entre Batman et le Joker, c'est que Batman lutte contre la réalité, est persuadé qu'on peut faire le bien et s'en sortir, tandis que le Joker en rigole, il sait qu'il ne peut être sauvé.
Alors bien évidemment, cette opposition ne peut que se finir dans un bain de sang, ce que Batman veut éviter. Mais voilà, le Joker est instable, instable comme il ne l'a jamais été, et il s'agit à mon sens de la meilleure version du personnage, tout œuvre confondue. Car jamais le l'auteur n'aura été aussi proche du personnage, n'aura autant compris son comportement, c'est comme si on pardonnait toutes les horreurs qu'il commettait, parce que lui-même, avait vécu bien pire.
Et c'est pour ça que je ne peux pas considérer ce Joker comme un antagoniste. Car, bouquet final, Batman est en grande partie responsable de sa folie. Ce n'est pas tout, car on nous présente Batman comme un être violent. Je me souviendrai toujours de cette réplique du Joker : « Alors, tu attends quoi ? J'ai abattu une jeune fille, terrorisé un vieil homme. Pourquoi tu ne me tabasses pas avant d'aller recevoir ta médaille ». C'est comme si le Joker se lassait de son rôle, qu'il savait pertinemment que malgré ses efforts pour montrer qu'il est comme tout le monde, on le rangera toujours dans la case « méchant ».
Du coup, ce Joker-là, j'ai toujours eu envie de lui prendre la main, de la regarder dans les yeux, et de lui dire que je veux l'aider. Et c'est exactement ce que Batman fait. C'est alors que, par l'incroyable écriture d'Alan Moore, le Joker lui raconte une blague, aussi anodine que bien choisie, celle de deux fous qui s'échappent de l'immeuble, deux fous très proches, mais que tout oppose. Et ces deux fous, bien évidemment, c'est Batman et le Joker.
Donc ouais, s'il y a bien une œuvre qui a réussi à transcender le personnage du Joker, c'est The Killing Joke, d'autant plus que la narration y est tout bonnement parfaite, enchaînant magistralement les flash-back et le présent. La mise en page y est également pour quelque chose, ce serait difficile d'analyser sans les planches pour illustrer, mais je ne compte pas le nombre de fois que j'ai sorti ce comics de mon étagère, pour le montrer à un ami et lui montrer toutes les subtilités de la mise en page. D'autant plus que le dessin y est magnifique, je possède l'édition Urban Comics colorisée par Bolland lui-même (avec quelques retouches), et bordel, que c'est beau, que c'est froid, que l'encrage y est sublime, j'en pleure à chaque fois tellement j'aime le style de Bolland.
Et pour ceux qui se poseraient des questions sur la fin de Killing Joke, je n'ai qu'un conseil à vous donner, observez la première et la dernière case du comics, ce sont exactement les mêmes, ces goûtes de pluie qui s'échouent sur le sol. Perso, j'y vois du coup un cycle qui se relance, malgré les efforts de Batman pour aider le Joker, celui-ci est enfermé dans sa folie, conscient de ce qui lui arrive, il continuera toujours à agir dans la violence... jusqu'à ce qu'ils s’entre tuent.
Putain, le chef d’œuvre. Alors tout ça, je ne l'ai compris qu'au bout de plusieurs lectures, la première fois, j'avais eu un sentiment de déception, mais en m'y replongeant, je me suis rendu compte de toutes les subtilités du scénario de Moore (comme c'est le cas dans toutes ses œuvres, il faut les relire pour tout comprendre), et là, tout devient clair.
Donc ouais, Killing Joke, c'est un putain de chef d’œuvre, un comics qui prend aux tripes, dessiné d'une main de maître par Bolland, et dont la richesse du scénario aura rarement été égalée dans un comics. Et dire qu'Alan Moore n'en est pas satisfait.