Citation d'Alan Moore
“Les souvenirs peuvent être vils et répugnants. Comme un enfant, je
suppose. Mais peut-on vivre sans eux ? Notre raison est basée sur nos
souvenirs. Si nous ne pouvons pas les affronter, nous nions la raison
elle-même ! Mais pourquoi pas ? Nous ne sommes pas liés par contrat à
la raison ! Il n’existe aucune clause de bon sens !”
Bien que le joker ne soit pas apparu en même temps que Batman, (1 an plus tard), il faut bien reconnaitre que la pertinence de son écriture mais surtout sa relation avec le chevalier noir font de nos deux icônes des entités complètement indissociables. Le Joker est devenu bien plus qu'un ennemi récurent ou une Némésis, il est et restera une de facettes que Batman a toujours essayé de cacher en lui, ce qu'il aurait pu devenir ce soir là. Comme deux faces d'une même pièce, opposé mais l'un ne peut exister sans l'autre. C'est sans doute au vu de ce qui est sans doute la relation la plus intéressante et complexe de l'histoire qu'Alan Moore, dieu parmi les dieux du comics a essayé de nous offrir une esquisse de la relation entre les 2 entités. La manœuvre n'a pourtant rien de prétentieux, on ne cherche pas ici à donner la réalité (ils ont 80ans, ils sont ou ont été tout et n'importe quoi, il n'y a aucun moyen de détenir la réalité) mais simplement une balade dans le crane du Joker. Le résultat s'appelle "Killing Joke", souvent présentée comme le plus grand comics de tous les temps, et c'est de lui dont nous allons essayer de parler aujourd'hui.
Il est tout d'abord bon de chercher qui est ce Batman, ce Joker. Il y a des milliers interprétations possibles, on peut s'attendre à tout... mais pas à ce qui va suivre. Quand Batman arrive dans Arkham, il fait peur à toutes les personnes qu'il croise, une ombre pour assombrir tout Gotham, une âme torturée, un taré costumé de plus à Arkham. Il est violent, émotionnelle, mais surtout: il doute. Pour l'une des première fois Moore nous présente un Batman démasqué, et je parle de celui de Bruce. On est clairement loin du bon justicier Adam West. Il ne vient pas pour arrêter le joker mais bien pour le comprendre, pour essayer d'arrêter de combat d’anthologie qui ne pourra mener qu'à la destruction des deux entités
Face à lui un Joker juste parfait. Déjà on se centre bel et bien sur lui, sur ce qu'il ressent, le joker a une réflexion tout aussi intéressante que celle du Batman. Par cela Alan Moore ne cherche pas à imposer une vision mais bel et bien à recréer un mythe: celui du Joker. Dans la scène qui l'introduit on va certes montrer qu'on n'a respecter les travaux d'origines, mettant en scène cette introduction dans une fêtes foraines abandonnées, parfait mélange entre cette folie enivrante et l'étrange. Même si les thèmes de la folie et de la déconnexion avec le monde sont très bien introduits c'est bien avec cet étrange flash back ouverture sur le passé d'un autre étant dans le même corps que lui, dont il n'a que des brins de souvenir. Cet autre se révèle être son opposé, triste, détruit par son monde piégés par la fatalité, et même si il ne s'en rappelle plus beaucoup, le joker semble parfois regretter cette période ou les choses avait un sens, une raison. Mais c'est aussi et surtout cette horrible fin du vendeur qui marquera les esprits, car presque encore plus que le flash back celui ci annonce le retour de la menace, de toute la peur que peut inspirer un personnage. Cette première approche est presque encore mieux réussi que celle du chevalier noir, on y retrouve certes l'étrangeté, la déconnexion et la folie mais aussi l'horreur et la tristesse, qui vont permettre d'humanisé le personnage. Loin de détruire le mythe, indéniablement pour l'ancré dans la réalité, passant un message fort: ça pourrait être chacun d'entre nous.
Au delà d'essayer de plus montrer les deux entité en martyr plutôt qu'en symbole, il est surtout utile de relever qu'on place ici Batman et Joker sur le même pied d'égalité, comme l'introduit si bien cet extrait: "C'est deux mecs dans un asile...". Dans Killing Joke il n'y a pas un chevalier de la justice et un serviteur de la folie mais bel et bien deux tristes fous.
J'ai vu beaucoup de gens expliquer que expérience du Joker lui servait à se dédouaner (en gros si je suis comme ça ce n'est pas de ma faute), ce que je trouve complètement idiot car si il y a bien une chose propre au Joker c'est l'acceptation de ce qu'il est et ce qu'il fait, il ne assume pleinement les actes. Nan pour moi si Joker réalise cette expérience, outre le fait de montre que lui et Batman ne sont pas si différents, c'est bien pour fuir son passé dont il a des remouds nostalgique. Il essaie de se dire qu'il n'a pas abandonner son passé, que toute personne à sa place serait devenu fous. Qu'il ne suffise que d'un mauvais jour pour que tout bascule.
N'oublions pas de parler de l'intrigue en elle même au lieu de parler de sa dimension. En faite quand je disait que le vendeur servait à un retour de la peur, j'exagérai. Il ne sert en effet qu'à donner un ton, qui ne nous prépare en rien à ce qui va suivre. C'est bien l'attaque de Barbara, personnage récurent donc à priori protégée par le scénario qui va annoncer le retour de la Peur, beaucoup plus proche qu'on ne l'imaginait, qui dépasse les lois de l'intrigue, bref l'horreur dans sa grandeur absolue et la reconstruction du mythe Joker. C'est d'autant plus intéressant qu'on montre en parallèle le clown dans une vie antérieure ou il est l'incarnation de la tristesse, submergée par la mort, la peur...impuissant. C'est surement la scène la plus intéressante en matière de couleur alors je vais m'attarder dessus un peu. Les seules choses coloriées et d'une couleur quasiment identique sont le masque et les crevettes. Les deux sont de petits insectes malmenés par leur monde qui malgré leur carapace fragile sont vouées à mourir dévorées par les plus forts. Il est bon aussi de noter qu'en endossant le masque l'homme devient un méchant parmi tant d'autre, un de ceux que le Batman arrête tout les jours, pour bien faire comprendre ici que ce ne sont pas les même personnages (Joker et l'homme). C'est là que "Rire, pour s’empêcher de pleurer" prends tout son sens, ce n'est pas en tombant dans l'acide que l'homme meurt il faut bien le comprendre mais c'est abattu par la vie qu'il va céder à la folie pour arrêter de souffrir, peau blanche, visage figé et fluide corporelle s'échappant comme un mort, on imagine que ces rires macabres viennent des enfers.
"Une démonstration". La démonstration du cerveau humain qui perd la boule, ni plus ni moins. Ce qu'il y a de "marrant" (tout est relatif) dans l'attitude du joker, au delà de son sadisme c'est presque une compassion ("A la vie et son aléatoire cruauté", "Comment lui en vouloir, dans un monde de psychotique faire autrement serait de la folie") morbide au près de sa victime dont on peut supposer qu'il se reconnait en lui. Ce qui est intéressant ici c'est bien le terme "psychotique" qui sous entends que personne ne s'est rendu compte qu'il était fou, et que pourtant c'est notre vérité et fatalité à tous.
Pourtant le Joker se trompe, Gordon a tenu bon, ce qui lui a permis cet exploit est sans doute un autre fou bien décidé à faire respecter la justice: Batman. Si la BD se concentre d'avantage sur les personnages que sur le symbole elle ne fait pas non plus l'erreur de les omettre que ce soit Batman comme ici présenté ou même le Joker avec la réaction de Barbara.
"Parce que je le connais déjà (le monde de fou) et je ne le trouve pas drôle". Batman marque bien ici la seule chose qui le sépare du Joker qui a cédé à ce monde de fou alors que lui a décidé de le combattre. Il n'est pas comme Batman et Gordon n'a pas succombé à la folie, le joker a perdu sur toute la ligne. C'est d'ailleurs pourquoi le pistolet n'est qu'un farce, le joker a perdu.
Je le place là car je ne sais pas ou le mettre mais je n'ai pas grand chose à dire sur les dessins que je trouve assez classiques....sauf les visages du joker. On passe du démon au martyrs à la folie à l'homme d'une façon si parfaitement orchestré pour mettre en œuvre toute la complexité du personnage qu'on pourrait presque croire que l'on est pas avec le même personnage tout du long.
La fatalité qu'ils ont fuit les a rattrapés pour en faire des prisonniers d'eux même et de leurs valeurs, même Joker se retrouve prisonnier de sa folie.
Finir une œuvre aussi puissante que Killing Joke par une blague fallait oser, mais cette blague conclue l'intrigue à la perfection. Les deux fous sont évidemment Batman et Joker, ils tentent de s'évader de leur destin mais Joker à peur. Batman essaie de le sauver avec de belle paroles mais face à cette absurdité le joker fait ce qu'il fait de mieux, une blague.
Une blague tellement morbide qu'elle entrainera même le chevalier noir dans sa chute, et ils rigolèrent tous de vive folie face au glas de la fatalité
“Quand tu te retrouves enfermé dans un train de pensées désagréables
qui se dirigent vers ton propre passé où les cris sont insupportables,
souviens-toi qu’il y a toujours la folie. La folie est la sortie de
secours. Elle te permet de sortir et de fermer la porte sur toutes ces
choses effrayantes qui se sont produites. Tu peux les enfermer pour
toujours.”