La vengeance n'apporte qu'amertume et souffrance.

Ce tome fait suite à Orcs et Gobelins T10: Dunnrak (2020) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. La première édition date de 2021, et ce tome comporte 46 pages de bande dessinée, 3 pages de recherches graphiques, et une page présentant la couverture des tomes 1 à 19 de la série Nains, des 30 tomes des séries Elfes bleus, sylvains, blancs, semi-elfes, noirs, des tomes 1 à 11 de la série Orcs & Gobelins, et des tomes 1 à 4 de la série Mages. Ce tome peut se lire sans aucune connaissance préalable des séries des Terres d'Arran, indépendamment de tout autre. Il a été réalisé Jean-Luc Istin pour le scénario, Sébastien Grenier pour les dessins et J. Nanjan pour les couleurs.


Kronan, un orc de Mahalal, est assis sur trône dans une grande salle, dans un palais troglodyte avec une trentaine de personnes de sa cour, assises à même le sol, buvant ses paroles. Il évoque une de ses aventures du passé, une chevauchée à l'aube dans le royaume d'Aktmar, une de ces matinées où le froid mordait la couenne. Une armée de mercenaires Chad' accompagne Nawell, la reine d'Antarya vers un village fortifié. Sur les remparts, les soldats reconnaissent l'armée de la reine et ouvrent les lourdes portes. Elle pénètre avec ses hommes dans la place forte, et toujours à cheval, elle demande où se trouve la maison du guérisseur. Le villageois répond : elle le remercie et elle lui passe son épée au travers du corps. Elle ordonne qu'on lui amène le guérisseur, sa femme et sa famille, en ce qui concerne les autres elle ordonne de le tuer tous. Certains villageois invoquent leurs dieux, d'autres se contentent de détaler. Toute tentative de négociation était vaine et ne propose qu'une issue fatale : la mort ! Les Chad' oubliant leurs maux se bide se jettent sur eux comme de foutus lions. Le guérisseur est amené devant la reine Nawell et implore sa pitié lui rappelant qu'il l'a mise au monde. Elle le décapite d'un revers de lame et ordonne de tuer sa famille, en s'arrangeant pour que ça dure longtemps.


Quelques temps plus tard, Kronan voit le soleil se lever sur la capitale Antarya, alors qu'il est crucifié sur une haute croix. Il crève de soif, il entend les vautours qui renifle sa sueur et son sang, en attendant qu'il calanche pour planter leur bec immonde dans sa viande et se repaître de ses viscères. Il hallucine, imaginant une armée de zombies à ses pieds. Au bout d'un instant, ils disparaissent et Kronan commence à être la proie du désespoir. La veille encore, il avait été réveillé dans son lit, avec une femme à ses côtés, par un soldat cognant à la porte. Il était convoqué par la reine sur la place publique. Arrivant sur la place d'Alaïm, il constate que toute l'armée de mercenaires est présente, ainsi que ses propres hommes. La reine Nawell se lance dans son discours : pour le bien de leur royaume, afin que la paix perdure pour le libre-échange et la prospérité du commerce, elle a reconsidéré sa décision et décidé d'accepter Syrius pour époux. Ce dernier disposant d'une armée régulière et professionnelle, elle indique que l'armée d'Antarya n'a plus de raison d'exister, et elle leur ordonne de se disperser et de regagner leur demeure dans le calme. Pendant qu'ils partent, Kronan monte les marches pour parler directement à la reine.


Dans les dédicaces, le scénariste indique explicitement qu'il a écrit un récit pour rendre hommage à Robert Ervin Howard (1906-1936) et qu'il a repris l'intrique et la trame de la nouvelle Une sorcière viendra au monde (A Witch Shall be Born, 1934) mettant en scène Conan. Effectivement, si le lecteur connaît déjà cette histoire, il en retrouve la trame inchangée, ainsi que la scène frappante de Conan / Kronan sur la croix, mordant à belles dents dans le cou d'un vautour qui est passé trop près, pour en boire le sang. L'orc correspond bien à un barbare, particulièrement massif, avec une très grosse épée, très résistant, et malin : il fonctionne très bien dans ce rôle. L'artiste apporte un souffle épique irrésistible avec des images qui s'impriment durablement sur la rétine : l'arrivée de la troupe de la reine vers la ville fortifiée sur un plateau enherbé au milieu des montagnes, Kronan au sommet de sa croix dans une zone désertique, la perspective des escaliers menant à l'entrée du palais où se tient la reine pour son discours, la façade du palais troglodyte, Kronan sur son buffle aux cornes incroyablement longues avec son armée déployée derrière lui, l'immense bibliothèque, les deux armées s'élançant l'une contre l'autre. Très vite, la bouche du lecteur s'ouvre malgré lui, submergé par ces visions spectaculaires par leur force, la manière dont elles capturent l'énergie d'un moment, ou son mouvement, ou sa dimension mythologique.


Le lecteur se retrouve complètement transporté ailleurs par la narration visuelle, et s'implique d'autant plus dans son absorption des images. Il relève de nombreuses conventions spécifiques au genre Fantasy : l'épée de Nawell beaucoup trop longue pour être maniée, sa position en haut des escaliers beaucoup trop éloignée des soldats pour qu'elle puisse être entendue, les cornes du buffle qui devraient lui faire ployer l'échine et baisser encore plus la tête, les défenses de repaire du mage qui occasionnent la mort de la plupart de ses clients potentiels, l'ampleur de l'armée de Kronan qui nécessite une logistique et une intendance impossibles, par exemple. Mais cela correspond à la licence artistique de l'artiste qui lui permet d'insuffler un élan épique qui fait partie des conventions du genre. Le lecteur est moins prêt à augmenter son niveau de suspension d'incrédulité consentie pour d'autres détails. Il a du mal à comprendre pourquoi en pages 8 & 9, il y a deux autres individus en croix à proximité de celle de Kronan, et pourquoi il n'y en a plus du tout en page 13. Il hésite à accepter le rouge à lèvres très soutenu de Nawell en page 6. Il éprouve parfois des difficultés à concilier ce que dit le texte avec ce que montrent les images. Les cartouches évoquent un village, alors que c'est une ville de moyenne importance avec des fortifications hautes et épaisses qui protègent les constructions qui sont toutes en dur. En son for intérieur, l'orc estime que se rendre au temple des savoirs anciens de la porte des Döls était une pure folie, mais les planches montrent qu'il s'en sort sans difficulté aucune. Il en va de même pour Nawell qui a été torturée et violée pendant plusieurs semaines et même mois, mais dont le corps est toujours parfait, sans une seule marque. Cette quelques occurrences créent une forme de dissonance cognitive, le lecteur ne sachant plus à quel saint se vouer, ou en tout cas à quel narrateur se fier. Enfin, en fonction de sa sensibilité, il peut également trouver que l'artiste aurait pu s'impliquer plus pour que différents plans d'un même environnement ne semblent pas déconnectés, comme si la prise de vue était conçue exprès pour éviter d'avoir à assurer la cohérence du décor d'un angle de vue à l'autre. Dans le même ordre d'idée, les armées de Kronan et de Syrius donnent l'impression de charger l'une contre l'autre sur un terrain parfaitement plat, dépourvu de tout relief.


Avec ces détails en tête, le lecteur remarque que le scénariste décrit régulièrement une partie de ce qui se passe dans les cartouches de texte, pas tout à fait redondant avec ce que montrent les dessins, mais pas forcément utile. D'un autre côté, ce dispositif présente également des avantages : il apporte une partie du goût des écrits de RE Howard, et il permet d'avoir accès au flux intérieur de pensées du personnage principal. Ce dernier étoffe sa personnalité et offre au lecteur un point d'accroche émotionnel, en particulier quelques pointes de cynisme léger, une saveur très appropriée. De temps à autre, le lecteur remarque que dans ce flux d'observations, l'auteur a glissé une discrète pointe humoristique bien trouvée. Impossible de ne pas sourire quand devant l'immensité de la bibliothèque et le nombre incommensurable d'ouvrages qu'elle contient, l'orc se dit que c'est un labyrinthe de savoir et qu'il ne sait pas où commencer, une remarque assez narquoise sur le volume du savoir, et son caractère indéchiffrable par un barbare. Le lecteur sourit également franchement quand Kronan fait la preuve de l'incompétence d'un prêtre qui l'a maudit en lui prédisant qu'il verrait sa virilité se faner. Il est hilare avec le portrait critique que l'orc fait des mages.


Totalement immergé dans les Terres d'Arran depuis le début, ou de passage, le lecteur peut apprécier le récit de la même manière. Le scénariste annonce explicitement qu'il rend hommage à Robert E. Howard en adaptant un de ses récits de Conan. Il le fait en le transposant dans cet univers de manière respectueuse, sans le faire à la lettre, ce qui rend l'histoire d'autant plus vivante. Le dessinateur fait preuve d'une belle sensibilité pour les conventions de genre de la Fantasy avec des images élégantes et énergiques qui restent en mémoire du lecteur. En fonction de son horizon d'attente, le lecteur peut être complètement emporté par ce récit enlevé à l'entrain communicatif, et aux visuels mettant à profit les clichés du genre, en leur insufflant assez d'originalité pour leur redonner du sens, au lieu d'aligner des poncifs visuels insipides. Il peut également attendre un récit plus ambitieux avec une forme de cohérence visuelle pour un même lieu, pour la mise en image de certains éléments du scénario comme le village, ainsi que des motivations des méchants qui dépassent l'envie de faire le mal pour faire le mal.

Presence
6
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le 13 nov. 2021

Critique lue 61 fois

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