Manu est un ado à qui on donnerait 15 ans, à vue de nez. Il en a la naïveté, la connerie, les réactions de bon sens primaires tirées tout droit de l’enfance, l’inculture, le désir de jouir de toutes les sensations, les préoccupations féminines (plus sur le registre d’épater les filles que de les tringler). Manu n’a pas l’expérience qui permet de s’arrêter sur la route des bêtises, et rigole des effets débiles qu’ont produits ses fantaisies. Brave garçon qui tâte le monde d’en-dehors de chez Papa et Maman avec toute la fraîcheur et la candeur de quelqu’un qui n’en a pas encore trop pris dans la gueule, il s’apparente parfois à Gaston Lagaffe par ses démarches quelque peu autistiques d’aller jusqu’au bout de ses idées extravagantes, dont il ne perçoit ni les risques, ni les dangers.

Les gags de Manu se déroulent toujours dans un contexte familier et / ou populaire : la rue, la plage, la piscine, les entrées ou sorties de concerts, de boîtes, la salle de sport du coin, la salle d’attente du dentiste, le terrain de foot à proximité des HLM, le bord des routes, le zoo local...

Margerin nous montre un monde gentil, souriant, bon enfant. Son trait, parfois rond jusqu’à l’exagération, nous présente des personnages à l’air trop bonhomme et trop empoté pour jamais être méchants : le confort digestif un peu avachi que suggèrent les ventres arrondis dont il affuble ses créatures, la lourdeur de leurs nez, le côté fuyant, pour ne pas dire inexistant, de leurs mentons, renseignent sur le côté fondamentalement pépère et pacifique de ses petits bonshommes. D’autres caractères, tels qu’un abdomen un peu trop large (ce qui conduit à culotter les personnages de vêtements anormalement amples), les genoux bizarrement ployés dans des postures debout, des bouches réduites à un point noir suggérant la perplexité, contribuent à donner ce sentiment d’un manque d’énergie et d’abandon de soi. Et, lorsque les bouches sont ouvertes, elles sourient naturellement. On est bien dans la gentillesse.

Seul Manu a un nez pointu comme le bec d’un pic-vert, signifiant sa fonction dérangeante et perturbatrice dans un monde qui aimerait somnoler dans ses conventions incontestées. Sa crête blonde fait penser à un effet de la mode punk, mais son blouson noir cherche plutôt à faire prématurément viril à la mode des années 1960-1970. Manu ne sait pas respecter le confort et l’intimité des autres ; il est prétentieux, mauvais perdant, hâbleur, douillet, de mauvaise foi.

Son copain Robert, plus calme, plus intello (lunettes), est le souffre-douleur privilégié des lubies de Manu.

Le décor et les allusions renvoient au monde des années 1960 à 1980, et les préoccupations des personnages sont bien celles des ados : chanteurs, filles, motos, auto-stop...

Margerin fait preuve de cette vertu socialement intégratrice qui devrait lui valoir les félicitations et les hommages des thuriféraires du civisme républicain digère-tout : alors que ses personnages montrent des extérieurs qui peuvent inquiéter le bon père de famille (rock, blouson noir, acrobaties dérangeantes, sans-gêne...), Manu et ses copains se révèlent avant tout comme de braves gars, certes un peu tête-en-l’air. Au lieu de jouer sur les contrastes socio-culturels, Margerin les réduit, les euphémise, fait sentir que tout le monde est gentil et pacifique au-delà des apparences, et favorise ainsi la création de lien social. Manu, qualifié d’ « insupportable », d’ « abominable » dans les titres de ces recueils de gags, montre bien, par son comportement qu’il s’agit là d’exagérations lexicales à la limite de l’ironie. Chaque gag ou presque se conclut dans une bonne humeur fédératrice, même au prix de quelques bleus. La rancune, la haine n’est jamais au rendez-vous, à peine quelques facéties vengeresses de collégien, ce qui est logique quand on est à l’âge du collège. Et le mélange des allusions aux années 1960 et aux années 1980 donnent à penser qu’il y a une continuité harmonieuse entre les deux, ce qui tranche avec les discours habituels, qui montent en épingle l’avant- et l’après-crise de 1974 pour les opposer férocement.

Toute cette gentillesse a un prix : même l’humour est euphémisé. A force de nous rouler dans la ouate consensuelle de ses gros pifs sympa et de ses sourires indulgents, Margerin ne nous offre que des chutes fadasses à ses gags. On sourit, parce que c’est gentil. Mais on reste le plus souvent dans le déjà vu, le conventionnel, et aucune surprise n’intervient au finale.

A lire pour le bon esprit général. Pour se tordre de rire, ce n’est pas la bonne adresse.
khorsabad
7
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le 10 juin 2013

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khorsabad

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