Ce tome fait suite à Sang pour sang (épisodes 145 à 150) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 151 à 156, initialement parus en 2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rathburn.
Une vingtaine de zombies progressent à pas lents, sortant des bois, avançant droit devant eux. Ils marchent vers un groupe de15 êtres humains (en provenance de la communauté d'Alexandria) armés de fusil et en position de tir, sous la houlette de Rick Grimes. Plusieurs groupes de zombies progressent vers eux, les encerclant. Les tireurs écoutent les ordres de Dwight, et Rick Grimes veille au grain pour qu'ils ne se laissent pas déborder. Il s'agit de la première séance d'entraînement de la milice. Pendant ce temps-là, Eugene Porter continue de lancer des appels avec la radio qu'il a réparée, espérant capter une réponse. L'entraînement étant terminé, le petit groupe revient dans la zone d'Alexandria, réintégrant la sécurité de son enceinte. À l'intérieur, Rick Grimes constate que Maggie Green est en train de terminer ses préparatifs pour regagner la colonie Hilltop. Il lui demande si elle peut laisser quelques individus à Alexandria pour sa défense. Paul Monroe lui répond qu'il a décidé de rester.
Après cet échange, Rick Grimes se met en chemin pour regagner son pavillon. Il est abordé par Vincent, l'un de ceux qui l'avaient agressé dans le tome précédent. Après avoir échangé quelques paroles, Rick Grimes décide d'aller rendre visite au prisonnier de la ville, dans sa cellule au sous-sol. Puis il rentre chez lui et il a la surprise de trouver Gabriel Stokes assis devant sa porte d'entrée. Après avoir échangé quelques paroles, il peut enfin rentrer chez lui et il retrouve Michonne endormie sur le canapé. Elle lui indique qu'elle a pris la décision de retourner avec Pete sur le bateau de pêche. Rick Grimes a une autre suggestion à lui faire : se rendre dans la communauté du Royaume pour les aider à reprendre pied. Dans le même temps, Eugene Porter éprouve la surprise de sa vie : quelqu'un répond à la radio. Très vite, ce contact rentre dans la méfiance habituelle des nouveaux contacts. Que dire à cet inconnu ? Que lui révéler ? Comment formuler ses phrases pour lui tirer les vers du nez sans rien divulguer qui mette la communauté en péril ?
Robert Kirkman décide d'ouvrir ce tome avec des zombies en train d'avancer en traînant la patte, rappelant que l'apocalypse est loin d'être passée. Charlie Adlard ne se fait pas prier et dessine des individus à la peau parcheminée, craquelée, manquante par endroit, avançant d'un air hébété, avec des postures peu confortables. Il montre au lecteur que les individus en formation serrée éprouvent quelque appréhension à se confronter à ces créatures sans intelligence, mais qu'ils leur font face avec détermination et une certaine forme de confiance dans leurs armes. Ces morts vivants refont leur apparition en milieu de tome, alors qu'une expédition en extermine quelques-uns de plus. Adlard dessine également des Chuchoteurs, et la confusion n'est plus de mise entre eux et les zombies. Il montre bien qu'il s'agit d'êtres humains normaux, avec des gestes ordinaires, débarrassés de toute pesanteur, dès qu'ils ne sont plus à proximité de zombies. Ces derniers apparaissent encore une dernière fois, quand Negan se fait attaquer. La mise en scène de l'artiste permet d'apprécier à quel point ces créatures sont toutes entières dans leur avancée et leur agression des humains, à la fois lente et inexorable, implacable. Le lecteur constate leur maladresse, doublée d'une obstination que rien ne peut détourner. Il les voit comme des porteurs de mort que l'être humain doit impérativement détruire pour pouvoir vivre. Les visuels de cette séquence montrent à quel point ces morts vivants sont des prédateurs pour les humains et que toute velléité de coexistence relève de l'absurde.
Comme d'habitude, le lecteur se rend compte qu'il éprouve un réel plaisir à retrouver les personnages, à passer un moment à leur côté, et qu'il ne s'agit pas uniquement du confort de retrouver des têtes connues, de la force de l'habitude. Il prend conscience qu'il est attentif aux émotions qui passent sur les visages des personnages, qui indiquent leur état d'esprit. Il prête une attention particulière à celui de Rick Grimes : son calme en donnant des ordres, son sourire en voyant que le groupe de la milice réussit à juguler l'avancée des zombies, son inquiétude réelle alors que quelques zombies réussissent à s'approcher à toucher plusieurs tireurs, ses traits détendus alors qu'il s'adresse à Maggie Greene ou à Gabriel Stokes, son air indéchiffrable lorsqu'il parle à Negan comme s'il ne savait plus quoi penser de cet individu, sa colère face à l'agression qu'il subit de la part de Brandon, son attitude sèche lorsqu'il doit justifier ses choix, etc. D'un côté, la narration visuelle d'Adlard reste toujours aussi directe et primaire ; de l'autre côté, le lecteur se rend compte que les personnages expriment des émotions nuancées et complexes. Il guette même un regard, une mimique pour savoir ce que ressent un personnage. Par exemple, il observe le regard que Laura jette en coin à Dwight, pour savoir si elle nourrit toujours les mêmes sentiments à son égard. En voyant l'intensité du regard d'Eugene Porter en train de manipuler sa radio, il comprend à quel point il est investi émotionnellement dans cet appareil, et il se rappelle comment il avait utilisé une radio pour se donner de l'importance.
Bien sûr, dès que Negan apparaît sur une page, le lecteur regarde avidement son visage, pour retrouver l'incroyable assurance qui est la sienne. Quel plaisir de voir ce contentement tranquille, cette satisfaction à retrouver son blouson en cuir. Adlard et Gaudiano savent faire apparaître sa confiance en lui, mais aussi toutes les autres émotions comme la surprise, la détermination ou encore son plaisir à prendre le dessus dans une conversation. Il est impossible de résister à des émotions aussi franches, en même temps qu'il est impossible d'oublier les horreurs qu'il a commises. Son expressivité fait de lui le personnage le plus vivant de toute la série, celui qui génère l'empathie la plus intense. Avec les épisodes qui passent, le lecteur a fini par faire fi du fait que ce n'est plus Adlard qui s'encre lui-même. En prenant un peu de recul, il voit que les contours des formes ont gagné en précision et en netteté. Les dessins sont moins bruts de décoffrage, ils ont gagné en réalisme et en nuances, en même temps que les personnages ont gravi quelques échelons sur l'échelle de la civilisation, se livrant à des activités plus complexes, ne se limitant pas à survivre quelques heures de plus.
Stefano Gaudiano apporte également un degré de finition plus important, en particulier en insérant plus de détails visuels que ne le faisait Adlard tout seul. Le lecteur peut voir les poches sur la veste sans manche de Dwight, les câbles de la radio d'Eugene, les coutures sur la casquette de Brandon, les sangles de fermeture sur le sac à dos de Dwight, la boucle de ceinture d'Aaron, etc. L'encreur réussit à apporter ces précisions, sans alourdir les dessins, sans ralentir la lecture, sans en diminuer leur impact. Les visuels ont perdu de leur crudité, mais pas de leur efficacité. Comme toujours, le lecteur se rend compte qu'il ralentit sa lecture de temps à autre pour mieux apprécier la force d'une case : la tension d'Eugene allumant sa base radio, un zombie s'avançant bras tendus droit vers le lecteur, Negan collant son visage contre les barreaux de sa cellule pour assurer son ascendant psychologique sur Brandon, Negan remontant la fermeture éclair de son blouson (un acte aussi banal que paradoxalement réconfortant), Negan et Bradon se tenant devant l'alignement de piquets qui marque la frontière avec le territoire des Chuchoteurs, la chevauchée de Maggie avec son poncho, Carl Grimes en train de battre le fer pendant qu'il est chaud, la réapparition de Lucille.
La complémentarité entre Adlard et Gaudiano a augmenté d'un cran et le lecteur s'immerge dans un monde plus substantiel, mieux défini, mais pas moins percutant. Dans le même élan, Robert Kirkman semble lui aussi densifier sa narration au point que le lecteur souhaiterait presqu'il y en ait moins pour qu'il dispose du temps pour savourer. Le retour de Lucille s'effectue juste le temps d'une page comme pour exorciser son importance symbolique. Bien sûr le lecteur n'est pas dupe et il se doute que la batte finira dans les mains de son propriétaire initial, mais dans le même temps il apprécie la justesse du symbole, du fait qu'elle ait été passée à Dwight qui est par certains côtés l'héritier de Negan. La prise de contact par radio est énorme dans ce qu'elle annonce. Le lecteur reconnaît bien là le mode d'écriture du scénariste d'inclure une révélation tonitruante, et de faire monter la pression sur le long terme pour que ce fil secondaire puisse devenir le ressort principal d'ici quelques tomes quand la crise actuelle aura connu son apogée et sa résolution. Mais pendant ce temps-là, la confrontation avec les Chuchoteurs ne progresse pas d'un pouce. Sans surprise, le fil secondaire relatif à Negan avance également, comme le lecteur pouvait s'en douter au vu de sa montée en puissance dans le tome précédent. Robert Kirkman maîtrise un type de schéma narratif, et il ne change pas une méthode qui gagne.
Malgré son impatience de découvrir la pièce de résistance dans la guerre contre les Chuchoteurs, le lecteur doit bien reconnaître qu'il ne s'ennuie pas une seconde. Robert Kirkman frappe fort dès la première séquence, avec l'entraînement d'individus destinés à former une armée, ou plutôt une milice. Quelques scènes plus tard, le lecteur découvre que les résidents de la communauté Alexandria ont obtenu le droit de porter une arme en permanence, après l'infiltration réussie d'Alpha pendant la fête foraine. Le scénariste ne fait ni plus, ni moins que de mettre en scène le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique : une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. Cela s'insère naturellement dans la trame générale du récit, où les Chuchoteurs ont perpétré ce qui peut s'apparenter à un acte de terrorisme, ou à une déclaration de guerre à l'encontre de la communauté principale de Rick et des communautés satellites. La première conséquence de cet armement intervient un peu plus tard avec un citoyen en blessant un autre, persuadé qu'il a affaire à un espion des Chuchoteurs. Le lecteur peut y voir un rappel explicite que les armes à feu ont pour fonction de tuer, ou à la rigueur de blesser. Il rapproche alors cet accident de la décision du pasteur Gabriel Stokes de s'entraîner au tir à l'arme à feu pour rejoindre les rangs de la milice. La narration ne semble pas condamner de manière explicite cette forme de prolifération d'armes à feu. Il n'en reste pas moins que le commentaire sous-jacent n'est pas équivoque : un blessé au sein du même camp, et un homme de dieu pervertissant ses idéaux de non-violence en maniant une arme à feu.
Dans ce tome, Robert Kirkman continue également à développer ses thèmes habituels. À chaque fois que Rick Grimes reprend le dessus sur la situation (ici en ayant calmé les ardeurs des revanchards), c'est une partie de la communauté qui lui échappe. Il ne peut pas faire entendre raison à un adolescent en pleine rébellion, Brandon. Il ne peut pas maîtriser Negan. Il ignore tout des agissements d'Eugene Porter. Ce dernier se retrouve devant un problème déjà développé précédemment : comment faire confiance à des étrangers ? Il s'engage alors dans un échange à haut risque qui peut basculer en sa défaveur à tout moment et mettre la communauté d'Alexandria à la merci d'un autre groupe mal intentionné. Dans le même temps, le lecteur sait par l'expérience qu'il peut faire confiance aux auteurs pour ce fil narratif prenne une tournure différente des fois précédentes. À plusieurs reprises, le lecteur se rend compte que la vie d'un personnage ne tient qu'à l'intervention d'un autre, illustrant ainsi que la survie des uns et des autres réside dans la vie en communauté en bonne intelligence, dans l'entraide.
Enfin dans les 2 derniers épisodes, les Chuchoteurs reviennent sur le devant de la scène, Negan les ayant rejoints. Le lecteur blasé peut y voir une facilité scénaristique, se doutant bien que ça va être l'occasion pour Negan de reprendre une position de meneur au sein d'un groupe déjà constitué, donc prêt à l'emploi. En attendant l'inévitable, il ne boude pas son plaisir à voir ce personnage hors norme cabotiner, faire le spectacle. Son assurance n'a pas été entamée de quelque manière que ce soit. Il tient tête à tous ceux qui essayent de lui en imposer, que ce soit Alpha ou Béta. Il prouve sa valeur en se pliant aux coutumes du groupe. Il plastronne quant à la taille de son engin et quant à ses performances sexuelles, sans ressentir quelque gêne que ce soit à mettre ses interlocuteurs mal à l'aise. Il se retrouve confronté aux pratiques sexuelles du groupe, et le lecteur constate qu'il n'a pas changé d'opinion quant aux rapports non consentis relevant du viol. De la même manière que son visage reflète ses émotions franches et non filtrées, son comportement reflète son refus des règles incohérentes ou hypocrites. À sa manière, Negan est tout autant convaincu que Rick Grimes que le salut passe par la vie en communauté, et il tout aussi impliqué que lui pour que sa communauté survive et prospère. Le lecteur assiste alors à un affrontement physique qui sert de métaphore à l'affrontement idéologique comme les comics s'y prêtent si bien. Dans la scène finale, le lecteur assiste à l'énoncé du credo de Negan dans ses propres mots avec une force conviction peu commune et une franchise qui décoiffe.
Ce vingt-sixième tome incarne tout ce que le lecteur de la série a appris à supporter : une intrigue qui baguenaude sans aller droit au but, sans donner la confrontation attendue entre les communautés de Rick Grimes et les Chuchoteurs. Il se rappelle également tout ce qui le fait revenir à chaque fois : une réflexion sur ce qui fait une communauté, sur les limites de liberté individuelle pour que la communauté puisse prospérer, sur la nécessité qu'il y ait des individus prêts à endosser la responsabilité de prendre les fonctions de meneur malgré leur doute, sur des dessins efficaces et sans chichi. Il se rend également compte que les dessins ont gagné en densité, sans rien perdre de leur efficacité, et que le scénariste continue de passer en revue les valeurs fondamentales des États-Unis, en n'hésitant pas à les critiquer, à commencer par le port d'arme.