Époustouflé par la lecture de "Moi, Assassin", j'avais très hâte de découvrir le roman graphique le plus célèbre d'Antonio Altarriba, cet "Art de Voler" qui a reçu les plus hauts honneurs en Espagne. Et j'y ai en effet retrouvé "l'art de conter" magistral de l'auteur, mis ici au service d'un récit beaucoup moins "intellectuel", puisqu'il s'agit pour lui de rendre hommage à la vie de souffrances de son père, une vie qui s'est terminée après 15 ans de dépression sévère, par un envol depuis la fenêtre la plus haute de la maison de retraite où il était confiné. Avant de se plonger dans ce livre touffu, le lecteur devrait recevoir un avertissement du genre : "Toi qui pénètre ici, abandonne tout espoir !", car hormis quelques jolis (et rares) moments de plaisir sexuel, fugaces et semble-t-il toujours entachés de malaise, la vie d'Antonio ne sera qu'une succession de drames, de tortures, de crises... Depuis son enfance misérable dans une Espagne campagnarde, primitive et âpre au gain, jusqu'à l'enfermement dans cette maison de retraite où il sera la victime d'un personnel sadique, en passant par la débâcle des républicains face à Franco, par un passage par des camps de concentration dans une France bien peu accueillante, par un retour asphyxiant dans l'Espagne de la dictature, Antonio (père) ne semble connaître - en tous cas, du point de son fils qui a reconstruit la vie de son père à partir d'éléments disparates - aucun moment de réel bonheur, voire même de simple tranquillité. Et c'est là sans doute la première limite de "l'Art de Voler", puisque même ce fameux "vol" libérateur ne s'exprime guère, si ce n'est dans la chute final, n'offrant aucun répit au lecteur vite assommé par cette accumulation de malheurs. L'autre problème du livre, qui l'empêche à mon avis d'atteindre au statut de "chef d’œuvre" de la BD que beaucoup lui attribuent, c'est la difficulté de la lecture : cases trop petites pour la complexité des dessins de Kim, déséquilibre en faveur d'un texte par trop envahissant, manque de "pauses" visuelles dans le récit, qui permettraient de prendre du recul par rapport à un récit aussi riche, le "media BD" n'est malheureusement pas utilisé ici - et contrairement à ce que l'auteur prétend dans la postface - au mieux. Reste que la lecture de "l'Art de Voler" est un must absolu pour qui aime l'Espagne, et veut la comprendre mieux, au delà des clichés touristiques et culturels qui dissimulent souvent sa véritable nature, peinte ici sans aucune complaisance. [Critique écrite en 2015]