Les apprenties sorcières
"Ta gueule, c'est magique", voilà en gros ce qu'on a dit à Coco, notre héroïne, toute son enfance et qu'il faut être née sorcière pour en devenir une. C'est une grande déception pour elle qui est...
le 7 sept. 2020
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La comparaison se devait d’être opérée ; non par souci de pertinence mais pour mieux appuyer un contraste que je souhaite sentencieux ; L’Atelier des Sorcières est ce qu’aurait pu devenir Black Clover si sa genèse s’était accomplie depuis la cervelle de son auteur plutôt que par son gros colon. Ce mollard liminaire à présent copieusement lâché sur Black Clover – car on ne crache jamais assez sur l’abjection – nous pouvons entrer dans le vif du sujet. Il faut dire qu’on ne peut que trépigner à la seule idée consistant à discourir sur pareille œuvre que celle dont je m'en vais vous faire la recension.
Elle a, dans le principe, tout pour me rebuter. Une jeune protagoniste exubérante et ingénue en diable, un éphèbe invincible pour lui tenir lieu de mentor, une intrigue globale pour le moins ordinaire et des tons adoucis. Mais lorsque l’on lit L’Atelier des Sorcières, la douceur ne vire jamais au mielleux. Ce qui m’apparaît insupportable devient ainsi non seulement soutenable mais même appréciable dès lors où l’écriture sait doses les modalités de son récit. Kamone Shirahama savait ce qu’elle faisait lorsqu’elle laissa défiler sa plume sur le papier. La construction de son œuvre, sans que cela ne soit sujet à l’interprétation, exhale à chaque page la pure et réelle maîtrise qu’un auteur a pu exercer sur sa création.
On ne parle pas de l’Atelier des Sorcières sans évoquer son dessin ; sans en tout cas s’en faire son panégyriste. Ceux-là ont pour mérite premier d’avoir été rapportés sur papier sans assistance du moins appareil numérique ; rien que du fait main pour nos yeux.
Parfaitement épuré – maîtrisé au trait près là encore – avec juste ce qu’il faut de détail pour séduire sans saturer les esquisses, on retrouve ici ce style que tout lecteur de manga se devrait d’attendre d’une œuvre venue se clamer comme véritablement féerique. Quelque part entre le trait enchanteur de Ryôko Kui et ce que Kentarô Miura aura dessiné dans ses dernières années – on ne peut pas ne pas penser à Schierke quant on découvre Coco – il se dégage du dessin un aspect à la fois mature et léger qui, par cette subtile harmonie des genres, ne peut que donner lieu à un émerveillement qui nous tombe bien à propos dans la prunelle. Je ne pense sincèrement pas qu’on puisse ne pas aimer le dessin de Kamone Shirahama ; la beauté qui s’en dégage déborde au-delà de l’appréciation qu’on puisse avoir d’un style graphique particulier. C’est merveilleux, point à la ligne. Et je ne vous parle pas du paneling où un sens aigu de l’esthétique y est mis à l’honneur mieux qu’ailleurs. S’attarder sur la manière dont elle agence ses pages donne parfois le vertige tant ce qu’on y découvre d’un œil neuf et attentif est impressionnant de maîtrise là encore.
La magie est définie dans les bonnes proportions. Sans explications rébarbatives mais sans négligence aucune, le système de magie scripturale proposé ici est très complet, donnant lieu à son lot d’inventions originales, parfois jamais servies autre part avant que l’auteur ne nous en régale ici. Le potentiel d’un système parfaitement cadré nous apparaît à la fois infini, mais surtout, mesuré ce qu’il faut pour que la surpuissance aisément acquise soit justement hors de portée des protagonistes. L’usage qu’on fait de la magie le temps de l’Atelier des Sorcières s’avère ainsi des plus éclectique, ne contribuant ainsi qu’à mieux relever les saveurs d’une œuvre qu’on dévore des yeux. C’est bien simple, le rendu est si élaboré et didactique que le lecteur jurerait qu’il apprend lui aussi tout ce qu’il y a à savoir sur cette magie qu’on nous enseigne. On se plaît à vouloir devenir bon élève et retenir tout ce qu’il y a à apprendre sur la discipline magique dont on ne maîtrise les rudiments que pas à pas en commençant par les bases. Les règles incombant au système sont clairement un pilier de l’œuvre. Je n’ai pas connu système d’énergie plus prenant dans un manga depuis ma découverte du Nen.
La raison avancée pour laquelle le savoir de la magie n’est pas répandu à travers le monde bien qu’il soit à portée de chacun permet là encore de cadrer l’univers afin que celui-ci s’avère cohérent et que l’intrigue, jamais, ne prête le flanc aux « Pourquoi » et « Comment » du lecteur. L’Atelier des Sorcières est vraisemblablement le seul manga basé sur la magie où le « Ta Gueule C’est Magique » y apparaît comme foncièrement proscrit. Tout trouve ainsi son explication en dépit du cadre foncièrement surnaturel de la trame, ne contribuant dès lors qu’à mieux crédibiliser une œuvre qu’on croirait à la fois faite d’acier et de cristal pour ce qu’elle a à la fois solide et somptueux à nous dévoiler.
L’intrigue, pour gentillette et classique qu’elle se trouve être, vogue là où il faut pour nous faire apprécier notre excursion entre ses pages. Peut-être le rythme mensuel de la parution est-il à louer pour cela, mais le récit n’accuse aucun souci de rythme à aucun moment que ce soit. Le flot scénaristique chemine alors comme un fleuve tranquille venu relancer sans cesse le scénario au gré d’événements tombant chaque fois à point nommé.
Bien qu’ils ne soient pas pénibles à vivre, les protagonistes se présentent trop souvent comme prévisibles dans chacune de leur posture. La douceur et la bienveillance dans laquelle les enrobe son auteur contribuent cependant à les rendre supportable. De ces personnages, on ne trouve ainsi aucune raison de se plaindre d’eux en ce sens où il ne sont pas trop ceci ou pas assez cela ; toutefois, leur psyché à chacun tient à deux variables au mieux. Une guitare avec seulement deux cordes peut sans doute donner lieu à de belles mélodies occasionnelles ; mais jamais des qui soient à même de vous faire éprouver quelque chose de grandiose, nonobstant le talent du musicien.
L’ingénierie et l’astuce seront érigées en vertus cardinales de l’œuvre. La magie ne fait le lit d’aucune facilité, bien au contraire. Ce qui ne contribue qu’à mieux faire apprécier une œuvre où l’adversité du quotidien s’avère bien réelle ; où rien n’est acquis facilement et tout s’obtient en se montrant suffisamment ingénieux après avoir fait usage des maigres ressources trouvées à sa disposition. Un peu à la manière de l’alchimie dans FMA, mais ici, avec un système autrement mieux élaboré. Que tout cela est plaisant à lire, vous n’avez pas idée. Pas encore du moins.
C’est lorsqu’on lit de pareilles délicatesses qu’on se gausse d’autant mieux du tout venant qui, des étoiles plein les yeux, se contente des Harry Potter de bazar où intrigue, personnages et univers n’y sont écrits qu’au petit bonheur la chance. À ceux-là, ces aficionados de la disgrâce, je leur dis de lire L’Atelier des Sorcières ; nul doute qu’ils se repentiront d’avoir eu si mauvais goût jusqu’à présent.
Il y a des instants de flottements où l’intrigue n’avance pas tellement, où les choses se disent, les choses se passent, mais où finalement bien peu advient. J’aurais été frustré de lire certains chapitres – notamment durant les périodes précédant le test d’Agathe et l’insipide Riché – après un mois d’attente pour écoper de si peu à chaque fois. Les personnages de L’Atelier des Sorciers jouent en effet contre l’œuvre dont ils sont pourtant les étendards ; chercher à les développer, pour un lecteur averti, s’accepte plus volontiers comme une insigne perte de temps qu’un prétexte aux réjouissances.
L’esthétique, qui plus est, prend le pas sur le pratique. Ce système de magie, qui ne demandait qu’à être développé, approfondi, étudié et dégusté par le lecteur, s’en tient à ses prémisses. On nous jettera à la gueule les magies qui suivront sans que l’on nous donne les outils d’analyse pour comprendre les glyphes qui nous parviennent. Ce volet académique – qui avait tant à donner – se sera effacé au profit de quelques coups d’éclats graphiques. Un gâchis que je peine à pardonner.
Entre cela et une intrigue qui, de classique, vire au banal – avec une scénographie en or pour ne pas perdre son lecteur – ma notation aura glissé d’un solide 8/10 vers un 6/10 venu sanctionner des promesses somptueuses qui, sur la durée, n’auront été tenues qu’à moitié.
Loin d’être anecdotique cependant, l’Atelier des Sorciers est percutant par la force de son dessin et l’inventivité de son auteur qui, il faut le dire, aura sacrifié l’ADN de son œuvre pour conserver ses attraits et sa plastique. L’intrigue et les personnages de l’œuvre n’étaient pas ses points forts et, c’est ce qu’elle aura pourtant choisi de mettre plus volontiers en avant au détriment du génie entourant ce qui ici avait trait à la magie. Il n’y a pas eu de délabrement du récit, rien qu’une bifurcation aux allures de renoncement.
Mais qui ne sera pas un autiste ne jurant que par le système de pouvoir et, qui saura s’en tenir à une épopée onirique superbement narrée et dessinée ne trouvera guère de motif à bouder l’Atelier des Sorciers.
Créée
le 31 juil. 2024
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