J'aime beaucoup Manu Larcenet, aussi bien pour ses scénarios que pour ses dessins. Toutes les histoires qu'il nous raconte, de l’humour (Nic Oumouk, De mon chien…,) jusqu’au polar noir (Blast) en passant par le drame (Le combat ordinaire), ont de l’épaisseur et sont convaincantes. Quel que soit le genre auquel elles appartiennent, on y retrouve un certain pessimisme, une mélancolie, qui sont sa marque de fabrique. Sa gamme de styles de dessin est tout aussi étonnante, du stylisé (Chez Francisque, Critixman) au presque réaliste (Blast) en passant par la rondeur et la douceur (Les cosmonautes du futur, Le retour à la terre). Ces différents styles de dessin ne correspondent pas à une évolution chronologique, puisqu’il a dessiné parallèlement les épisodes du Retour à la terre et ceux du Combat ordinaire, que l’on ne peut pas confondre visuellement.
Bien que Le Rapport de Brodeck soit tiré du roman de Philippe Claudel, la lecture du tome 1 donne le sentiment que Manu Larcenet aurait pu concevoir le scénario tout seul. En effet, on y retrouve une ambiance proche de celle de Blast et des personnages monstrueux tels que ceux aperçus dans L’artiste de la famille. Il poursuit donc sa démarche artistique et il a choisi cette fois-ci d’utiliser un dessin très réaliste, à l’exception des scènes de camps de concentration qui hantent Brodeck. Le thème de l’intolérance des hommes vis-à-vis de ce qu’ils ne comprennent pas, le rejet de l’autre, sont ici très bien traités dans un récit sombre et désespéré.
Il y a malgré tout un déséquilibre dans cette œuvre de Manu Larcenet. Les décors, les paysages, les animaux sont magnifiquement représentés et sont impressionnants de réalisme. Dans ce domaine, l’auteur a été plus loin que dans Blast et confirme son talent. Les personnages, également, sont plus réalistes que ceux de Blast. Le problème est qu’ils se ressemblent tous. Lorsque Brodeck revoit dans ses cauchemars les camps de concentration, les ressemblances sont exacerbées afin de montrer la déshumanisation, la dépersonnalisation qui est en œuvre dans le camp. Mais dans le village aussi, les hommes sont physiquement identiques. Leurs visages sont très peu différents les uns des autres et il est difficile de les reconnaitre. Ils sont tous habillés de la même manière ; il y a les « gros » et les « maigres » et pas d’intermédiaires. C’est peut-être une volonté de l’auteur, qui a voulu opposer l’étranger (« l’autre ») à la communauté homogène des villageois, semblant tous tirés du même moule, comme une prolongation du camp de concentration. Je trouve néanmoins que ce réalisme inachevé des personnages nuit à la compréhension de l’histoire et handicape la lecture. Les personnages ne sont pas en harmonie avec le reste du dessin et restent des personnages de papier.