Ce tome fait suite à Monstress T03 - Erreur fatale (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour espérer pouvoir suivre l'histoire. Ce tome-ci comprend les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2019, écrits par Marjorie Liu, dessinés, encrés et mis en couleurs par Sana Takeda, avec un lettrage réalisé par Rus Wooton.
Il y a des années de cela un mystérieux personnage se penchait sur le berceau de Kippa. Sa mère entrait dans la pièce juste comme l'ancien en partait, puis elle admonestait le grand-père qui ne pensait qu'à utiliser sa petite fille pour la faire bénir les autres réfugiés du camp, et ainsi amasser assez d'argent pour pouvoir en partir. Au temps présent, Kippa est dans une cage car elle a été faite prisonnière par un mercenaire accompagné par deux chats anthropomorphes. Ils doivent livrer Kippa à un mystérieux commanditaire appelé Seigneur Docteur. Ils sont attaqués par des individus possédés par une force qui les transforme en loup-garou. Ils doivent leur salut à l'intervention de Yafaeala, une autre mercenaire arcanique. Pendant ce temps-là, Maika Halfwolf et Corvin chevauchent à dos de licorne vers un camp de réfugiés. Ils sont agressés par un groupe d'arcaniques qui estiment de Maika est une traîtresse à sa race. Il s'en suit un combat sans merci pendant lequel la licorne de Maika est tuée, mais elle et Corvin réussissent à s'enfuir après avoir tué bon nombre de leurs assaillants. Ils se reposent et Maika est assaillie par un cauchemar dans lequel elle voit son amante Tuya allongée sur le sol d'un champ de bataille, transpercée par trois lames. Elle se réveille pour voir Corvin penché sur elle, avec du sang qui dégoute de la partie de son visage couverte par la partie de masque de l'impératrice chaman.
Corvin s'écarte pour pouvoir être tout seul, mais Maika le suit. Il accède à se demande d'enlever le morceau de masque : il découvre une portion de visage ravagée et une orbite vide. Maika en déduit qu'il se trouvait à la bataille de Constantine, ce qu'il confirme. Corvin indique à Maika qu'il sait qu'elle se trouvait à Constantine, et qu'elle fait partie des 8 personnes qui ont survécu. Il lui demande comment elle a fait pour survivre. Le petit groupe qui a kidnappé Kippa continue d'avancer, et Kippa donne l'impression d'avoir des visions qui la font parler dans son sommeil, comme si elle était possédée. Yafaela la réveille et Kippa peut voir l'être intérieur de Yafaela. Kippa lui demande qui est le docteur, en vain. Elle dit ensuite qu'elle doit faire pipi. Son porteur accepte de la mettre à terre en lui indiquant qu'elle ne doit pas s'enfuir. À peine ses pieds ont-ils touché le sol, qu'elle se mit à courir de toutes ses forces. Elle arrive devant un gouffre et saute dedans sans un instant d'hésitation. Ses poursuivants marquent un temps d'arrêt, car Yafaela a reconnu qu'il s'agit de la tombe de Baru, le roi ours mort.
Le lecteur attaque ce quatrième tome en totale confiance : la deuxième moitié du précédent reposait sur une intrigue claire et intelligible, spectaculaire à souhait avec des visuels extraordinaires. Il a donc hâte de continuer à progresser dans cet univers si riche et original, de retrouver les personnages emportés dans le tourbillon d'une époque troublée, dans une société où plusieurs races cohabitent avec difficulté, avec la perspective d'une guerre inéluctable. Effectivement, il retrouve les différents personnages : Maiko Halfwolf, Kippa, Corvin, Vihn, Zinn, l'évocation de Tuya et de Moriko Halfwolf. Dans le même temps, il se demande où sont passés plusieurs autres personnages introduits précédemment, en particulier ceux du tome 3 : Destria, Sophia Fekete, Lady Atena & Resak, le Premier Ministre & Amira Brito. Très vite, il retrouve la sensation désagréable de se sentir parfois perdu entre les différentes factions en place et il aimerait bien pouvoir bénéficier d'un trombinoscope, ou d'un rappel en début de tome. Il retrouve également les dessins enchanteurs de Sana Takeda, leur luminosité complexe, mais aussi des mises en scène basique sous des dehors extraordinaires. Cette sensation apparaît à partir de l'épisode 22 où la scénariste a beaucoup de choses à faire dire à ses personnages, sous forme de discussion entre 2 personnes ou plus, et l'artiste se retrouve vite cantonnée dans une position où elle montre uniquement des individus en train de parler, avec un intérêt visuel réduit à de séduisantes compositions de couleurs.
Du coup, le lecteur ressent qu'il s'agit d'un tome qui va plus être axé sur l'intrigue, et que la scénariste n'a pas forcément pensé sa narration en termes visuels, aboutis, se reposant sur l'artiste pour meubler ses cases comme elle peut. Il est également confronté, comme dans certains passages précédents au fait que la scénariste n'arrive pas toujours à intégrer de manière harmonieuse les différents pans de son récit : la trajectoire personnelle de Maika Halwolf (ses aventures et les révélations sur son passé), ses relations avec ses compagnons de route, les alliances entre les différentes cours et l'historique afférent, la réalité de la menace que font peser certaines races (les grands anciens, mais aussi les chats). Ce dernier point constitue également un des enjeux du récit : est-ce que certains individus peuvent échapper au schéma comportemental de leur race ? Le lecteur se plie donc au rythme du récit et accepte de s'investir dans de nouveaux personnages (Yafaela, Dame Dracul, Agata Tong Nama, Uliaza Grimm, Sentenus Po, Va'Lan…) même s'il ne sait pas s'ils ne font que passer le temps de quelques épisodes, ou s'ils vont devenir des personnages secondaires récurrents. Cette incertitude a pour conséquence que son investissement reste mesuré, voire superficiel. Effectivement Sana Takeda continue de donner corps à chaque individu, avec inventivité tout en maintenant une cohérence visuelle à l'ensemble de cet univers. Le lecteur sourit en voyant la première apparition de Yafaela avec son large sourire, sa tunique décorée à la mode de celle de Maika, son arbalète aux décorations ouvragées, sans oublier ses deux petites cornes au sommet du crâne. Il est fortement impressionné par la dame Dracul et sa monstruosité, par la variété des alliés du seigneur Docteur, par la vraie forme de Vihn perçue par Kippa. L'artiste continue à émerveiller le lecteur par son mélange de caractéristiques visuelles influencées par les mangas, et la prestance des personnages propre aux comics.
À nouveau, la mise en couleurs est remarquable et instaure une ambiance unique, la marque de fabrique de la série qui fait que le lecteur identifie immédiatement chaque page comme en faisant partie. Sana Takeda se livre à un exercice très sophistiqué, à base de trames de motif discrètement appliquées en semi-transparence dans une partie des formes détourées, de couleurs de fond appliquées en fonction des contours, puis déclinées en nuances pour ajouter du relief, le tout recouvert par un voile éthérée qui établit l'ambiance lumineuse de chaque scène, allant du froid du brouillard à la chaleur des reflets dorés. Ce travail d'orfèvre génère un degré d'immersion remarquable pour le lecteur. Malgré des scènes pas toujours visuellement riches, Takeda réalise de nombreux visuels qui restent longtemps en mémoire : la pure innocence de Kippa souriant dans son berceau, le plaisir de la chevauchée pour Maika sur une licorne, l'horreur de l'orbite vide qui saigne, la cérémonie de mariage scellant l'alliance des cours de l'Aube et du Crépuscule, le visage d'Yvette Lo Lim habitée par la démence, l'intimité du couple de Tuya et Maika dans leur lit, la richesse du palais du Seigneur Docteur, etc. Comme dans les tomes précédents, la narration visuelle est d'une richesse enchanteresse.
Porté par la narration visuelle, le lecteur se motive pour se raccrocher à l'intrigue. Il recommence à pester contre Marjorie Liu qui prend un malin plaisir à ne pas faire dire les noms des personnages dans les dialogues : c'est sûr qu'elle le fait exprès. Finalement le parcours de Kippa dans les grottes souterraines devient très intelligible : il en dit long sur la petite renarde, mais aussi sur Dame Dracul. L'intrigue retrouve sa teneur en conspiration et en espionnage : le lecteur guette chaque bribe d'informations susceptibles de l'éclairer sur les intentions d'une race ou d'une autre, et sur les objectifs personnels de quelques individus. Même s'il n'arrive pas à replacer les personnages des courtes scènes, il se prend vite d'intérêt pour la nouvelle situation de Maika Halfwolf qui se retrouve dans le fief du Seigneur Docteur, personnage à qui elle est liée. Il découvre comment elle lui est liée, en quoi il constitue un personnage de première importance sur l'échiquier du pouvoir, et qu'il a connaissance de l'existence de Zinn. L'intrigue charrie des thèmes comme la survie des civilisations, la cohabitation ou l'extermination entre les races, les nouvelles générations qui poussent les anciennes dans leurs retranchements et les anciennes qui entendent bien canaliser les nouvelles pour conserver leurs avantages, les risques de déclencher une guerre, mais aussi ce qu'il est possible d'en retirer, le refus de se laisser manipuler ou utiliser quel qu'en soit le coût, le point d'équilibre entre les alliances et la défiance, les enjeux de la rébellion individuelle. Petit à petit, le lecteur reprend pied dans l'intrigue, s'immerge dans son ampleur à la fois territoriale et générationnelle, s'identifie à Maika Halfwolf perdue dans l'enchevêtrement des enjeux et des manipulations, succombe à la séduction de la narration visuelle.
Comme le précédent tome (et es autres), le plaisir de lecture de ce tome se mérite. Marjorie Liu ne va pas au-devant de son lecteur, ce qui nécessite qu'il consente de réels efforts pour pouvoir suivre l'intrigue. Sous réserve qu'il y consente, il est immédiatement récompensé par l'élégance sophistiquée de la narration visuelle, et par la richesse du scénario, malgré quelques scènes d'exposition empesées.