Une lumière tellement vive qu'elle ne peut plus être cachée

Ce tome fait suite à Outcast T06: Invasion (épisodes 31 à 36) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 37 à 42, initialement parus en 2019, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Paul Azaceta, et mis en couleurs par Elizabeth Breitweiser.


Un jeune homme barbu marche sur les trottoirs d'une petite ville de province. Il caresse la tête d'un chien attaché à l'extérieur, en passant Il entre dans le diner de la ville et s'installe à une table. La serveuse vient lui verser une tasse de café et lui demande s'il vient travailler à la mine. Non, il ne fait que passer. Il indique qu'il se prénomme Simon et qu'il est content de faire la connaissance de Sarah, le prénom sur le badge de la serveuse. Il commande des œufs brouillés et du bacon. Il lui demande si elle pourrait lui faire visiter la ville après son service. Elle sourit. En sortant le soir, il neige. Une femme essaye de changer son pneu crevé avec ses deux jeunes enfants en train de la regarder faire. Elle ne s'en sort pas avec le cric. Il propose de l'aider, et Sarah indique qu'il est inoffensif pour rassurer la mère de famille. Un an plus tard, Sarah accouche de leur fils, Kyle, sous le regard enamouré de Simon. De temps à autre, elle remarque un air de tristesse sur le visage de Simon : dans ces cas-là, il lui répond qu'il n'avait jamais imaginé qu'il pourrait avoir une vie de famille épanouie comme celle-là. Mais un soir en rentrant de nuit, après avoir acheté un jouet pour l'anniversaire de son fils, il se fait agresser dans une ruelle mal éclairée, un homme costaud le frappant à la tête avec une barre de métal.


À Rome quelque part en Virginie Occidentale, la situation ne va pas en s'améliorant. La communauté réunie autour du révérend John Anderson est toujours réfugiée dans son campement, entouré d'une haute palissade avec des barbelés au sommet, les forces de police en gardant les issues. Rowland Tusk essaye de reprendre pied face aux accusations d'incompétence proférées par Angelica, une haute responsable dans l'organisation dont il fait partie. Elle se montre mécontente du fait que l'attaque de la communauté du révérend a donné lieu à des reportages sur les réseaux télévisés nationaux, attirant ainsi l'attention de manière irrémédiable. Elle connaît bien ceux qu'elle a sous les yeux dans cette salle, ainsi que leur réelle compétence : Todd Stone, Olive Morgan, Alice Nichols, Greta Coleman, et même Rowland Tusk. Elle attend d'eux qu'ils reprennent le dessus sur la communauté du révérend et sur Kyle Barnes, afin que la Fusion ne soit pas compromise. Pendant ce temps-là, le révérend John Anderson s'adresse à sa congrégation réunie dans l'église de fortune, pour les rassurer sur les épreuves à venir. Après la cérémonie, il va trouver Logan Ross, resté assis sur une chaise, alors que tous les autres sont partis. Puis, il reçoit Kyle Barnes qui vient s'inquiéter des questions logistiques pour nourrir une telle communauté.


La fin du tome précédent montrait un événement d'une ampleur telle qu'il avait effectivement un retentissement à l'échelle nationale dans les informations. Le lecteur sent bien que les individus assimilés à la communauté des Ténèbres commencent à sentir leur temps compté avant la Fusion, et que cela les oblige à agir. De l'autre côté, les proscrits ne sont toujours pas très nombreux, et ils ne résisteront pas à un assaut en règle. Mais avant de revenir au temps présent de son récit, le scénariste consacre un épisode au passé d'un personnage, de la même manière qu'il l'avait fait dans le tome précédent avec l'épisode 31 consacré à Rowland Tusk. Ici, l'épisode 37 est consacré à Simon Barnes, et donc le doute est levé quant à savoir s'il s'agit bien du père de Kyle ou non. Les auteurs le montrent plus jeune, sans attache, arrivant dans une ville et recommençant sa vie à zéro. Le lecteur sourit en voyant que déjà à cette époque, Simon souriait aux personnes qu'il rencontrait, comme il l'a fait à Rome en arrivant dans le tome précédent. Les gros plans sur les personnages donnent l'impression de traits plus grossiers, comme si Azaceta dessinait un peu plus vite avec une plume ou un pinceau (vraisemblablement infographique) plus gros, pour une spontanéité plus immédiate, mais un rendu parfois un peu brut. Pour autant, cela n'obère en rien l'empathie générée par les dessins, et le lecteur ressent le contentement inespéré de Simon, sa rage à devoir se défendre contre son agresseur, son renoncement déchirant à sa famille. Azaceta maîtrise de mieux en mieux les cases en insert pour un effet plus naturel, plus parlant et plus pertinent. Le lecteur découvre donc une partie du passé du mystérieux Simon et constate avec effarement que son fils a répété un schéma de vie très similaire, presque identique, soumis aux conséquences incontrôlables de posséder son pouvoir de lumière.


Le lecteur est donc ravi que Simon Barnes soit devenu un personnage plus incarné, plutôt que d'être resté à l'état d'artifice narratif bien pratique, à l'instar de Rowland Tusk. Il est tout aussi content de retrouver le temps présent du récit pour découvrir de ce qu'il advient de la communauté du révérend John Anderson, et des développements dans la progression inéluctable du conflit à venir. En fait, le lecteur se rend vite compte que son intérêt pour la progression de l'intrigue est secondaire par rapport à celle pour les personnages. Il est un peu désarçonné par le fait que Rowland Tusk ait si vite perdu de sa superbe et qu'il devient craintif devant Angelica, une nouvelle venue mystérieuse, imposant une autorité menaçante, exactement comme Rowland dans le tome précédent. Il reconnaît bien là le savoir-faire incroyable du scénariste puisqu'il se retrouve à prendre fait et cause pour Rowland face à Angelica, alors que cet homme se montre sans pitié pour neutraliser Kyle Barnes, exerçant une pression psychologique sadique, usant de chantage, et n'hésitant pas à faire usage de la force en mettant à profit sa carrure impressionnante. Il finit par se demander s'il doit s'attendre à ce que Kirkman réussisse à établir un même degré d'ambivalence pour Angelica. Il apprécie de retrouver les autres personnages. Kyle Barnes dont l'assurance fluctue continuellement en fonction de ses petites victoires, et la survenance de situations encore plus confuses et dangereuses, Azaceta montrant bien ses états d'esprit passant de la confiance en soi, à la colère, à l'étonnement de l'individu dépassé par les événements, au réconfort apporté par une parole de sa femme Allison le rassérénant. Le révérend John Anderson et sa confiance inébranlable dans sa foi et la bonté du Seigneur, ainsi que sa franchise quant à la marque du diable qu'il porte sur sa poitrine, là encore les dessins font apparaître les émotions correspondantes. Emily la directrice d'école, et son calme professionnel pour répondre aux questions d'Angelica. Malgré la distribution nombreuse, le lecteur se souvient aisément et immédiatement de chaque personnage, de son positionnement social et de son caractère.


Du coup, le lecteur ne s'offusque pas que la situation de la communauté du révérend ne progresse pas rapidement, et que le récit s'attarde à suivre chaque individu, leurs actions n'étant pas coordonnées, étant guidées par des intérêts personnels, sollicitude pour un proche, ou influence manifeste de Rowland Tusk, ou des autres habitants de la ville. Cela peut donner une impression de confusion ou au moins de désordre entre les atermoiements de certains, et l'arrivée providentielle d'autres proscrits dont l'attention a été attirée par les spots d'information sur le siège de la communauté du révérend. Oui, d'un côté c'est bien pratique pour faire augmenter le nombre de proscrits dotés de pouvoir, juste comme les tenants des Ténèbres s'apprêtent à réaliser une attaque en masse. Mais d'un autre côté, c'est logique que la visibilité accrue de la situation attire des individus des deux bords.


Le lecteur se trouve donc embarqué dans cette zone rurale, avec les dessins à l'apparence un peu fruste, pour un contact un peu rude avec les personnages et les environnements, comme si les campagnards étaient forcément moins sophistiqués que les citadins, plus nature. Il est possible aussi d'y voir des émotions moins apprêtées parce que plus intenses, le conflit imminent pesant lourdement sur l'esprit de chacun. Il constate les différents courants à l'œuvre dans cette situation. La volonté dirigiste d'Angelica et Rowland Tusk se retrouve confronté au désordre des proscrits et de ceux qui les entourent, un étrange constat opposant une forme ordonnée de communauté à des élans du cœur d'individus agissant isolément. Mais dans le même, les motivations profondes de Rowland s'avèrent dictées par l'amour et par une forme d'altruisme alors que celles de Kyle apparaissent comme égoïstes, alors que lui aussi souhaite protéger sa famille. Le scénariste a l'art et la manière pour souffler le chaud et le froid, et introduire de l'ambivalence dans une confrontation qui semble pourtant s'apparenter au bien contre le mal. Les exorcismes sont toujours aussi brutaux, au risque et péril des possédés, et ils font peser un poids terrible sur les proscrits, en particulier ceux qui sont mineurs. Alors même que la guerre semble être celle de la lumière contre les ténèbres, les individus des deux camps souffrent et en payent le prix, l'enjeu étant le même dans les deux camps, à savoir survivre. De ce point de vue, cette série continue d'être très déroutante : une dynamique manichéenne du bien (la lumière) contre le mal (les ténèbres), mais une réalité complexe pour les individus qui ne maîtrisent pas la situation d'un bord comme de l'autre, et des conséquences néfastes dans les deux camps, ce en quoi réside la véritable horreur du récit.


Avec le tome précédent, les auteurs semblaient parvenus à un point de non-retour pour les personnages et la situation, mais aussi à une phase où le récit devenait plus prenant au premier degré, et plus riche en termes d'interprétations. Ce septième tome confirme le franchissement de ce palier, avec une histoire de plus en plus haletante, des personnages de plus en plus incarnés et une narration visuelle de plus en plus organique.

Presence
10
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le 7 nov. 2020

Critique lue 37 fois

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