Après un album décevant, on pouvait craindre le pire pour celui-ci. Il n’en est rien et le lecteur le sent dès les premières planches. Le dessin est élégant avec des couleurs chaudes, les personnages ont des traits personnels bien affirmés et l’organisation des planches atteint une sorte de perfection dans la simplicité étudiée.

Jonathan a atteint le versant hindou du massif himalayen. Il arrive à Srinagar accompagné de la jeune Drolma heureuse d’entrer à l’école. Jonathan trouve un emploi de chauffeur. Pendant ce temps, à Londres, deux hommes discutent dans un bureau. Ils ont récupéré un objet de valeur et identifié sa provenance : New Delhi. Révélation sidérante qui incite le patron à envoyer son employé enquêter sur place, avec la consigne de se mettre à l’affût d’une bonne occasion.

Jonathan n’est pas que chauffeur, il est aussi démarcheur en pleine nature. En terrain boueux, alors que le ciel s’obscurcit, il tombe sur un européen excentrique qui l’invite chez lui. Westmacott est un anglais qui, dans un lieu improbable à l’écart, a fait bâtir un manoir qu’il pensait initialement faire construire chez lui. Mais voilà, les circonstances en ont décidé autrement. Depuis, il vit dans son monde. Un monde où il reçoit Jonathan comme un invité de marque à qui il fait partager une petite fête. Une fête à laquelle une seule personne était invitée : une jeune indienne de la tribu Khambas, nommée Shangarila. Une jeune femme, farouche guerrière qui lutte contre l’oppresseur chinois.

Cet album est une merveille. Le raconter prendrait des heures pour ne rien oublier de tout ce qui compte, alors qu’il peut se dévorer en une demi-heure. Le scénario est d’une richesse incroyable, les personnages inoubliables et les lieux improbables ont été inspirés à Cosey par la réalité (le manoir). Le fait d’avoir voyagé a nourri le travail de Cosey de façon impressionnante. De plus, on sent dans sa façon de présenter les choses, de mener son histoire, qu’il a acquis une vraie maturité.

En effet, il aborde des thèmes majeurs. Le temps qui passe et les souvenirs qu’on cherche à préserver par-dessus tout. La relation entre le colonel Westmacott et la jeune Shangarila (tellement proche de Shangri-La que ce n’est certainement pas un hasard) est une merveille de non dit à la fois pudique et émouvante. Il y a bien-sûr la réflexion d’un artiste qui cherche à faire passer ses goûts personnels tout en réalisant une œuvre qui marque. Pour cela il utilise tous les moyens qui sont à sa disposition. Des couleurs somptueuses, mais sans chercher le tape-à-l’œil, un scénario aux ramifications internationales aussi justes qu’improbables. On a également droit à des effets originaux comme des vignettes rondes parfaitement appropriées aux situations. Mais également 4 petites alignées sur une verticale pour décrire l’état d’esprit de Westamcott avant sa réception. Tout cela fonctionne parfaitement. Cosey a abandonné les ornements de type enluminures pour revenir à une présentation plus sobre qui montre qu’il n’a plus besoin de « faire vrai ». Il se nourrit désormais de ce qu’il connaît pour de bon. Son imaginaire est fécond et il organise tout cela de manière extraordinaire.

Reste le titre de l’album. Ce serait le titre d’une toile impressionniste. Mais j’ai bien cherché... en vain. Cosey s’est montré d’une grande subtilité en choisissant un titre parfaitement plausible qui colle avec ce qu’il a en tête pour son histoire. Il en profite pour créer un lien inoubliable entre le maître des lieux, le lieu lui-même et le lecteur.

Le dénouement est parfaitement à la hauteur de l’ensemble. A la fois dramatique et original. Jonathan fait encore une fois preuve d’astuce et d’un état d’esprit remarquables : un altruisme qui ne peut que laisser un européen pantois, à la limite de l’incompréhension. Sauf que cette fois-ci, ça passe sans la moindre hésitation.

Cosey recommande de lire cet album en écoutant le concerto n°3 en ut mineur op. 37 de Beethoven et le concerto n°2 en fa mineur op. 21 de Chopin. Pour ma part, j’ai choisi Beethoven (avec Wilhelm Kempff au piano). Une BD qui ne figure pas dans le Top 111 malgré sa moyenne. La cause probablement à un nombre insuffisant de notes. 20 avis à ce jour sur SC…
Electron
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le 31 janv. 2013

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