Pour toi, pour moi, une page blanche, ce n’est pas grand-chose, une feuille qu’on s’amusera à griffonner ou à plier pour passer le temps. Mais pour un artiste, c’est une angoisse, ce vide qui ne se remplit pas d’Art, de Création, de Concrétisation cosmique.


Tenez, Manu Larcenet. Il a tout plein de succès. Il a obtenu un Prix Nobel de littérature, une exposition avec Caravage s’est montée, il a refusé la légion d’honneur (car il en mérite deux). C’est le plus grand artiste de la France, et d’ailleurs. On l’interroge sur d’où viennent ses idées. Mais Manu, il en a plus d’idées, il sèche.


Oh, allez, il peut peut-être reprendre avec son talent la mode de l’humour absurde fabcaro-esque, ou raconter l’histoire du dernier dépressif dans cette société du bonheur et puis les mangas, c’est bien, c’est à la mode aussi, ça peut se gribouiller aussi ? Et ces foutus muses, elles servent à quoi ? Ha ça pour critiquer et se plaindre, elles sont là, mais alors hein les réalités de l’artiste elles s’en foutent !


Manu, ben, il perd un peu pied. Il tâtonne, il erre, il a des questionnements métaphysiques qui lui retournent l’esprit. Un peu de médicaments, pourquoi pas, gare aux excès. Mais il faut se méfier des joyeux drilles, ils sont partout, toujours à avoir le bon mot pour se moquer de l’artiste, comme son boucher ? Il y a la famille, le fils un peu trop excité par ses mangas, la fille un peu trop réflexive, la maman/femme/partenaire/fous-moi-un-peu-la-paix/je-t-aime.


« Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». C’est de Nietzsche. Enfin, c’est ce qu’un intervieweur lui a dit. Il y a du chaos en Manu, mais ça n’enfante pas des masses.


A part cette série assez réjouissante, où l’angoisse de la page blanche est tournée en dérision à un sommet aussi rarement atteint dans l’auto-fiction (à ne pas confondre avec loto-fiction, qui veut vous faire croire que vous pouvez gagner au Loto). Manu Larcenet se met en scène, pour mieux en faire des caisses, pour déchirer sa chemise et courir dans les prés en hurlant (ce n’est pas dans la BD, c’est une image, attention). La détresse de l’artiste est moquée, mais il y a probablement du vrai là-dedans. C’est pas grave, amusons-nous de ce pauvre bougre.


C’est aussi l’occasion pour Manu Larcenet de se moquer de certains travers du monde de la bande-dessinée. Avec son personnage, le dessinateur est moqué, son égo mais aussi ses faiblesses. Mais on s’amusera aussi de ce tacle avec le sourire (à moins qu’il ne s’agisse d’une tape amicale avec une massue) de l’humour de Fabcaro et d’autre courants de la bande-dessinée gentillement attaqués. Certaines conventions graphiques sont d’ailleurs reprises lors de ces passages, même si le reste de l’ouvrage utilise son style comique, Manu ayant un assez grand nez, il faut bien le dire.


Mais je me demande si tout le croustillant de cet album ne se trouve pas quand Manu se confronte à l’Art en général, ses Muses sont des casse-pieds de première, son Cézanne est un professeur un peu susceptible. L’expérience des grands noms pour trouver l’inspiration ne sera pas d’une grande utilité mais le lecteur, toi, moi, nous, on aura rigolé, c’est quand même pas mal.


Mais alors comment lutter contre la page blanche ? Ha ben je sais pas, je n’ai lu que le premier tome, qui se termine par un rebondissement digne d’une série américaine, mais qui n’augure que du bon sur les mésaventures de ce Manu rendu fou par les affres de la création (c’est quoi un affre d’ailleurs?).


Oui, l’album est un peu fou, et je n’ai pas cherché à vous en faciliter la compréhension (tapez-moi les doigts si ça vous fait plaisir). Et on ne peut pas dire que dans toutes ces élucubrations toutes soient du meilleur niveau cosmique de qualité, mais le sujet le veut, Manu se plante, il se vautre aussi, le lecteur doit patienter. Je ne suis pas sûr que l’inclusion des enfants soit une bonne idée, mais il faut bien attirer le consommateur de BD avec des mioches (mais ceci est un faux argument). En tout cas, c’est marrant, j’ai bien rigolé. La ligne est claire, le manque d’inspiration, mais les directions prises vont dans tous les sens, sans savoir à quoi s’attendre.


Oui, l’album est un peu fou, et... ha non mince j’ai déjà écrit la conclusion.

SimplySmackkk
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le 9 mai 2020

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