Ce tome fait suite à Black Hammer, Tome 2 : L'incident (épisodes 7 à 11 et 13) qu'il faut absolument avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre la situation et l'historique des relations entre les personnages, ainsi qu'avoir lu la série dérivée Black Hammer présente : Sherlock Frankenstein & la ligue du mal (épisodes 1 à 4 de la minisérie, et 12 de la série Black Hammer). Il comprend les épisodes 1 à 5 de la deuxième saison, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Dean Ormston, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Les couvertures originales ont été réalisées par Ormston, Les couvertures variantes par Skottie Young, Jeff Lemire, Michael Cho, James Harren et Fábio Moon. le tome se termine avec 7 pages de crayonnés commentés par Ormston et 2 couvertures variantes supplémentaires réalisées par James Stokoe, Rafael Albuquerque.
À 2 mètres au-dessus du sol, Lucy Weber, dans son costume de Back Hammer, se tient devant Abraham Slam, Barbalien, Colonel Weird, Madame Dragonfly et Golden Gail. Elle leur déclare qu'elle se souvient de tout et qu'elle sait quel est ce lieu où ils se trouvent. Alors qu'elle commence sa phrase d'explication, elle disparaît d'un coup sans raison. Barbalien et Golden Gail sont les plus affectés par cette disparition. Cette dernière craque quand Randall Weird se remet à proférer des phrases sibyllines et disparaît à son tour dans la Parazone. Gail Gibbons s'élève à son tour et hurle de ses pleins poumons, faisant voler en éclat les fenêtres de la ferme et soulevant plusieurs tuiles du toit. Abraham Slam propose aux présents de rentrer dans la maison, de s'asseoir au salon et de réfléchir à ce qu'ils peuvent faire. À leur grande surprise, Madame Dragonfly les accompagne, alors qu'elle vivait à l'écart depuis plusieurs semaines, dans sa propre cabane.
Lucy Weber (toujours en costume) reprend connaissance dans une chambre modeste, plongée dans la pénombre. Elle prend son marteau à la main et sort de la chambre. Elle se retrouve sur un palier, et descend l'escalier vers le rez-de-chaussée. Elle arrive dans la salle du bar et y est accueillie par Lonnie James, le barman, un individu tatoué sur les bras et le crâne, avec un teeshirt noir, une barbichette et des moustaches rousses. Il lui indique qu'elle se trouve dans un lieu appelé l'antichambre. Il n'a jamais entendu parler de la ferme. Il lui présente les autres clients, une collection d'individus en costume, avec des difformités. Pendant ce temps-là, Abraham Slam, Mark Marz et Gail Gibbons sont en train de mettre en commun ce qu'ils savent, en présence de Madame Dragonfly. Slam se souvient que Lucy lui avait indiqué que dans a bibliothèque municipale les pages des livres sur l'histoire de la ville de Rockwood étaient blanches. Il évoque aussi la disparition du shérif Earl Trueheart. Mark Marz et Gail Gibbons décident de se rendre à la bibliothèque municipale, et Slam se décide à aller voir Tammy Trueheart pour parler de son ex-mari. Pendant ce temps-là, un groupe a commencé à jouer dans le bar de l'antichambre, dont le chanteur ressemble comme deux gouttes d'eau à Joey Ramone, en moins frais.
La première saison se terminait sur une surprise : une personne de Spiral City avait réussi à prendre contact avec les habitants de la Ferme, établissant qu'il existe une possibilité de s'en échapper. Jeff Lemire donne l'impression de faire tourner le lecteur en bourrique en escamotant Lucy Weber juste au moment où elle s'apprête à dévoiler le fin mot de l'histoire. Il compense un peu ce tour pendable en la projetant dans un autre endroit qui semble recéler d'autres réponses. Depuis le début, l'auteur a joué avec une approche postmoderne de son récit. Les personnages principaux évoquent tous fortement un superhéros préexistant (Captain America pour Abraham Slam, un mélange de Captain Comet et Adam Strange pour Colonel Weird, par exemple). Un habitué des comics Marvel et DC repère immédiatement d'autres références, que ce soit à l'Anti-Monitor de Crisis on infinite Earths, ou à la mythologie asgardienne à la sauce Marvel. Il s'attend donc à ce que le récit poursuive dans la même veine. Il observe effectivement 2 ou 3 variations sur des personnages déjà existants, déclinaisons moins développées, Lemire se servant de la ressemblance comme définition prête à l'emploi de ces nouvelles apparitions. Il s'amuse même à faire apparaître le temps d'une page, Gus de Sweet Tooth, une de ses propres séries, pour un clin d'oeil sympathique.
Cependant, dans ce troisième tome, l'enjeu s'est déplacé. L'intrigue se focalise toujours sur la situation des superhéros coincé dans la région de Rockwood, avec des avancées significatives. Lemire a pitié du lecteur, ou il se doute que ce dernier attend des réponses concrètes, qu'il ne se satisfera pas de se faire balader d'hypothèse en supputation fallacieuses. Par contre, le métacommentaire a changé de nature. Il ne s'agit plus de jouer sur les archétypes de superhéros. Lucy Weber se retrouve devant le diable en personne, puis dans une dimension appelée Storyland. Par ailleurs, le bar de Lonnie James donne l'impression d'être l'antichambre des limbes, cette forme d'absence qui est le lot des héros qui ne sont plus publiés, qui n'apparaissent plus aux yeux des lecteurs. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut se prêter plus ou moins à ce jeu. Il peut se dire que Jeff Lemire déplace son récit vers un autre terrain de jeu postmoderne. Il peut aussi trouver que le métacommentaire prend le pas sur l'intrigue et sur les personnages et neutralise toute tension dramatique, en passant dans une narration conceptuelle dont la présence de Joey Ramone (du groupe des Ramones) en est une manifestation patente.
Pour autant, Dean Ormston reste dans le même registre graphique et assure la continuité avec les 2 tomes précédents. il utilise toujours des traits de contour assez fins pour délimiter les formes, des petits traits secs ou gras peu nombreux dans les formes pour y figurer de la texture ou de petits reliefs, des aplats de noir irréguliers pour les ombres portées et augmenter le relief. Les visages (à part celui de Lucy) sont marqués par le temps qui passe, pas les soucis, par une forme d'inquiétude ou de mélancolie en fonction de la personne concernée. Les différents protagonistes disposent d'une morphologie spécifique, aucune n'étant parfaite comme peut l'être celle des superhéros. Abraham Slam a pris un peu de ventre et il n'arrive jamais à être rasé avec netteté. le corps de fillette d'Abigail prend des postures d'adulte, et son visage est plus marqué que celui d'une enfant de cet âge. le corps de Randall Weird commence à être décharné et les expressions de son visage montre un individu qui n'est pas toujours complètement présent. La silhouette de Mark Markz est celle d'un homme en bonne santé, mais avec un visage très marqué par la fatigue. Plus jeune, le corps de Lucy Weber est plus élancé, mais sans se conformer à la beauté longiligne des top-modèles. Ainsi le dessinateur donne à voir des personnages très concrets, marqués par les épreuves, à l'opposé de concepts désincarnés.
Le lecteur observe que Dean Ormston s'est plus impliqué dans la description des environnements. Il en prend conscience quand Black Hammer se réveille dans la chambre au-dessus du bar. En effet, très intrigué par cette situation, il prête une plus grande attention à ce que montrent les dessins, et il peut constater le degré de détails, de l'ameublement fatigué de la chambre, aux différentes formes de bouteilles derrière le barman. Il en va de même pour les livres sur les rayonnages de la bibliothèque municipale, pour le diner où se retrouvent Abraham et Tammy, pour le bâtiment d'habitation de la ferme. Cette dimension du mode de représentation participe également à rendre les environnements plus organiques, et pas juste des concepts nécessaires à l'intrigue. le lecteur se laisse porter par cette narration visuelle fournie, discrètement désabusée. Les nombreuses surprises visuelles n'apparaissent que s'il prend un peu de recul : une fillette en train de cloper naturellement, un groupe de punk sur scène, 2 individus en train de papoter assis sur les marches de la bibliothèque municipale, les portes des Enfers, un couple allongé dans son lit après l'amour, une femme astronaute, etc. C'est tout à l'honneur de Jeff Lemire d'avoir conçu des séquences visuelles, et c'est tout à l'honneur de Dean Ormston de les faire fonctionner comme s'il les avait imaginées lui-même.
Alors que l'intrigue reprend le dessus dans la première page, Jeff Lemire semble jouer un tour pendable au lecteur en coupant cours à la révélation du mystère juste comme le premier mot est prononcé. le lecteur peut être rassuré sur le fait qu'il y revient au cours de ce tome. Dans le même temps, il reste bien dans un registre postmoderne, mais avec un tournant vers le métacommentaire, plutôt que le jeu avec des archétypes. le lecteur garde pied dans l'histoire grâce à la narration visuelle, toujours personnelle, très solide, et en phase avec le scénariste. Il lui faut un peu de temps pour réajuster ses attentes aux territoires dans lesquels l'entraîne Jeff Lemire. L'intrigue reste toujours aussi inventive, mais il est possible que la confiance du lecteur dans le scénariste soit un peu entamée.